"Nous ne sommes pas du côté de la loi, mais de celui de la révolte !" Asli Erdogan
lundi 2 mai 2016
Violences policières: un jeu dangereux, par Noël Mamère
L’état d’urgence, que nous combattons depuis le début comme un état d’exception inefficace et attentatoire aux libertés, est en train de créer un climat de peur, alimenté par les violences récurrentes des forces de l’ordre. Elles sont en première ligne, pendant que leurs commanditaires, eux, se réfugient dans une hypocrisie sans limites. Leur seule justification, mais ils n’osent le dire, c’est de faire passer en force une loi rejetée par la société. Le débat qui s’ouvre au Parlement le 3 mai ne doit pas être occulté par cette tentative de détournement.
Sur le front des manifestations contre la loi Travail, les jours se suivent et se ressemblent. Manuel Valls et Bernard Cazeneuve ont décidé « d’encadrer les manifestations » pour, soi-disant, isoler les casseurs. Résultat : dès le début du cortège, des centaines de CRS bloquent le départ de la manifestation traditionnelle du Premier Mai.
Les conséquences ne se font pas attendre et se traduisent par un surcroit de violences et de mise en danger physique des manifestants et de la police. Jamais un Premier Mai n’avait été l’occasion de tels débordements : matraquages en règle de jeunes, de retraités, de syndicalistes, utilisation de gazeuses à hauteur d’homme, jets de grenades assourdissantes, pourtant « interdites » depuis Sivens et la mort de Rémi Fraisse…
A qui profite cet « encadrement » des cortèges par des CRS et des gendarmes mobiles ? Aux chaines d’information en continu qui diffusent en boucle les images de violence et, principalement, au gouvernement, qui tente par tous les moyens de déconsidérer la mobilisation contre la Loi Travail commencée il y a deux mois maintenant.
Cette stratégie, appliquée aux militants écologistes lors de la COP21 est allée crescendo face à la mobilisation contre la loi travail. C’est ce jeune lycéen de 15 ans, tabassé le 24 mars dernier par trois policiers devant le lycée Bergson, à Paris. Le 5 avril, plus de 130 lycéens sont interpellés avant même d’arriver à la manifestation prévue à Bastille l’après-midi, après avoir subi des tirs de gaz lacrymogènes et des coups de matraque par des CRS et policiers en civil. Même chose à Nantes, Lyon, Montpellier, Toulouse, Mayotte, etc. Le 28 avril, un étudiant perd un oeil à Rennes, après un tir de LBD ( lanceur de balles de défense) dont le défenseur des droits demande pourtant l’interdiction, tout comme certains d’entre nous depuis longtemps.
Le gouvernement prend prétexte de la présence d’une minorité organisée dans la mouvance dite « autonome » pour agir avec une telle violence. Certes, cette minorité, décidée à en découdre avec la police, existe. Personne ne le nie. Mais ce n’est pas en multipliant les provocations à l’intérieur même des cortèges que l’on y mettra un terme.
D’ailleurs, pourquoi ces manifestants, isolés par les forces de l’ordre en fin de manifestation, ne sont-ils pas massivement interpellés ? Que cherche le ministre de l’Intérieur, prouver que les manifestants ne sont pas responsables pour mettre en cause le droit de manifester ? Poser la question, c’est y répondre.
Voilà que sous un gouvernement dit de gauche, nous nous retrouvons dans la même situation qu’en 1986 durant la cohabitation où un gouvernement dirigé par Jacques Chirac voulant appliquer de gré ou de force la loi Devaquet, n’avait abouti qu’à la mort de Malik Oussekine.
François Hollande, Manuel Valls et leur ministre de l’Intérieur sont en train de créer une situation d’exaspération dans le pays qui peut à tout moment se traduire par un drame du même type. Cela s’appelle de la gouvernance irresponsable.
Irresponsable car les policiers envoyés pour encadrer les manifestants sont surchargés de travail, exténués, leurs millions d’heures supplémentaires pas payées. Irresponsable, car les ordres donnés ne sont pas clairs : La police perturbe, de fait, le cours normal des cortèges en cherchant à séparer les « casseurs » de la masse des jeunes tout en voulant éviter des affrontements qui pourraient faire des victimes. Mission impossible. Plus les provocations policières se répètent, plus les manifestants sont soudés entre eux.
Comme Président de la commission d’enquête parlementaire sur le maintien de l’ordre, qui avait suivi la mort de Rémi Fraisse, j’avais largement dénoncé les failles de la chaine de commandement et les ordres erratiques donnés par l’exécutif… Mais j’avais été le seul, avec ma collègue Marie-Georges Buffet. Et nous avions finalement voté contre le rapport qui annonçait la politique de maintien de l’ordre que nous connaissons aujourd’hui.
Alors que l’extrême droite et une partie de la droite jouent leur va-tout sur les questions identitaires, Manuel Valls tente d’imposer sa marque frappée au coin de l’autoritarisme. Il montre ses muscles pour tenter de faire diversion face à la mobilisation massive contre la loi travail.
Ce jeu est non seulement stupide, mais encore dangereux. Les apprentis sorciers au pouvoir sont en train d’éduquer une génération à la violence. Les jeunes qui s’éveillent à la politique sur la place de la République constatent chaque jour que la gauche au pouvoir est plus sensible aux demandes de la droite sarkozyste et de l’extrême droite qu’à leurs propres revendications.
Alors que les responsables de droite se succèdent pour demander l’interdiction de Nuit Debout, ces « sans cerveaux » selon l’ex-président, les responsables de la gauche de droite organisent le matraquage systématique de la jeunesse.
Cela se traduira dans les urnes, bien sûr, mais pas seulement car la gauche institutionnelle est en train de perdre son âme en voulant à la fois imposer une loi d’essence libérale et user de la force brute pour bâillonner sa jeunesse.
Traiter par le mépris la jeunesse et les syndicalistes conduit à perdre sur tous les tableaux.
L’état d’urgence, que nous combattons depuis le début comme un état d’exception inefficace et attentatoire aux libertés, est en train de créer un climat de peur, alimenté par les violences récurrentes des forces de l’ordre. Elles sont en première ligne, pendant que leurs commanditaires, eux, se réfugient dans une hypocrisie sans limites.
Leur seule justification, mais ils n’osent le dire, c’est de faire passer en force une loi rejetée par la société. Le débat qui s’ouvre au Parlement le 3 mai ne doit pas être occulté par cette tentative de détournement.
« Hé Oh », en haut, à l’Elysée et Matignon, arrêtez de nous faire prendre des vessies pour des lanternes. « Eh Oh », au lieu d’organiser des mascarades de meetings pour défendre un bilan indécent, vous feriez mieux de garder votre sang froid et de mieux contrôler celui des forces de l’ordre…
Vous auriez du entendre les 400 musiciens de l’orchestre Nuit Debout interprétant la Symphonie du Nouveau Monde de Dvorak. La musique adoucit les mœurs.
Paris, le 63 Mars 2016
https://blogs.mediapart.fr/noel-mamere/blog/020516/violences-policieres-un-jeu-dangereux
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