vendredi 17 mars 2017

60 ans après le traité de Rome : il nous faut un plan B en Europe !

Les 11 et 12 mars s’est tenu à Rome le 4e sommet internationaliste pour un Plan B en Europe. Après Paris, Madrid et Copenhague, cette nouvelle rencontre s’est tenue dans la ville qui, 60 ans auparavant, a vu la signature du traité fondateur de ce qui allait devenir l’Union Européenne.

Alors que les dirigeants européens s’apprêtent à célébrer en grande pompe cet anniversaire, l’heure n’est pourtant pas à la fête pour les peuples ; le rêve européen s’est transformé en cauchemar. L’UE s’est avérée être une machine de guerre au service du capitalisme financiarisé, contre les peuples et la démocratie. Les politiques d’austérité répandent le chômage et la précarité, tandis que la mise en compétition des peuples alimente la montée des droites extrêmes et des nationalismes. Au-delà de ses frontières, l’UE alimente les logiques de guerre, laissant les réfugié·e·s se noyer en Méditerranée.


Dans ces conditions, la gauche se retrouve face à un enjeu stratégique majeur : comment rompre avec les traités européens, sans pour autant laisser libre cours aux logiques de repli national ?

La tragédie subie par le peuple grec a modifié les coordonnées du débat : usés par des années de violente austérité, les Grecs ont voté par deux fois en 2015 pour une rupture avec l’austérité et le néolibéralisme. Mais face à l’extrême violence des institutions de l’UE et de la zone euro qui ont opéré un véritable coup d’État, et faute d’une stratégie adéquate, le gouvernement grec se retrouve désormais à mettre en œuvre les mêmes politiques d’austérité, de privatisation et de libéralisation qu’il dénonçait pourtant auparavant.

Lancé début 2016, le processus du Plan B vise donc à fédérer les forces qui, tirant les leçons de cette expérience, refusent la cage de fer néolibérale de l’UE et de la zone euro, mais qui pour autant ne se résignent pas à un repli sur les États-nations. Il s’agit tout d’abord d’élaborer collectivement des propositions et une stratégie pour réformer radicalement l’Union européenne sur des bases démocratiques, sociales et écologiques (le plan A). 

Mais, compte tenu de la violence dont les institutions européennes ont montré être capables et du verrou juridique que constitue la règle de l’unanimité pour toute modification des traités, il est également nécessaire de préparer un scénario de rupture dans lequel un ou plusieurs États désobéiraient aux traités et s’affranchiraient des contraintes de la zone euro, avec pour objectif de refonder une coopération sur de nouvelles bases (le plan B).

Le sommet de Rome a marqué un nouveau jalon dans la construction de cette coalition des gauches européennes. Le spectre des formations politiques représentées s’est élargi. Étaient entre autres représentés, outre Ensemble! — dont la délégation était parmi les plus nombreuses — et le Parti de Gauche pour la France : Die Linke (Allemagne), Podemos et Izquierda Unida (Espagne), Sinistra Italiana et Altra Europa (Italie), le Bloco de Esquerda (Portugal), Unité Populaire et le Chemin de la Liberté (Grèce), l’Alliance Rouge-Verte (Danemark), le Parti de Gauche de Suède.
Jean-Luc Mélenchon, le candidat à l’élection présidentielle française soutenu par 

Ensemble!, est intervenu au début du sommet, inscrivant sa démarche dans la continuité du « non » au référendum de 2005, par lequel les Français·e·s ont marqué leur opposition à la fuite en avant néolibérale de l’UE. Il a dénoncé l’actuel projet d’une Europe de la défense, qui s’oppose nécessairement à celui d’une Europe de la paix. Il a rappelé que le processus du Plan B est fondamentalement internationaliste, en ce qu’il vise à recréer l’adhésion des peuples à un projet européen porteur de progrès démocratique, social et écologique.

Myriam Martin, porte-parole d’Ensemble!, est intervenue dans la table ronde consacrée aux expériences de désobéissance à l’échelle locale, aux côtés notamment du maire de Naples, Luigi de Magistris. Forte de son expérience d’élue régionale, elle a insisté sur l’existence de marges de manœuvre au sein des collectivités locales pour construire des résistances aux politiques imposées par l’UE. Mais afin de déjouer les logiques institutionnelles qui tendent à limiter le champ des expérimentations possibles, il est fondamental que les élu·e·s s’appuient sur les mobilisations sociales et citoyennes, porteuses d’une dynamique et d’une légitimité propres qui ouvrent la voie d’une transformation radicale.

D’autres ateliers ont permis d’avancer la réflexion sur une nouvelle architecture institutionnelle en Europe, la conquête de nouveaux droits sociaux, l’harmonisation fiscale, la refonte des politiques migratoires, les alternatives à la monnaie unique…

Ce sommet a donc permis d’avancer dans la construction d’une coalition européenne des forces de transformation sociale et écologique, dont Ensemble! a fait un axe stratégique de sa vision européenne. Il est toutefois nécessaire qu’une place plus importante soit accordée dans le processus du plan B aux syndicats, aux mouvements sociaux, citoyens et écologistes, car les organisations politiques ne peuvent pas à elles seules créer le rapport nécessaire pour mener à bien la refondation de l’Europe. 

Ensemble! continuera de porter l’exigence d’un élargissement du processus du Plan B à un plus grand nombre de ces mouvements, ainsi que la nécessaire convergence avec les autres espaces européens de débat et de lutte (Altersommet, forums du PGE…).

Le prochain sommet du Plan B se tiendra en octobre 2017 à Lisbonne. Il marquera le 10e anniversaire du traité signé dans cette capitale, par le biais duquel Sarkozy et la majorité des parlementaires ont trahi le vote des Français·e·s en 2005. Ensemble! y sera de nouveau présent afin de continuer à faire vivre ce vote historique de résistance et de poursuivre la lutte pour une Europe véritablement démocratique, au service des peuples.

Sébastien Villemot

Déclaration

Les dirigeants européens commémorent le 60e anniversaire du traité de Rome dans une Union Européenne (UE) en dislocation. Ils ont décidé de répondre à la crise de l’UE en préparant un nouveau traité. Et d’ici là, de stimuler les initiatives de coopération renforcées dans une Europe à plusieurs vitesses, comme en témoigne le récent Livre Blanc de la Commission sur l’avenir de l’Union européenne. Tout cela pour l’approfondissement de politiques néolibérales qui tuent l’Europe, et en poussant une intégration militaire agressive aux côtés de l’OTAN. Nous avons un Plan B pour faire face à cet horizon sombre pour les citoyens européens.

Nous sommes prêts à offrir aux peuples européens une alternative. Elle nécessite une rupture avec les Traités actuels. La coopération en Europe doit être lancée sur une nouvelle base : protéger notre peuple, notre démocratie et la nature contre des zones de libre-échange et un marché intérieur desservant uniquement le profit des banques et des multinationales et la richesse des oligarchies. Nous devons nous débarrasser d’une Union européenne qui est une machine de guerre contre le travail et au seul service du capital financier. 

Nous devons y faire face avec une Europe démocratique fondée sur la coopération d’États pleinement démocratiques dans l’intérêt de nos peuples. La coopération internationale devrait être poursuivie là où elle sert l’intérêt de la majorité (changement climatique, politiques d’asile, impôt sur les sociétés), tout en protégeant la démocratie et les droits sociaux contre la déréglementation, les privatisations et libéralisations du fait du droit de l’UE.

En janvier 2016, le premier sommet du Plan B à Paris a été convoqué à la suite du coup d’État contre la Grèce à l’été 2015. Pour continuer à montrer nos réactions aux actions anti-démocratiques de l’UE, deux autres sommets du Plan B ont suivi, à Madrid et Copenhague. Dans le même temps, l’oppression contre la Grèce a continué, ne laissant plus aucune place pour les vœux pieux : l’UE porte atteinte à la démocratie et à la souveraineté populaire. La dette des États est utilisée comme un mécanisme de subordination ; la Banque Centrale Européenne (BCE) fonctionne elle aussi comme un instrument de domination, usant de sa capacité à couper le robinet des liquidités comme d’une arme contre tout type de résistance populaire et politique.

Il est temps maintenant de renforcer le réseau de Plan B comme un forum ouvert et pluriel de débat et de préparation de politiques alternatives crédibles pour les peuples européens. Notre stratégie se compose d’un Plan A et un Plan B. Le Plan A rassemble diverses propositions de profonde réorientation du projet européen. Le Plan B est un désengagement progressif de l’Union européenne dans le cas où Bruxelles continue dans un chemin antidémocratique et néolibéral et propose un nouveau type de coopération entre États, y compris sur la coopération monétaire. 

Nous nous engageons dans chacun de nos pays et à travers l’Europe à travailler à une renégociation complète des traités européens. Nous nous engageons à nous mobiliser dans les luttes des Européens dans le cadre d’une campagne de désobéissance civile européenne contre des pratiques européennes arbitraires et des « règles » irrationnelles, jusqu'à ce que cette renégociation soit atteinte. Nous reconnaissons que dans les cas comme la Grèce, il n’y a pas de place pour la négociation avec les oppresseurs. Et nous soutenons le droit des peuples à résister et à désobéir.

