lundi 31 octobre 2016

Que veut la police? par Noël Mamère

Depuis maintenant trois semaines, les policiers sont dans la rue. Imitant ceux qu’ils réprimaient le printemps dernier, ils passent leurs nuits debout, cagoulés, à vitupérer le gouvernement. 

En cela, comme toute profession en souffrance en raison de conditions de travail et de vie inacceptables, leur colère est compréhensible. Les horaires qui leur sont imposés compromettent leur vie de famille, leur santé physique et mentale. Ils sont dans une situation d’épuisement, un burn out permanent, consécutif à des tâches répétitives et souvent stupides comme, par exemple, garder des caméras de surveillance, - leurs collègues de Viry-Châtillon, blessés grièvement par une agression injustifiable et qui doit être condamnée le plus fermement possible, en savent quelque chose. Tout cela est vrai et mérite notre compréhension. 


 Mais la nature politique de ce mouvement n’aura échappé à personne ; il tient à la nature même de la profession de policiers, qui leur donne un pouvoir démesuré et conditionne leurs revendications. Celles-ci ne se résument pas à plus de moyens humains ou matériels, car leur véritable objectif est de peser sur la politique pénale du gouvernement dans le but de faire passer la Justice au second plan derrière la police. 

C’est ainsi qu’ils exigent le retour des peines planchers, la fin de la pratique du sursis, la suppression du juge d’application des peines, l’incarcération pour comparution immédiate, l’anonymat des plaintes pour les policiers victimes de violences… 

Autant de revendications qui reviennent à remettre en question la séparation des pouvoirs, fondatrice de notre République, alors que toutes les études montrent au contraire que le prétendu «laxisme» des juges n’est qu’une fable grossière. 

Mais la réalité est encore plus triviale : la culture du résultat, imposée par Sarkozy, a mené à l’interpellation pour des délits mineurs relevant de l’incivilité ; des milliers de personnes qui, auparavant, étaient connues de la police de proximité sont mises en garde à vue et incarcérées pour des délits mineurs… Pendant que le banditisme prospère. Résultat : les cours de justice sont encombrées par des procédures inutiles et la magistrature est encore plus dépenaillée que la police. 

La question posée par les policiers ne ferait donc qu’augmenter les tensions entre la police et les justiciables. 

La deuxième exigence, à la racine du mouvement policier d’octobre, est encore pire. Il s’agit d’«américaniser» la police en lui donnant un droit de légitime défense, c’est à dire, en clair, un permis de tuer. 

Dans le climat actuel, on voit que les bavures, comme celle dont fut victime Adama Traoré en juillet et le « forcené » de Grenoble ce week-end, se multiplieraient avec les mêmes conséquences qu’aux Etats-Unis : des émeutes, avec à la clef une situation de guerre civile larvée dans les banlieues. 

Est-ce cela que les policiers en mouvement revendiquent ? Est-ce que cela revaloriserait leur travail et les rapprocherait de la population ? Nous ne le pensons pas. 

En ne respectant pas ses promesses, comme celle de la fin des contrôles d’identité abusifs, grâce à la délivrance d’un récépissé, ce pouvoir a confirmé le sentiment d’impunité d’une police au-dessus des lois. 

Aujourd’hui, on bascule du sentiment à la volonté d’intervention politique. Et c’est bien cela qui doit nous inquiéter, parce que la police, la gendarmerie et l’armée ne sont pas des institutions comme les autres ; elles sont le bras armé de l’Etat. Si elles veulent s’y substituer, attention danger ! 

La dernière fois que certains l’ont tenté, c’était en 1958, à la faveur d’une décomposition politique majeure, d’une Quatrième République en faillite. Nous n’en sommes pas là mais la faiblesse de l’actuel gouvernement et l’influence de l’extrême droite autorisent toutes les hypothèses, même les pires. 

« L’octobre debout » des policiers en colère a pour nous d’étranges résonances ; Il nous rappelle des anniversaires qu’on souhaiteraiet n’avoir jamais eu à commémorer : le 17 octobre 1961 et l’assassinat de centaines d’algériens à Paris ; le 27 octobre 2005, avec la mort de Ziyed et Bouna, à Clichy-sous-Bois et les révoltes qui s’en sont suivies ; le 26 octobre 2013, à Sivens, et la mort de Rémi Fraisse, ce jeune écologiste assassiné pour avoir protesté pacifiquement contre un projet inutile qui fut finalement retiré. 

Un an, bientôt, après le 13 novembre, l’état d’urgence est devenu un état d’exception permanent. Le pouvoir a mis le doigt dans un engrenage fatal. Soit il condamne les policiers qui crient leur colère et il est accusé de rendre les armes face à la montée des violences urbaines, du terrorisme ou des « casseurs », soit il abdique et donne raison à la droite et à Marine Le Pen. 

A force de ménager la chèvre et le chou, de jouer de la politique des coups de menton, il se retrouve pris à son propre piège. Un monarchiste d’antan, Rivarol, expliquait cela à sa manière : « quand les peuples cessent d’estimer, lis cessent d’obéir ». 

Quand c’est le peuple, ça s’appelle une révolution, quand c’est la police, c’est tout autre chose. 

Noël Mamère Le 31/10/2016.

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