dimanche 11 octobre 2009

Que penser de la « Taxe Carbone » ?


Loin de marquer un jalon dans une politique de rupture avec une économie destructrice des écosystèmes, la « taxe carbone » s'inscrit dans la continuité d'une politique libérale dans laquelle la production et la consommation sont régies par le marché. Alors qu'une véritable fiscalité écologique aurait pu constituer un volet essentiel d'une politique de reconversion écologique de l'économie, la « taxe carbone » à la Sarkozy protège les intérêts des entreprises les plus polluantes, ne touche pas aux intérêts du lobby nucléaire et s'avère n'être que le vernis vert d'une économie qui poursuit sa lancée sur la voie de la destruction de la planète.


Eléments explicatifs

À partir du 1er janvier 2010, les émissions de gaz à effet de serre (GES) liées à la combustion des énergies fossiles seront taxées sur la base de 17€ la tonne. Cette taxe s'appliquera au fioul, à l’essence, au gasoil, au gaz, au charbon et au GPL. Le prix de « 17 €/tonne de CO2 » impliquera un surcoût de 4,5 cts par litre de fioul ou de gasoil, 4 cts par litre d'essence et 0,35 cts par KwH de gaz. La taxe s'appliquera aux ménages et aux entreprises. Elle ne touchera pas le transport aérien, ni les grandes entreprises déjà soumises au système européen des permis d'émission (dont les fournisseurs d'électricité).

Le gouvernement estime qu'à ce prix, le coût moyen par foyer sera de 74€ pour l'année 2010. Il s'est engagé à compenser ce coût par un crédit d'impôt – ou un chèque vert – qui sera versé aux ménages dès février 2010. Ce montant sera de 46€ par adulte et 10€ par enfant, auxquels s'ajouteront 15€ par adulte au cas où le foyer réside dans une zone non couverte par les transports en commun. En ce qui concerne les entreprises, aucune compensation n'est prévue, les entreprises bénéficiant de l'annulation de la Taxe Professionnelle portant sur les actifs industriels.


La taxe carbone est-elle juste socialement ?


A priori, il est difficile de la présenter comme anti-sociale, du moins, si on ne considère que son volet « particuliers ». En effet, l’intégralité des prélèvements étant redistribuée sur une base uniforme, cette taxe agit en réalité comme une redistribution des sommes prélevées. Plus précisément, d’après une étude de l'ADEME[1] (cette mesure serait favorable aux 3 déciles[2] inférieurs et pénaliserait les 7 déciles supérieurs.


Si on intègre les mesures touchant les entreprises, on ne peut en revanche qu’être choqué-e par la différence de traitement entre les grandes entreprises soumises au système européen des permis d'émission, qui sont exonérées de cette taxe, et les autres. Il existe en effet une différence de taille entre les deux mécanismes : les permis d'émission sont accordés gracieusement aux industries polluantes, tandis que la taxe carbone implique une somme à payer. On sait par ailleurs de quelle manière les mécanismes de flexibilité associés au système des permis (dont les « Mécanismes de Développement Propre »), ainsi que l’instauration d’une bourse du carbone, permettent aux entreprises les plus habiles en matière de spéculation, et les plus aptes à utiliser les possibilités de détournement du système (investissements dans les pays du Sud qui rapportent doublement, financièrement et en termes de quotas d’émissions) à sortir gagnantes de ces pseudo-mesures écologiques. On ne peut également que s’indigner de ce que les « producteurs agricoles », qui contribuent au réchauffement climatique de par l’influence de gaz autres que le CO2, liés à l’élevage (méthane ; protoxyde d’azote) au potentiel de réchauffement dramatiquement plus grave (23 fois plus pour le méthane ; 296 fois plus pour le protoxyde d’azote), ne soient pas concernés par l’instauration de la taxe, ce qui semble indiquer clairement quels intérêts le gouvernement protège.


Par ailleurs, considérée dans un paysage fiscal plus large, l’instauration de la « taxe carbone » peut inquiéter. Elle est en effet associée à la réforme de la Taxe Professionnelle (TP), qui occasionnera une perte nette d'environ 8 milliards d'euros pour le budget de l'État. Le produit attendu de la Taxe Carbone sera de l'ordre de 4,3 milliards d'euros, dont 2,3 milliards environ redistribués aux ménages, soit 2 milliards nets prélevés sur les entreprises. La combinaison de l'abandon de la TP et la mise en place de la taxe carbone aboutit donc à faire un cadeau de 6 milliards d'euros aux entreprises. La TP alimentait essentiellement les budgets des collectivités territoriales, et on peut valablement se demander si l’effet combiné des deux taxes ne risque pas d'amener les collectivités locales à augmenter les prélèvements aux particuliers, ce qui, au final, pèsera sur les ménages.