Le Plan A : 

Nous pensons que les traités actuels sont un obstacle à tout agenda progressiste. Toute tentative visant à modifier les traités doit avoir pour principe la participation massive, un débat et une prise de décision collective. La souveraineté populaire, le choix du peuple, doit primer. Afin de favoriser ce débat et les mobilisations associées, nous proposons les pistes suivantes pour qu’un projet européen puisse être poursuivi sur une trajectoire progressiste et en faveur des travailleurs.

Nous, participants du sommet Plan B, appelons à :
  1. Une réforme profonde de la BCE avec comme objectifs obligatoires d’assurer le plein emploi, permettre le financement des investissements publics et une activité économique écologiquement viable ;

  2. L’abolition du TSCG et de l’ingérence des institutions dans les budgets nationaux, en s’assurant que les États membres puissent mener des politiques conformes aux choix démocratiques des peuples. La question de la dette publique, souveraine, sera adressée à l’échelle européenne, avec la pleine reconnaissance du droit des peuples et des États à conduire des audits de la dette avant tout paiement, et de refuser de payer les dettes illégitimes, illégales, odieuses et insoutenables. Nous travaillerons à une conférence européenne sur les dettes dans le but de libérer les peuples des dettes impayables, qui sont aujourd’hui des instruments pour imposer des politiques néolibérales, anti-démocratiques et d’austérité.

  3. La réorientation de la politique mercantiliste qui domine l’Union européenne et, en particulier, la zone euro, au profit de la demande intérieure agrégée, afin d’équilibrer les balances courantes. Par conséquent, il faut un mécanisme macroéconomique crédible pour traiter les excédents courants en augmentant les salaires et la consommation intérieure et en augmentant les importations en provenance des pays déficitaires.

  4. Le rejet du CETA, TAFTA, TISA et autres accords de libre-échange qui augmentent le pouvoir des multinationales au détriment de la démocratie et des droits sociaux et environnementaux. L’introduction d’un principe de non régression sociale et la mise en place de normes sociales et écologiques pour le marché intérieur unique et les échanges avec des pays tiers. Un protectionnisme écologique et social européen : afin de protéger notre environnement, producteurs et travailleurs par l’établissement d’une tarification commune sur les marchandises importées, y compris des quotas ou autres règles pour les biens et services qui ne respectent pas les normes écologiques et sociales fondamentales ;

  5. La lutte contre la concurrence fiscale, les paradis fiscaux et l’arbitrage fiscal par des pénalités fiscales sur les flux financiers vers des paradis fiscaux à l’intérieur et à l’extérieur de l’UE et l’introduction d’une imposition minimale efficace sur les sociétés. En cas de non-coopération, nous devons permettre aux États membres de défendre leur assiette fiscale via des pénalités sur les flux vers des paradis fiscaux;

  6. Renforcer la lutte contre le changement climatique grâce à une politique économique qui assure la durabilité écologique et enraye le réchauffement climatique. L’UE doit également mettre en place des stratégies d’adaptation plus fortes, de l’échelon local au niveau international, pour prévenir les dommages liés au changement climatique ;

  7. L’adoption d’un Protocole social afin de protéger les droits sociaux et négociations collectives contre les “libertés fondamentales” affirmées dans le cadre du marché intérieur et s’assurer que tous les travailleurs mobiles de l’Union, travaillent au minimum sous les mêmes conditions salariales et de travail que les travailleurs du pays hôte ;

  8. Au renforcement des droits des femmes et l’égalité des genres, qui représente un atout fondamental des sociétés démocratiques et du développement économique et social. Résister au patriarcat est une question fondamentale des droits humains. Toutes les formes de violence fondée sur le genre et l’exploitation sexuelle doivent être éliminées ;

  9. La résistance à l’Europe forteresse. L’Europe a besoin d’une nouvelle politique migratoire et d’asile issue des conventions internationales sur les droits humains et le droit humanitaire et d’augmenter le partage de responsabilités pour assurer la protection de tous. Plus de frontières fermées, assez de morts en Méditerranée. Assez d’exportation d’armements, de guerres et d’accords de libre-échange destructeurs, qui sont parmi les premières raisons qui poussent les peuples à l’exil. Assez de financement de l’industrie de la guerre à travers les contrats d’armements, largement reliés à la corruption et à la dette odieuse.

  10. La préparation et l’inclusion dans les traités des conditions pour garantir une sortie ordonnée de l’euro pour les États qui le souhaiteraient, tout en stabilisant les taux de change.
Le Plan A s’appuie sur une stratégie de rapport de force. Nous devons désobéir aux traités pour rendre possible une reconstruction de l’Europe. Nous devons reconnaître néanmoins que toute tentative de modifier les traités néolibéraux de l’UE en faveur de la démocratie et du travail est susceptible d’échouer, en étant bloquée par un seul État membre et rencontrera la farouche opposition des institutions européennes. 

