vendredi 24 mars 2017

Fin de la vie : quelle réforme ?, par Bernard Pradines (Ensemble 81)

Vouloir « éteindre la lumière » soi-même peut se comprendre par une volonté d’autonomie de la personne concernée. Cette volonté est inscrite dans le programme de deux candidats. Toutefois, mon expérience de médecin auprès des mourants m’amène à formuler certaines réserves. 

La pression aux économies est permanente, accrue par la crise du capitalisme. Sous l'argument du refus d'acharnement thérapeutique, se dissimulent l'abandon thérapeutique, le suicide assisté et l'euthanasie. Ainsi, la maîtrise de sa propre fin de vie n’est pas en soi une mauvaise chose.

Ecrire des directives anticipées ou désigner une personne de confiance peut nous y aider. On peut même souhaiter se déterminer soi-même, surtout quand on est dans une situation qui est celle du législateur, femme ou homme habitué à décider par soi-même encore davantage que les autres citoyens. Pas de problème sur le principe. 


Mais oublier les fondamentaux, pourtant d’actualité, aboutirait à détacher ces propositions du contexte socio-économique et historique dans lequel elles ont lieu : une crise économique sans précédent du capitalisme avec éventuellement, comme en Grèce, l’effondrement des structures de soins. 

En France, un seul exemple est celui de la quasi-disparition des services publics de soins de longue durée au cours des années 2000. Autrement dit, le suicide assisté ou l’euthanasie peuvent représenter une proposition acceptable sous des arguments humanitaires, voire une bonne solution pour les inutiles, coûteux, non-rentables, non-optimisables, non-compétitifs, à charge de la solidarité publique. 

Désormais, un nouveau choix peut se faire jour qui n’est plus celui des soins palliatifs et de l’accompagnement compassionnel ou solidaire vis-à-vis de ceux qui nous ont précédés, nous ont donné la vie, ont travaillé et lutté pour nous en créant la Sécurité Sociale. Non, vous vous sentez de trop, à charge de la société en crise et de vos enfants qui en souffrent. Alors, si vous ne partez pas de vous-même, comme vous ne guérissez pas et ne mourez pas, on peut vous aider à abréger vos souffrances. Peu importe que ces dernières soient essentiellement liées à votre sentiment d’être une charge inutile et indue. 

Une société productiviste et "libérale" ne connait pas l’humain dans sa complexité. Elle crée des cadres idéologiques qui peuvent apparaître séduisants en flattant l’individu et ses capacités d’autonomie tel le winner par rapport au looser. Ainsi, elle dissimule fort bien son penchant collectif mortifère. Euh, peut-être pas aussi caché qu’il n’y parait. 

Si l’on en croit les propos de certains chantres du libéralisme et de l’austérité rapportés récemment dans le Huffington Post[1], « si on a un cancer du poumon - ou que l'on est insuffisant respiratoire -, si on souffre d'obésité, de diabète de type 2, de pathologies cardiovasculaires associées, ou d'infections transmissibles, etc ... c'est forcément de la faute du malade ! » Après le mariage pour tous finalement et fort heureusement adopté, une nouvelle réforme peut sembler populaire du fait des craintes de chacun devant la fin de la vie, en particulier par peur de l’acharnement thérapeutique. 

Une telle obstination déraisonnable doit être envisagée pour ce qu’elle est : un défi à relever et non des êtres humains à éliminer. Sans compter avec les conséquences sur l’ensemble de la société après avoir ainsi identifié la dignité à la bonne santé productive : « maintenant qu’ils peuvent partir proprement, pourquoi ne le font-ils pas ? » C’est rejeter tous ceux qui ne s’adaptent pas au système capitaliste en crise. Résister à une telle pression est une faute de goût qui vous met encore plus au ban de la société. Ceci dans un temps où la fin de la vie est devenue surtout le fait des personnes âgées réputées coûteuses, dont les retraites sont bloquées (comment payer la maison de retraite ?) et la dépendance faiblement compensée par un coup de pouce. 

Selon les confidences de François Mitterrand à Marie de Hennezel rapportées en substance récemment par cette dernière, le président n’aurait jamais envisagé de proposer une loi autorisant suicide assisté ou euthanasie car, si devaient survenir des problèmes économiques, il y aurait un risque d’élimination de ceux qui sont inutiles et coûteux.[2] 

En conclusion de ce bref exposé, je pense qu’il n’est pas interdit d’étudier toutes les avancées législatives permettant une meilleur anticipation des futurs malades et des professionnels de santé quant à la fin de la vie. Mais cette aspiration ne peut pas être isolée du contexte dans lequel elle se développe. 

 [1] Christian Saout, Catherine Ceriseyet David-Romain Bertholon. Un bracelet électronique pour les malades? Publication: 08/01/2014 17h14 : http://www.huffingtonpost.fr/christian-saout/bracelet-electronique-malade_b_4561637.html 

[2] Emission du 10 avril 2014 sur RCF 

http://ensemble81.over-blog.com/2017/03/fin-de-la-vie-quelle-reforme.html

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire