Élue députée à Sevran (93) avec le soutien du PC et de La France
insoumise, Clémentine Autain siège à l'Assemblée au sein du
groupe de Jean-Luc Mélenchon.
Vous êtres dix-sept députés La France insoumise sur 577. Comment comptez-vous peser
à l'Assemblée ?
Le sentiment qui domine, dans notre groupe, c'est la responsabilité. Nous sommes sousreprésentés
par rapport à notre poids politique dans le pays. Nous devons faire entendre les
voix de nos électeurs dans l'hémicycle. On sera aussi dans la rue, dans l'espace public, mais
nous devons utiliser à plein l'Assemblée.
Vous êtes contente de vos débuts ?
Nous intervenons sur chaque texte. À l'Assemblée, le débat se joue entre La République en
marche et nous. La droite est complètement démonétisée : sur la loi Travail, ils sont d'accord,
sur la loi de moralisation, que peuvent-ils dire ? Les
socialistes sont devenus un petit groupe, pas très cohérent
de surcroît... Notre enjeu est de sortir les débats de
l'hémicycle. Les réseaux sociaux relaient bien nos
interventions, les questions impertinentes de François
Ruffin, ou Alexis Corbière qui sort pour 5 euros de boîtes
de conserve... La partie ne se joue pas dans l'Assemblée.
En revanche, si ce qu'on y fait est populaire, est compris et
repris à l'extérieur, alors nous sommes fidèles à nos
engagements.
Pourquoi êtes-vous avec le groupe La France insoumise
et pas au PC ?
J'ai été élue avec le soutien du PCF et de la FI. Jean-Luc
Mélenchon m'a proposé de venir à la première réunion de
son groupe. J'y suis allée et je m'apprêtais à me rendre à celle du groupe GDR (Gauche
démocrate et républicaine, NDIR) en ayant en tête « de pousser pour un groupe commun ». Je
n'ai pas été invitée. André Chassaigne (le président du groupe) m'a expliqué que c'était une
réunion réservée à la sensibilité communiste. On n'a pas la même manière de raisonner mais
nous devons construire des passerelles ! Comment?
Il y a beaucoup de blessures, de divergences stratégiques et d'histoires humaines qui ont
fragilisé les rapports. Ne nous racontons pas de salades : Jean-Luc Mélenchon n'a pas été le
choix du PCF qui a tenté de construire, jusqu'en février, une autre candidature en rassemblant
des courants issus du PS, d'EELV, etc. Les blessures doivent se cicatriser parce que nous
portons les mêmes grandes exigences sur le fond. Mais encore faut-il s'entendre sur le cadre
pour les porter. Une nouvelle période s'ouvre dans laquelle la FI peut impulser une voie
populaire et conquérante, capable de produire des convergences nouvelles et, à terme, des
majorités. L'unité est à rechercher dans la société. Ensemble, nous devons fédérer le peuple.
Avec Benoît Hamon et la gauche élu PS, quelles sont les perspectives ?
À mon sens, il ne pouvait y avoir d'alliance
entre Jean-Luc Mélenchon - qui a sans cesse
affirmé une voie totalement différente de
celle de Hollande - et Benoit Hamon,
candidat dans la primaire du PS qui a
soutenu Hollande. Je veux bien rassembler
largement mais pas avec des gens qui
assument une politique de droite menée au
nom de la gauche. Avec les frondeurs, on
peut discuter. Pas avec Cambadélis, Valls
ou Le Guen. Or ils étaient dans les bagages
de Benoît Hamon. Par ailleurs, le 1er juillet,
lors de son rassemblement, Benoît Hamon a
mis à équidistance Macron et Mélenchon.
Refaire la gauche sans tendre la main à la
FI, ça va être compliqué ! Mais je pense
qu'il faut discuter avec Benoît Hamon,
d'autant qu'il a quitté le PS.
Il va falloir combattre la loi Travail. Sans rapprochement politique, cela va être dur de
soutenir le mouvement syndical…
Prenons le débat différemment. On entre dans une nouvelle phase politique dont le
questionnement est : comment tourner le dos à trente ans de politiques néolibérales qui ont
creusé les inégalités et appauvri le pays ? Comment renverser la table ? Voilà le défi. Pour le
relever, il ne faut pas seulement chercher à rassembler l'existant, il faut mobiliser les forces
disponibles mais qui sont encore à distance de la bataille sociale, culturelle, politique.
Vous n'avez pas toujours été une aficionada de Jean-Luc Mélenchon, qu'est-ce qui a
provoqué votre évolution ?
