Au lendemain de la journée pour les droits des femmes, ce fameux 8 mars qui vous aura permis au moins une fois dans l’année d’entendre parler du pays… des inégalités entre les sexes, a-t-on les idées claires sur ce qu’est le féminisme ? Malheureusement, les stéréotypes ont la vie dure et la cécité reste largement de mise tant, pour reprendre la formule de Pierre Bourdieu, « nous faisons comme si la révolution féministe était un fait accompli ».
Contrairement à un sentiment largement répandu, le féminisme n’est pas un dogme mais un mouvement d’idées et de pratiques qui vise l’émancipation des femmes et porte l’idéal d’égalité. Mais l’histoire du féminisme est particulièrement méconnue. Ses grandes heures, notamment sous la Troisième République et dans les années 1968, n’ont pas laissé la trace qu’elles méritent. Et les débats qui les ont traversé restent opaques pour le plus grand nombre. Les batailles en son sein, par exemple entre les courants matérialistes et essentialistes, ont fait rage et continuent de susciter la controverse, notamment autour d’une question substantielle : que faire de la différence des sexes ? Manière de vous dire que le féminisme mérite un « s » tant il ne recouvre pas une théorie unique et ficelée mais recèle une richesse intellectuelle dense et complexe pour penser la société.
Mais à part Simone de Beauvoir, peu de ses figures ont franchi le seuil de la culture générale commune. Peu d’entre nous connaissent Hubertine Auclert, la première femme à s’auto-proclamer féministe en 1892, Clara Zetkin, Madeleine Pelletier, Maria Deraismes ou Christine Delphy. Et pourtant, grâce aux mobilisations féministes, le XXe siècle aura été celui de la révolution en matière de rapports sociaux entre les sexes. Nous pouvons maintenant porter un pantalon, voter, travailler sans l’autorisation de notre mari ou prendre la pilule : le chemin parcouru en un siècle est proprement hallucinant. Ce qui n’enlève rien à tout ce qu’il reste à conquérir pour que l’égalité proclamée dans la loi soit pratiquée dans la vie : ce passage de l’égalité formelle à l’égalité réelle est l’enjeu du féminisme contemporain. On ne sait par quel bout prendre le problème… Et ce d’autant qu’une lecture féministe conséquente fait le lien entre la galanterie, les violences faites aux femmes, l’inégale répartition des tâches domestiques, le nom de famille, les inégalités professionnelles, les insultes sexistes ou encore la sous-représentation des femmes dans les lieux de pouvoir. Tous les espaces où s’exerce la domination masculine, toutes ses formes, sont à considérer parce que c’est le rappel à l’ordre des sexes dans chaque moment et geste du quotidien qui permet aux inégalités et violences de s’exercer. Tout récemment, on a rétorqué aux féministes qui portent la demande de suppression du “mademoiselle” des formulaires administratifs qu’il y a des questions plus importantes. Or, comme l’explique Geneviève Fraisse sur le site du Nouvel Observateur, la suppression du mademoiselle « soulève le problème de la discrimination à l’emploi ou celui de l’immixtion dans la vie privée, elle renvoie à l’image de soi comme femme sexuée et sexuelle, bref elle touche à l’ensemble de la vie d’une femme ». La philosophe explique que « tous les combats sont liés, mais on préfère les fragmenter (…) parce que la société a besoin de maintenir la fragmentation des revendications de l’égalité des sexes. (…) Si l’on reliait tous les combats, nos interlocuteurs seraient obligés de reconnaître le problème dans sa globalité, à savoir que nous vivons dans une société d’inégalité entre les sexes, plus précisément encore, de domination masculine ».
Voilà peut-être ce qui dérange fondamentalement dans le féminisme : c’est cette lecture qui touche à tout, au plus flagrant comme au plus insidieux, au plus violent comme au plus sournois, au plus visible comme au plus intime. Ce regard global vise à changer les normes pour les mettre à l’heure de l’égalité et de la liberté. Loin des nombreux discours lénifiants sur les droits des femmes qui prennent le problème à sa surface.
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