Est-elle efficace écologiquement ?


La première remarque à faire au sujet de cette taxe est qu'elle évite soigneusement de pénaliser la consommation électrique, ce qui, dans l'environnement industriel français, constitue une prime indiscutable à l'énergie d'origine nucléaire. Souvent présentée comme une énergie « propre » en ce qui concerne le climat, la filière nucléaire émet néanmoins des quantités de GES non négligeables, liées au cycle de vie des réacteurs (construction, démantèlement), et de leur combustible (extraction, transport, retraitement…). Alors que la voie d'une économie véritablement écologiste devrait reposer surtout sur des encouragements aux économies d'énergie, cette « taxe carbone » constitue en fait une prime à l'énergie nucléaire.


Nous avons mentionné plus haut l’impact de l’agriculture, et notamment de l’élevage, qui est responsable sur Terre de 18% des émissions de GES (rapport de la FAO, novembre 2006). Il est très préoccupant que la taxe fasse l’impasse sur un secteur aussi important. Il est par ailleurs incompréhensible que le secteur aérien, qui est responsable de 4% des émissions de gaz d’origine anthropique, proportion en augmentation très rapide, soit également exclu de la taxation (comme c’est déjà le cas pour le transport aérien international, qui n’est pas comptabilisé dans le cadre du protocole de Kyoto).


Deuxièmement, on peut s’interroger sur les effets dissuasifs sur la consommation d’une taxe au montant aussi faible, qui ne pèsera que de 80€ par an sur les ménages les plus touchés, c'est-à-dire les plus riches (d’après l’étude de l’ADEME). Est-ce en demandant une somme aussi modique au dixième de la population ayant les revenus les plus élevés que l'on espère les voir changer de comportement ? La manière dont le débat a été orchestré par le gouvernement montre que celui-ci ne voulait surtout rien faire qui pénaliserait la consommation et donc les profits des entreprises : on a laissé un tollé s'installer autour d'un prélèvement de 32 € la tonne pour, quelques mois plus tard, diviser ce montant par presque deux et instaurer une redistribution totale de ses bénéfices, ce qui divise à nouveau ses effets sur les ménages les plus riches par 2 ! On aurait voulu dénigrer une fiscalité écologique qu'on ne s'y serait pas mieux pris...


Enfin et surtout, il s’agit d’un dispositif censé conduire à une réorientation des comportements, mais qui ne participe d’aucune politique permettant à ces comportements de se réorienter vers des pratiques moins nocives écologiquement. Il s’inscrit dans le cadre d’une politique de casse des services publics (fret ferroviaire, transport de passagers) et de soutien aux activités les plus polluantes (industrie automobile, élevage, autoroutes…). De manière générale, une mesure dissuasive n'a de sens que si elle s'accompagne d'une politique offensive offrant aux agents économiques de réels choix. Ce n'est bien entendu aucunement l'orientation du gouvernement qui consiste à laisser le marché régler les choix économiques fondamentaux pour le meilleur profit des détenteurs de capitaux.

Des propositions alternatives

Si taxe il doit avoir, nous revendiquons le principe du pollueur-payeur, c'est-à-dire que les responsables des émissions de GES soit taxés sans exemption – de même que nous nous prononçons pour une fin des exceptions dans l’application de la TIPP (transport aérien ; marins-pêcheurs ; taxis…) – : production d’énergie y compris nucléaire ; grandes entreprises soumises aux permis d’émission ; agriculture.

Surtout, nous n’envisageons une telle taxe que dans le cadre d’une politique écologique ambitieuse et cohérente. La fiscalité doit accompagner une telle politique, elle ne doit pas s’y substituer. Cette politique doit reposer :


- sur un renforcement et une écologisation des services publics, notamment du transport et du logement, sous contrôle des salarié-e-s et des usager-e-s, avec soutien au fret ferroviaire, et isolation thermique des bâtiments.


- sur un financement important de la recherche dans le domaine des énergies renouvelables, et une aide fiscale aux particuliers et aux entreprises qui désirent recourir à ces énergies.

- sur une relocalisation de la production, notamment alimentaire (avec un soutien à la production coopérative locale), et une incitation aux économies d’énergie et à des pratiques réductrices de l’empreinte écologique et climatique (réduction de la part animale dans l’alimentation)


- sur une rupture avec le culte de la productivité, et une réduction du temps de travail pour tou-te-s, avec une réappropriation des bénéfices des entreprises par les travailleurs/euses au détriment des détenteurs/trices du capital.

(cette contribution est une première synthèse des débats chez les Alternatifs. Elle a été rédigée par Elodie Vieille Blanchard)

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