mercredi 19 juillet 2017

Non l'Italie et l'Espagne ne sont pas des modèles pour sortir du chômage de masse, par Clémentine Autain

Le démantèlement du droit du travail a-t-il favorisé la lutte contre le chômage en Espagne et en Italie ? Pour avoir répondu par la négative, Clémentine Autain a été « fact-checkée » sur France Info. Elle réplique. (Regards.fr)

Le journalisme français s’est lancé dans une nouvelle pratique : s’ériger en censeur du vrai et du faux pour décrypter les déclarations politiques. Parfois très pertinents, ces « décodages » n’en restent pas moins souvent marqués du sceau de l’idéologie dominante. J’en ai ainsi fait les frais avec France Info, qui a démêlé « le vrai du faux »de mon assertion sur le bilan négatif sur le chômage des lois travail en Espagne et en Italie. Car il faut imperturbablement comprendre que les lois de détricotage du droit du travail permettent de favoriser l’emploi. Merci Macron. 


Quel « miracle » espagnol ? 

Les journalistes économiques s’extasient devant le miracle espagnol. Les « mesures urgentes pour la réforme du marché du travail » menées par Mariano Rajoy, du Parti populaire, auraient permis un redécollage de l’économie espagnole et une baisse drastique du niveau de chômage. Un nouveau contrat CDI a été créé avec une période d’essai d’un an, de nombreux avantages fiscaux pour les entreprises ont été instaurés et les licenciements grandement facilités. Les règles permettant de modifier de manière unilatérale le montant du salaire dans un cadre individuel ou collectif ont été assouplies. 

Mais une fois le code du travail mis en lambeaux, quel est le bilan sur le chômage ? L’économie espagnole a bénéficié d’une conjoncture économique très favorable, avec une reprise de la croissance qui a simplement permis d’endiguer les effets de la crise de 2008. La petite baisse du chômage est d’abord liée à un phénomène de récupération, comme l’a expliqué l’Organisation internationale du travail. Par ailleurs, avec les nombreux départs de jeunes Espagnols vers d’autres pays européens, une baisse de la population active s’est opérée, ce qui amplifie de facto la baisse du chômage, ces actifs disparaissant des statistiques. Au total, retenons qu’il reste plus de quatre millions de chômeurs en Espagne. Deux fois supérieur à la moyenne de l’UE, le taux de chômage s’élève encore à 18,7%. 

Quel miracle ! L’ordre social a été bouleversé par une destruction des droits et protections pour un résultat qui n’a produit aucun choc contre le chômage et la précarité. Pire, les nouveaux emplois créés sont essentiellement saisonniers, précaires, mal payés. Quelle réussite ! Les lois travail n’ont pas permis de transformer l’économie espagnole : elles n’ont fait que renforcer ses faiblesses par plus de flexibilité et moins de protection pour les travailleurs. 

En Italie, précarisation pour tous 

En Italie, c’est le Jobs act, créé en 2014 par Matteo Renzi, qui fait fantasmer la pensée dominante. Cette contre-réforme du marché du travail a été l’une des inspirations de la loi Travail menée par le gouvernement de Manuel Valls. Parmi les principales mesures, on trouve un CDI à protection croissante, qui instaure une période d’essai de trois ans. Ce contrat est très flexible, car les employeurs italiens peuvent licencier sans réelles justifications. De même, le Jobs act a permis de supprimer la possibilité de réintégrer à leur poste les salariés licenciés abusivement, sauf pour des cas de discrimination. Enfin, les décrets Poletti ont facilité le recours au CDD, désormais cumulables pendant 36 mois, soit 5 signatures de suite. 

Or, comme pour l’Espagne, la crise a en Italie détruit beaucoup d’emplois. Il s’agit là aussi d’un rééquilibrage. De même, bien moins de personnes sont en activité en Italie comme en Espagne, pour des raisons d’émigration et de démographie. Enfin, contrairement aux réformes menées en France, le Jobs Act a bénéficié d’une subvention accordées aux CDI : 8.060 euros par contrat et par an pendant trois ans, soit 12 milliards pour le budget de l’État italien. Une fois cette aide diminuée, est-ce que les employeurs continueront à utiliser ce levier ? Rien n’est moins sûr… 

En attendant, le Jobs Act a lui aussi renforcé la création d’emplois précaires. 

Sortir de l’impasse libérale 

Depuis les années 1980, en Italie, en Espagne, en France et ailleurs dans l’Union européenne, des dizaines de lois dérégulant le marché du travail ont été adoptées. Pourtant, le chômage de masse et l’essor de travailleurs pauvres sont devenus une donnée structurelle de nos pays. 

En Allemagne, 2,5 millions de travailleurs gagnent moins de cinq euros de l’heure. En Angleterre, 25% des enfants vivent dans des familles qui sont sous le seuil de pauvreté. Le dogmatisme qui consiste à faire croire que faciliter les licenciements va permettre de lutter contre le chômage ou que la baisse des salaires va favoriser l’amélioration de nos vies est aussi navrant que destructeur. 

Le bilan de quarante ans de néolibéralisme imposé en Europe doit nous ouvrir les yeux. Les profits d’aujourd’hui ne sont pas les investissements, mais les baisses de salaires et les délocalisations de demain. Il faut changer de voie, de solutions. 

Sécuriser les droits et protections des salariés, partager les richesses et le temps de travail, relancer l’économie par l’activité en investissant dans la transition énergétique ou en sortant de la sacro-sainte règle d’or pour créer des emplois utiles dans le domaine de la santé ou de la culture, voici une alternative bien plus prometteuse pour battre en brèche le chômage, faire vivre l’égalité et la liberté. Mais pour la penser, il faut choisir de ne pas se soumettre aux réflexes idéologiques dominants. 

Clémentine Autain, députée de Seine-Saint-Denis (groupe France Insoumise).

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