L’interdiction au Pays-Bas et en Allemagne de meetings pro-régime turc dans le cadre de la campagne du référendum constitutionnel en Turquie a suscité de nombreuses réactions en Europe. En France, ces réactions ont également porté sur l’autorisation accordée à un meeting de ce type à Metz.
En France, des forces démocratiques et de gauche se sont déclarées favorables à une telle interdiction en France en critiquant la décision de laisser le meeting de Metz se dérouler. On peut penser, au contraire, que sur ce point très précis ces camarades commettent une erreur tactique et que, pour une fois, cette décision du gouvernement français est juste.
Il ne fait aucun doute que le régime turc suit un cours de plus en plus autoritariste et répressif touchant le mouvement kurde, la gauche et les démocrates. Cette évolution s’est accélérée depuis la tentative de coup d’Etat du 15 juillet menée par une coalition brinquebalante et pas moins réactionnaire qu’Erdogan et ses acolytes.
L’emprisonnement de plusieurs parlementaires, la fermetures de très nombreux titres de presse et la répression contre les journalistes critiques, la mise sous tutelle administrative de localités villes du Kurdistan, l’exclusion de plus de 100.000 personnes de la fonction publique depuis mi-jullet, particulièrement des syndicalistes et des universitaires signataires d’une pétition pour la paix et l’arrêt des exactions de l’Etat turc au Kurdistan, sont les manifestations du caractère antidémocratique du régime turc.
Le projet de nouvelle constitution soumis à référendum le 16 avril 2017 a pour objectif de renforcer et pérenniser cette fuite en avant antidémocratique autour d’une hyper-présidentialisation des institutions.
En bref, le régime turc doit être combattu.
Mais, pour ce combat, l’interdiction des meetings pro-régime turc pour le Oui par les gouvernements néerlandais et allemands correspondent exactement à ce qu’il ne faut pas faire.
En "conflit", les droites se font la courte échelle internationalement.
La coalition gouvernementale néerlandais (grande coalition droite-social-démocrate) fait une manœuvre pre-élections dans un contexte d'islamophobie avec cette interdiction, le gouvernement allemand se positionne de même alors que la CDU est en difficulté... ce qui sert parfaitement les intérêts de l'AKP -également en difficulté- dans le cadre de sa campagne pour le "Oui" pour la constitution dictatoriale.
L’AKP peut ainsi entonner son air favori de défenseur des turcs (et par extension des « musulmans ») en Europe contre le racisme européen.
Erdogan peut faire cela en s’appuyant sur le fait que ces manœuvres gouvernementales européennes cherchent clairement à jouer sur la surenchère raciste dans leur propre pays et qu’on a du mal à imaginer le moindre la hardiesse démocratique de ces gouvernements lorsqu’ils collaborent avec le régime sanguinaire de Sissi en Egypte ou font des affaires avec la monarchie saoudienne parmi de nombreux exemples.
Sans surprise, la droite et l’extrême-droite se sont engouffrées dans la brèche et ont réclamé l’interdiction de ces meetings. Il ne fait aucun doute qu’une telle décision appliquée aujourd’hui à l’AKP s’appliquerait demain aux forces de gauche et démocratiques de Turquie (et d’ailleurs).
Nous touchons là aux limites d'une opposition à l'AKP ne se situant pas sur un terrain démocratique et donc anti-raciste, anti-islamophobe (tout comme, en sens inverse, il existe des limites à une lutte contre l'islamophobie ne se situant pas sur un terrain démocratique de manière conséquente).
De telles initiatives ne font que renforcer la légitimité de l'AKP sur le prolétariat d'origine tuque en Europe et créer une diversion en Turquie. En d’autres termes, ces interdictions sont une bénédiction pour Erdogan et charrient une grande confusion politique.
Ce qu'il faut c'est, plutôt, réclamer que les partisans du "Non" aient également accès à des moyens démocratiques d'expression en Europe.
Si ces gouvernements voulaient vraiment mettre un coup d'arrêt au régime d'Erdogan, plutôt que ces gesticulations, ils mettraient, par exemple, fin à l'entente odieuse pour la sous-traitance des migrants au régime turc, les différents accords économiques, militaires, universitaires...
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