Aussi, un Plan A crédible a besoin d’un Plan B qui servira à la fois de levier dans les négociations avec l’UE, mais permettra également aux États membres de se dissocier et se désengager du carcan néolibéral de l’Union européenne afin de poursuivre de nouveaux types de coopération fondés sur nos agendas progressistes.

Alors que nous, les signataires de cette déclaration, accordons des degrés d’importance différents au plan A, nous sommes d’accord sur l’importance cruciale d’un plan B, qui modifiera le contexte pour nous permettre d’atteindre nos objectifs.

Le PLAN B : 

Face à l’impossibilité d’une réorientation profonde de l’UE, nous nous engageons à ce que nos pays reprennent le contrôle de leurs outils de base d’intervention dans l’économie. A travers une collaboration étroite entre États, nous voulons mettre en œuvre notre programme de justice fiscale, sociale, économique et environnementale.

Soyons clairs sur un point central. Entre sauver l’euro et notre peuple, notre choix est fait : nous choisissons le peuple. Nous proposons, en alternative au Plan A, un Plan B pour un « divorce à l’amiable » de l’euro ou un plan de sortie euro pour un seul pays. Travaillons à un cadre de coopération monétaire issu des monnaies nationales et à une unité comptable européenne commune (monnaie commune).

Nous visons à créer un système commercial équitable (« protectionnisme solidaire ») basé sur la promotion des droits des travailleurs, la protection de l’environnement, le contrôle des capitaux, la santé et la protection des consommateurs, le contrôle public des ressources et des services essentiels et un traitement spécial et une aide aux pays appauvris, respectant pleinement les conventions fondamentales de l’OIT, un taux d’impôt minimal sur les sociétés et l’accord sur le climat de Paris COP21. En cas de non-coopération, nous devons permettre aux États membres de défendre leur assiette fiscale via des pénalités sur les flux vers des paradis fiscaux et à travers des mécanismes comptables crédibles. Toutes ces solutions peuvent être prises par un ou plusieurs États Membres et États tiers prêts à coopérer sur cette base progressiste. 

Plus cette nouvelle zone coopérative et progressiste est grande, plus elle est profitable à nos peuples.

Le sommet de Rome est un jalon dans le développement de notre stratégie du Plan B. Particulièrement à l’aune des élections à venir dans plusieurs États Membres (Pays-Bas, France, Allemagne). Dans un contexte de Brexit et de crise continue en Espagne, Italie, Grèce et Portugal, le Plan B et sa solidarité internationaliste est plus vitale que jamais.

Nous nous engageons à non seulement communiquer largement ces solutions pour l’Europe, en amont du débat sur une réforme européenne à l’occasion de l’anniversaire du traité de Rome, mais aussi à soutenir toutes les propositions, initiatives et mobilisations dans cette perspective. Nous nous tenons également prêts à les présenter à la Commission et au Conseil européen dès notre arrivée au pouvoir. 

Nous sommes prêts à désobéir aux règles européennes tant que l’Union européenne néo-libérale et anti-démocratique continuera. Si le Conseil européen et la Commission s’opposent à nos solutions raisonnables et concrètes, nous nous engageons à les faire prévaloir en dehors du cadre communautaire actuel.

Nous allons continuer à approfondir et élargir notre plateforme politique. Le prochaine et 5ème Sommet du Plan B se tiendra à Lisbonne, en octobre 2017, 10 ans après la signature du Traité de Lisbonne.

Marina Albiol Guzmán, MEP, Izquierda Unida, Spain
Malin Björk, Member of the European Parliament, Vänsterpartiet, Sweden
Eric Coquerel, Regional councillor, Ile de France, Parti de Gauche, France
Fabio De Masi, MEP, Die Linke, Germany
Stefano Fassina, City councillor, Rome, MP, Sinista Italiana, Italy
Eleonora Forenza, MEP, Altra Europa, Italy
Zoe Konstantopoulou, head of Course to Freedom (Plefsi Eleftherias), former President of the Hellenic Parliament, President of the Debt Truth Committee, Greece
Marisa Matias, MEP, Bloco de Esquerda, Portugal
Jean-Luc Mélenchon, MEP, France
Søren Søndergaard, MP and former MEP, Red-Green Alliance, Denmark
Miguel Urbán, MEP, Podemos, Spain
Nikolaj Villumsen, MP, Red-Green Alliance, Denmark

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