Nous avons toujours des différences, de trajectoire et de personnalité, mais ce que Jean-Luc
Mélenchon a planté dans le paysage politique est fondamental. Pendant cinq ans, il a tracé un
chemin distinct de la politique gouvernementale de Hollande. Ensuite, il a saisi le besoin
d'une force où le neuf devait dominer. Pour autant, on ne peut pas oublier les courants
politiques constitués, les mépriser ou les humilier, c'est clair. Mais si on veut une force
nouvelle, le neuf doit d'abord émerger pour mieux cristalliser du rassemblement. C'est l'une
des leçons que je tire de la séquence qui vient de s'écouler. Enfin, il a développé et assumé
l'idée que nous devions être majoritaires. La gauche radicale n'a jamais cultivé cette ambition.
On était aiguillon, on était dans la rue, mais prendre le pouvoir n'était pas réellement notre
horizon. Là, vous gommez beaucoup vos points de désaccord.
Si on est obsédé par l'Alliance bolivarienne ou autres questions qui prêtent à débat dans notre
espace, on ne comprend pas comment il a fait 19,6% ni quels sont les marqueurs qui ont
fonctionné dans le pays. Si on commence par mettre en avant ce qui nous différencie, on ne
va pas construire grand-chose...
Sur le Venezuela, son discours a du mal à passer...
Je ne suis pas d'accord avec cette lecture qui consiste à nous présenter toujours le même
scénario : un vilain dictateur, Maduro et, en face, une opposition éprise de liberté. C'est un
scénario imposé par la pensée dominante. Je ne défends pas Maduro ; c'est clair. Mais je
combats l'opposition qui a une position de droite dure, soutenue par les États-Unis, et qui ne
me paraît pas être l'alternative et la solution à la crise du pays qui est d'abord une crise
économique.
Quel regard portez-vous sur les premiers mois de la présidence Macron ?
Il décroche à une vitesse incroyable. Le président des riches est mis à nu. Entre les APL et la
suppression d'une partie de l'ISF, le sens de sa politique est clair. Beaucoup de Français ont
voté contre les deux partis qui ont dirigé ce pays. Ils ont mis un coup de pied dans la
fourmilière. Il y a des nouveaux députés, un nouveau style, mais c'est la même politique !
Cela ne peut pas fonctionner. La colère est là. Et Macron est en permanence dans le mépris de
classe vis-à- vis du monde populaire.
Son dévissage peut être rassurant pour l'opposante politique mais pour la citoyenne,
c’est un peu inquiétant ?
Je pense que la situation politique est très instable. Macron n'a pas de majorité dans le pays. Il
a obtenu un score faible au premier tour, il n'y a ni adhésion ni majorité d'idées. Sur une
nouvelle loi Travail, il n'y a pas de majorité dans le pays. Et pourtant, comme il le rappelle, il
a été élu en l'annonçant. Il y a un fonctionnement démocratique qui ne marche plus. Nous
sommes en fin de règne... C'est à nous d'aider cette contestation à grandir, de l'articuler avec
des propositions, de préparer une vraie alternative politique. Et d'être en capacité de diriger le
pays.
La loi sur la moralisation de la vie politique a quand même du bon ?
De la poudre de perlimpinpin ! Elle ne répond pas à la défiance majeure qui existe entre les
Français et le système institutionnel : l'abstention record, la haine sur les réseaux sociaux à
l'égard des politiques, jusqu'aux agressions physiques... Et pour répondre à ces questions, en
quinze jours, on fait voter une loi dans laquelle on va supprimer la réserve parlementaire et les
emplois familiaux pour les parlementaires. C'est une blague ?
Que fallait-il faire ?
On a déposé une centaine d'amendements pour faire sauter le verrou de Bercy, développer les
référendums d'initiative populaire, lutter contre la concentration dans les médias... Tous
refusés ! Dans le même temps, on apprend que la ministre du Travail a touché 1,2 million
d'euros de stock-options chez Danone qui licencie. Et on nous parle de moralisation de la vie
politique ! Le président de la République va voir des jeunes en banlieue et balance cette
phrase dantesque : « Tu sais, quand on est président, c'est pas le moment où on gagne le plus
d'argent. » Il est nourri, logé, blanchi, il touche 12500 € d'argent de poche, mais il explique
que tout cela est quand même bien modeste. Jupiter vit sur Mars !
Le débat à venir sur l'état d'urgence vous inquiète-t-il aussi ?
