Ces décisions sont dans le droit fil des promesses que le nouveau Président avait faites durant sa campagne électorale. Au cours des derniers mois, certains observateurs avaient voulu croire que Trump ferait entendre une autre musique, mais il n’en a rien été. Au contraire, l’allocution qu’il a prononcée dans le Jardin des Roses de la Maison-Blanche dégoulinait d’une inquiétante démagogie nationaliste et populiste. What did you expect ? comme dit la publicité…
Victimisation et nationalisme
Pour Trump, l’accord de Paris n’était rien d’autre qu’un scandaleux marché de dupes imposé aux USA. « L’accord de Paris ne porte pas sur le climat, a-t-il dit, il porte sur l’avantage financier que d’autres pays obtiennent par rapport aux États-Unis. Le reste du monde a applaudi lorsque nous avons signé l’accord. Ils étaient heureux, pour la simple raison que nous souffrons d’un très très grand désavantage économique ».
Brossant un tableau apocalyptique des conséquences de l’accord, le Président a affirmé que celui-ci entraînerait la perte de 2,7 millions d’emplois, coûterait 3.000 milliards de dollars aux USA et entraînerait pour les citoyens étasuniens une perte de pouvoir d’achat allant jusqu’à 7000 dollars/an. Il a égrené les chiffres des réductions d’activité qui frapperaient les secteurs industriels : « -86% dans le secteur du charbon », a-t-il dit… en omettant évidemment de mentionner que le solaire donne déjà de l’emploi à 800.000 travailleur-euse-s US (contre 67.000 dans le charbon) et crée plus d’emplois que le secteur charbonnier n’en perd.
Pour Trump, c’est simple : les pauvres étasuniens, trop honnêtes, sont victime d’une énorme injustice ourdie par une méchante machination de tous les autres pays. La dénonciation de l’accord est dès lors un sursaut élémentaire de souveraineté et de dignité nationale : « Les chefs d’Etat de l’Europe et de Chine ne devraient pas avoir plus à dire sur la politique des Etats-Unis que les citoyens américains. Nous ne voulons pas être la risée du monde. Nous ne le serons pas ».
Démagogie populiste et sécuritaire
Retrouvant le ton de ses meetings électoraux, Trump a misé à fond et tout au long de son discours sur la démagogie sociale. Comme si son gouvernement de milliardaires avait pour but de donner un emploi digne et un revenu décent aux travailleur-euse-s de Detroit et de Pittsburgh, comme si l’accord de Paris prenait l’argent et l’emploi des ouvriers étasuniens pour les distribuer à d’autres.
« L’accord de Paris est injuste pour les USA. Il bloque le développement du charbon propre (aux Etats-Unis). La Chine peut construire des centaines de centrales au charbon, l’Inde peut doubler sa production de charbon, même l’Europe peut construire des centrales au charbon ». « Nous avons les réserves d’énergie suffisantes pour sortir de la misère tous les citoyens US, une mine va rouvrir en Pennsylvanie », a-t-il dit ; mais, à cause de l’accord de Paris, « des millions de familles américaines vont rester dans la pauvreté ».
L’axe de cette propagande, c’est l’emploi. Pour Trump, en bon capitaliste, l’emploi dépend évidemment de la croissance : les renouvelables pourraient suffire en cas de croissance molle, dit-il, mais pas dans l’hypothèse d’une croissance de 3 à 4%. Or, c’est ça que Trump fait miroiter avec son slogan « Make America great again » : une Amérique qui crée des jobs en construisant des murs et en fabriquant des armes. “Pour cela, nous avons besoin de toutes les énergies, pas seulement des renouvelables”, dit-il. « Sinon, il y aura un énorme risque de pannes de courants pour des millions de familles ».
Tant qu’à faire dans la démagogie populiste, autant y aller plein pot en invoquant aussi la lutte contre le terrorisme. Trump ne s’en est pas privé : « Un milliard de dollars a déjà été versé au Fonds Vert pour le climat par les USA, y compris avec de l’argent qui était destiné à la lutte contre le terrorisme – pas par moi, par mon prédécesseur », a-t-il lâché.
Pas loin d’un appel à la haine
Trump n’a que faire ni du principe des responsabilités différenciées – qui est au cœur de la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique – ni du fait que les Etats-Unis restent dans le peloton de tête des pays qui émettent le plus de gaz à effet de serre par habitant – très loin devant la Chine, l’Inde, le Brésil. Balayant tout cela d’un revers de main nationaliste, il déclare que, dans le cadre de l’accord de Paris, « la Chine peut continuer à faire ce qu’elle veut pendant 13 ans, (tandis que) l’Inde participe à l’accord à condition de recevoir des milliards d’aide ».
Parlant du Fonds Vert pour le Climat (décidé à la COP de Cancun pour aider les pays du Sud dans la transition et l’adaptation), le Président n’a pas craint d’affirmer que ce Fonds avait pour but de « s’emparer de la richesse des USA pour la redistribuer aux pays en voie de développement ». Et d’ajouter : « Nous avons 20.000 milliards de dettes, des millions de travailleurs sans emploi, des villes n’ont pas d’argent pour embaucher dans la police. Cet argent devrait être investi ici, et pas envoyé à des pays qui nous ont saisi nos usines et nos emplois ». On n’est pas loin d’un appel à la haine, là. Une haine impérialiste, pour détourner les travailleur-euse-s US des patrons US qui ont délocalisé leur production dans les pays à bas salaire.
Une différence de 0,2°C ?
Sur le climat proprement dit, le locataire de la Maison-Blanche n’a pas dit grand’ chose. Notons toutefois cette affirmation péremptoire extraordinaire : « l’accord de Paris ne ferait une différence que de 0,2°C ». A quelle échéance ? Par rapport à quelle baseline ? Mystère.
Nous avons assez répété ici que l’accord de Paris n’est qu’une déclaration d’intentions. Mais c’est une déclaration d’intention qui a au moins l’avantage – c’est le seul – de fixer un objectif : « rester bien au-dessous de 2°C, et continuer les efforts pour ne pas dépasser 1,5°C ». Les contributions nationales à cet objectif nous mettent sur la voie d’un réchauffement de 3 à 4°C d’ici la fin du siècle. Mais ne rien faire pourrait faire grimper le mercure jusqu’à 6°C. Or, ne rien faire est précisément ce que les Etats-Unis viennent de décider. Cela implique une différence bien supérieure à 0,2°C°
Renégocier ? Mon œil…
En même temps qu’il répétait inlassablement sa dénonciation de l’accord conclu à la COP21, Trump a déclaré qu’il était prêt à négocier la réadhésion des Etats-Unis à ce texte, ou à négocier un accord « entièrement nouveau », à condition qu’il ne nuise pas à l’Amérique et à ses citoyens. On se demande quelle est la cohérence de cette proposition, venant d’un individu qui affirme que le changement climatique est un hoax créé par les Chinois pour nuire à l’économie américaine…
De toute manière, la violence des propos de Trump ne laisse guère de crédibilité à cette proposition de renégocier. Outre les pays « émergents » et les pays « en voie de développement », le troll de la Maison Blanche s’en est en effet pris directement à ses partenaires européens : « Ceux qui demandent aux USA de rester dans l’accord sont des pays qui coûtent cher aux USA par leurs pratiques commerciales et ne versent pas leur contribution à l’alliance militaire ». C’est Merkel qui est visée. Le torchon brûle vraiment entre Washington et Berlin.
Comment faut-il interpréter tout cela ? Une analyse est nécessaire à plusieurs niveaux, et il faudra y revenir : ceci n’est qu’une première réaction à chaud.
La fuite en avant d’un troll blessé
Sur le plan de la politique intérieure US, la dénonciation de l’accord donne l’impression d’une fuite en avant de Trump pour tenter de se sortir d’une situation de plus en plus précaire, où des voix de plus en plus nombreuses se font entendre en faveur d’une procédure d’empeachment.
Trump était face à un choix difficile. S’il restait dans l’accord, il se « normalisait » (un peu) en tant que Président « responsable », répondait positivement aux souhaits majoritaire des milieux d’affaire (y compris ExxonMobil et autres groupes énergétiques !) et rassurait l’opinion publique US (elle est en majorité convaincue et inquiète de la réalité du changement climatique). Mais s’il se « normalisait », justement, il tournait le dos à sa base militante, populiste et réactionnaire, et perdait un atout important parmi les élus du Parti Républicain, qui sont très loin de le soutenir unanimement, mais sont en majorité climato-négationnistes.
Précisément parce qu’il est fragilisé, Trump a choisi de satisfaire sa base – représentée au sein de son équipe par Bannon, Pence, Pruitt, Session et quelques autres. Mike Pence – qui a introduit son allocution – et Scott Pruitt – qui l’a commentée – ont tous deux insisté lourdement sur cet aspect : le Président fait ce qu’il a dit. (Pruitt – qui a vraiment l’air d’un larbin cireur de pompes de son maître- en a par ailleurs rajouté dans le populisme, parlant de « classe ouvrière », et saluant Trump comme « le champion des oublié-e-s de ce pays » !).
Ce choix en faveur de sa base était sans doute le moins mauvais possible pour Trump, à court terme. Mais, à moyen terme, en se recentrant sur son « core business » national-populiste, le Président pourrait rapprocher le moment où les cercles dominants du grand capital et leurs représentants politiques décideront de se débarrasser de lui. On en saura plus dans les prochains jours, notamment avec l’audition de l’ex-président du FBI, Comey, à la commission du Sénat sur le renseignement.
Bien mesurer l’impact climatique
Sur le plan de l’impact climatique, le retrait des USA est grave, mais ne doit pas être dramatisé. Le fond de l’affaire, en effet, est que l’accord de Paris ne permet absolument pas d’éviter la catastrophe. Cela ne signifie pas que sa dénonciation est sans importance, cela signifie la capacité de nuisance de Trump doit être appréciée à sa juste mesure… Sans tomber dans le soutien à l’accord de Paris ainsi qu’à ses partisans européens, chinois, ou autres, qui se donnent le beau rôle à bon marché alors qu’ils contribuent allègrement à la catastrophe climatique.