Macron veut introduire dans le droit commun des mesures de l'état d'urgence. L'idée que l'on
4/5
va lutter contre le terrorisme en abandonnant ce qui fait la force de nos sociétés démocratiques
- nos libertés- est insensée. Les perquisitions et le fichage vont être facilités, et vous croyez
vraiment que c'est ce qui va nous sauver ?
Comment va s'organiser la réplique à la loi Travail ?
La manière dont a été traité le Parlement est inadmissible. Quelle était l'urgence à imposer par
ordonnance une loi de casse du droit du travail en juillet, sans débat public, sans possibilité de
mobilisation ? On n'a pas discuté du contenu mais du périmètre de ce que le gouvernement
pouvait bouleverser. Sur les horaires de travail, sur les formes de contrats, Emmanuel Macron
et Édouard Philippe décideront, à la place du Parlement, des normes à venir. La méthode
visait à étouffer toute possibilité de prise de conscience. D'où ces rendez-vous en septembre et
j'espère que le réveil sera cinglant pour le gouvernement.
Pourquoi un rassemblement organisé par la FI le 23 et la manifestation des syndicats le
12 ?
On pourrait dire que les syndicats s'occupent de la rue et les politiques de l'Assemblée. Mais
nous nous battons depuis plusieurs décennies pour une autre articulation entre social et
politique. Donc, des députés qui ont une capacité à entraîner dans la rue le monde populaire,
cela peut être aussi un atout.
Pourquoi pas tous ensemble ?
Je ne sais pas si le fait d'avoir deux rendez-vous est un handicap pour qu'il y ait un maximum
de monde
Vous rencontrez les syndicats officiellement, officieusement ?
On se parle mais il n'y a pas une grande réunion
politique où on se met tous autour de la table.
D'ailleurs je ne crois pas que les syndicats le
souhaitent. La situation est à la fois pleine de
potentialités et difficile. On n'a pas eu le temps
de sortir la tête de la loi El Khomri que, déjà, les
ordonnances pour une nouvelle loi Travail
arrivent. Avec la brutalité des politiques
gouvernementales qui se suivent et se
ressemblent, ce n'est pas facile pour les
syndicats d'emmener au front des salariés avec
une hypothèse de victoire difficile à évaluer.
Combien de temps peut-on tenir aujourd'hui
dans la grève reconductible ?
Il ne suffit pas de
décréter la grève générale pour qu'elle arrive !
Mais, de manière plus générale, je vois un
regain de contestation sociale. Et la création
artistique de ces dernières années le traduit.
Côté littérature, je pense à L'Esprit de l'ivresse
de Loïc Merle, aux récits subversifs de Lola
Lafon ou Virginie Despentes, aux Renards
pâles de Yannick Haenel, au 14 juillet d'Éric
Vuillard... On n'est plus dans l'autofiction des
années 90. Comme au cinéma avec Deux jours,
une nuit des frères Dardenne, La Loi du marché de Stéphane Brizé ou Moi, Daniel Blake de
Ken Loach, tous deux primés à Cannes... On retrouve là quête de collectif, la conflictualité sociale, la question de classe. Un parfum de révolution.
Avez-vous l'impression que les musulmans de France s'écartent de la République ou est-ce
la République qui s'écarte d'eux ?
Y a-t-il un risque de clivage ?
Il ne le faut pas. C'est pour ça que sur le foulard, je dis stop ! Plus on en parle, plus il y a
crispation. Je le vois dans ma circonscription où mettre le foulard devient un acte de
résistance, d'opposition pour certaines femmes. Elles demandent juste qu'on leur fiche la
paix ! Et il faut discuter avec elles car beaucoup se battent aussi pour le droit des femmes ! Et
dans le même temps, un islam radical et intégriste perce. Si on ne comprend pas ce double
mouvement, on exclut une partie de la population acquise aux valeurs de liberté, d'égalité et
de fraternité, mais qui cherche comment les faire vivre. Et je trouve qu'on a une tendance, au
lieu de tendre la main, à rejeter, et donc, d'une certaine manière, à produire du repli et de la
radicalisation.
Le discours dominant a un côté donneur de leçons peu efficace.
À quoi devrait ressembler une gauche au pouvoir aujourd'hui ?
Si on veut transformer le pays, nous devons avoir une idée très élevée du changement.
Comme disait Jean Poperen, quand on arrive au pouvoir, on a intérêt à être bien rouge parce
que, de toute façon, on pâlit. Plus sérieusement, il faut une grande détermination et la force de
la garder, ce qui suppose de s'appuyer sur la mobilisation populaire. Erri De Luca, dans La
Parole contraire, écrit : « L'utopie ce n'est pas l'horizon, c'est le point départ. » Un beau
programme pour commencer !
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