Infographie présentant l’impact du fait que les USA rejoignent le Nicaragua et la Syrie, les deux seuls pays qui n’ont pas ratifié l’accord de Paris
Les émissions US représentent 10% des émissions mondiales. Décidée sous Obama, la contribution nationale (NDC) des Etats-Unis visait à les réduire de 26 à 28% en 2025, par rapport à 2005. Cela représente un effort à peine supérieur à celui que les USA auraient dû avoir réalisé au plus tard en 2012, s’ils avaient ratifié Kyoto. De plus, les mesures prises par Obama ne couvraient l’objectif qu’à 83%.
Ce n’est pas tout. Cet effort n’en était en réalité pas un : il correspondait quasi-complètement à la réduction « spontanée » d’émissions découlant du fait que les groupes énergétiques étasuniens désinvestissent du charbon au profit du gaz de schiste – qui est à la fois moins polluant et moins cher – et des renouvelables. La suppression du Clean power plan et des autres mesures d’Obama est plus grave que la dénonciation de l’accord, mais n’arrêtera pas le mouvement du capital.
Danger de dérapage géostratégique
C’est sur le plan géostratégique que l’essentiel semble se jouer. La communication de Trump sur le climat confirme en effet qu’un engrenage est en mouvement. La crise entre l’Union Européenne et les USA s’aiguise, et le ton monte entre les concurrents. Un vaste réalignement des forces impérialistes, incluant l’éclatement de l’OTAN, une réforme/militarisation de l’UE, et un rapprochement Chine-UE n’est plus tout à fait un scénario de science-fiction.
Les cercles dominants du grand capital international ne veulent pas de ce scénario mais, comme nous l’avons noté dans notre article sur « La place du Trumpisme dans l’histoire » [1], certains éléments font que la situation pourrait échapper au contrôle des protagonistes. Un de ces éléments est de toute évidence la politique de Trump lui-même.
Ici, il faut insister sur le fait que cette politique n’est pas dictée simplement et mécaniquement par la bourgeoisie (des centaines de dirigeants de grandes entreprises US ont pressé Trump de rester dans l’accord, y compris des dirigeants du secteur énergétique), ni même par tel ou tel secteur de la classe capitaliste. Il y a au contraire double autonomie relative, qui s’affirme surtout dans les contextes de crise politique : autonomie de la sphère politique par rapport à la sphère économique, et de l’individu (Trump avec sa garde rapprochée) par rapport à la sphère politique bourgeoise dans son ensemble.
En d’autres termes : la fuite en avant que Trump fait sur le climat – parce qu’il est fragilisé par l’enquête sur ses liens avec la Russie – pourrait se prolonger sur d’autres terrains, y compris militaires. Cela pourrait alors avoir les plus graves conséquences… et ramener ipso facto la lutte pour le climat au Xe rang des préoccupations. Pour tous les protagonistes, alors même que l’urgence est vraiment maximale.
Que faire ? Que dire ?
Ce n’est pas le moment de se tromper d’objectif…
Il faut évidemment dénoncer la politique de Trump, mais exiger que les USA restent dans l’accord de Paris n’a guère de sens. Négocier des concessions pour qu’ils y restent serait inacceptable. Qu’ils en sortent plutôt : cela isolera Trump au maximum, encouragera les luttes des mouvements sociaux aux USA contre sa politique, et l’empêchera de répandre ses fadaises climato-négationnistes dans l’arène internationale.
Les objectifs de réduction des émissions des gouvernements qui s’indignent du retrait US doivent être augmentés radicalement, pour combler ce retrait mais aussi pour combler le fossé entre l’objectif de 1,5°C maximum, d’une part, et les contributions nationales de ces Etats, d’autre part. Ils doivent l’être dans la justice sociale et la justice Nord-Sud, ce qui implique des mesures anticapitalistes radicales, au lieu des « droits de polluer » et autres « mécanismes de marché ».
Aucun soutien à l’accord de Paris, aucun soutien à l’axe Chine-Union Européenne. Ce que l’affaire Trump prouve en dernière instance, c’est qu’une réponse à la hauteur du défi climatique n’est pas possible en respectant les lois d’un capitalisme assoiffé de croissance/de profit et d’une politique néolibérale qui sème le chômage, la misère et les inégalités. La défense du climat passe par la lutte des mouvements sociaux et la convergence des luttes. Il s’agit de relancer un mouvement mondial en faveur de la justice climatique.
Assez de tour de passe-passe et de demi-mesures : respect inconditionnel des engagements du Fonds Vert pour le climat ; halte aux grands travaux d’infrastructures fossiles ; suppression des productions inutiles, nuisibles (armes !), et à obsolescence programmée ; socialisation de l’énergie, du crédit et de l’eau ; soutien à une agriculture écologique de proximité et souveraineté alimentaire ; réduction radicale du temps de travail, sans perte de salaire ; développement du secteur public sous contrôle des usagers dans les domaines du transport et de l’isolation-rénovation… Seules des revendications de ce genre ouvrent une issue à la hauteur de l’urgence et de la gravité de la double crise sociale et écologique.
Daniel Tanuro, le 1er juin 2017
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