lundi 3 juin 2013

Réforme des collectivités, décentralisation, quels moyens pour la démocratie locale - Base de l’intervention de Bertrand Vrain à la Fête des Nouvelles de Loire-Atlantique (PCF) à Saint-Nazaire le 19 mai 2013



Nous vivons un triple et monumental paradoxe surréaliste. La situation économique dépressive étouffe les peuples mais laisse émerger une caste de riches, accaparant le travail social pour leur seul profit avec la complicité de bien des gouvernements. Cette situation génère des bouleversements sociaux dont on ne voit, ni l’évolution positive, ni l’issue. Alors que nos pays d’Europe n’ont jamais été aussi riches, la pauvreté et le chômage ne cessent de se développer et c’est la concurrence de tous contre tous. 

Deuxième paradoxe : la situation écologique de la terre n’a jamais été aussi inquiétante, tant du point de vue des multiples pollutions qui mettent à mal la santé publique que du point de vue du réchauffement climatique qui met en péril l’évolution même de nos territoires et qui générera dès demain migrations et guerres. Et pourtant les politiques publiques et les autorités internationales ne réagissent qu’avec timidité et restent dictées par des considérations d’accaparement des ressources et de gaspillage pourvu qu’il y ait à la clef création des profits pour les actionnaires. 

Troisième paradoxe : l’exercice démocratique n’arrête pas de se détériorer ou de se déliter, aidé par les injustices que les gouvernements n’arrivent pas à endiguer, lorsqu’ils en ont l’intention, ou par le cynisme des écarts entre les décisions prises par les peuples et celles des représentations, parlementaires ou européennes ; on a toutes et tous en mémoire le NON au TCE en 2005 suivi aussitôt de l’adoption par voie parlementaire du traité de Lisbonne, clone du même TCE. La légitimité des assemblées élues rentre ici en contradiction avec les mouvements de fond de la société. Avec de tels écarts, on ne s’étonnera pas que les taux d’abstention augmentent. 


Cet éloignement entre les élus et les citoyens laisse de côté l’impérieuse nécessité d’un fonctionnement d’une démocratie active qui ne se limite pas aux moments électoraux, pour nécessaires qu’ils soient. 

Cette description des fonctionnements nationaux et européens est aussi prégnante pour nos collectivités locales et la vie de nos territoires, ici en Loire-Atlantique dans la grande métropole Nantes Saint-Nazaire mais aussi dans notre région. 

Le titre de ce débat « Réforme des collectivités, décentralisation, quels moyens pour la démocratie locale » donne bien des enjeux pour la vie de ce territoire dans lequel nous vivons : l’exposé des motifs du « projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles », en discussion au Parlement, précise que la réforme « vise à renforcer l’efficacité de la puissance publique … et à améliorer la qualité des services publics … » mais reconnaît que « Un sentiment de défiance s’est installé entre les citoyens et leurs élus .. » et de cibler un soutien local aux entreprises pour une nouvelle croissance économique.

Le quatrième principe exposé dans le texte mentionne bien : « la démocratie pour favoriser un meilleur contrôle du citoyen en développant la participation et l’évaluation ». Pour le détail, il faudra attendre car ce premier projet de loi ne traite pas des solidarités territoriales ni de la démocratie qui feront l’objet du troisième projet de loi alors que le deuxième est ciblé sur la croissance. De ce point de vue , le processus fonctionne à l’envers. 

Dans ce premier projet de loi, l’affirmation des métropoles est manifestement l’objet central. Il ne revient pas sur la loi de l’ère Sarkozy du 16 décembre 2010, sauf dernières modifications, le ton reste le même : c’est plutôt la continuité ! Les dispositifs de « conférences territoriales de l’action publique » débouchant sur des « pactes de gouvernance territoriale » avec ses « schémas d’organisation sectoriels » sont sans doute de bons dispositifs qui pourraient permettre une vie démocratique renouvelée mais les fondamentaux du fonctionnement des collectivités restent inchangés : l’Article 31 donne le ton : les « villes françaises … ont besoin d’affirmer leurs fonctions économiques afin de mieux s’intégrer dans la compétition économique des villes européennes » qui sont « en concurrence en termes d’attractivité ». 

Les mots clés sont là : concurrence et attractivité, mots fétiches dans une Europe qui place par dessus de tout la libre circulation et la concurrence. Notre conception, pour nous, Alternatifs, n’est pas celle-ci. Aux concurrences entre les territoires et les populations, nous préférons les coopérations ; nous ne sommes pas des produits à vendre. 

Nous voyons bien que les affirmations fétiches reprises par les grands élus mettent les territoires au même plan que les marchandises : les territoires sont mis sur le marché : quel cynisme. Un ensemble de citoyennes et de citoyens qui vivent sur ces territoires sont en quelque sorte exposés sur le vaste marché bien peu régulé ; on a dépassé l’économie de marché pour verser dans la société de marché : même les territoires sont à vendre, un peu à l’image des parties de territoire grec, ports, plages, etc… vendues au plus offrant. Cette promotion du territoire débouche sur le marketing territorial et les nombreuses marques, comme on fait de la pub pour les voitures, les nouilles ou les savonnettes. 

Vous avez eu, ici, à Saint-Nazaire « AUDACITY, St-Nazaire, port d’attache(s) » mais Nantes n’a rien à vous envier avec une communication foisonnante, c’est le cas de le dire (voir « NANTES JUST IMAGINE.COM ») Vous remarquerez que dans ces publicités, les anglicismes sont omniprésents. 

Mais, à travers cette immersion dans la foire mondiale, deux questions majeures sont toujours présentes et jusqu’à maintenant non traitées : la première concerne la vie de tous les territoires et pas seulement les métropoles avec notamment l’espace rural et la deuxième la vie démocratique des collectivités, encore non modifiée et extraordinairement pauvre. 

4/5 des personnes vivent en milieu urbain et l’organisation du fait urbain est bien sûr une nécessité, mais l’espace rural est singulièrement absent de la proposition de loi. 

La notion de pays a disparu et n’est pas réintroduite, sous une forme ou sous une autre. Or l’équilibre urbain-rural est au cœur d’enjeux à la fois alimentaires et politiques. Nous avons toutes et tous en mémoire les votes d’extrême droite intervenus dans les zones intermédiaires entre urbanité et campagne. 

Nous avons accompagné, depuis des années, des regroupements de communes, la création de communautés d’agglomération ou de la communautés urbaine de Nantes, Nantes métropole. Au fur et à mesure, les compétences exercées par les communes ont été transférées à ces Etablissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI). L’organisation du territoire a intégré, de façon volontaire, des communes puis des EPCI et le SCOT Nantes St-Nazaire à délimité un territoire sur un mode coopératif. 

Le SCOT a produit de bonnes recommandations, en matière de transport, de lutte contre l’étalement urbain et l’artificialisation des sols et de bien d’autres aspects mais n’a pas pu travailler sur un vrai espace de vie, par exemple autour de Nantes et qui correspondrait peu ou prou à l’aire urbaine. Les équilibres Urbain-Rural n’étaient pas pris en compte dans la loi de 2010. Ils ne le sont pas davantage dans le projet de loi actuel. 

Elus au sein du SCOT Nantes St-Nazaire, Les Alternatifs se sont opposés, en Conseil municipal de Nantes, en Conseil Communautaire de Nantes-métropole, à sa transformation en pôle métropolitain, qui n’ajoute pratiquement rien à la structuration actuelle, qui ne traite pas ces espaces intermédiaires et les déséquilibres Urbain-rural et qui est simplement repris de cette loi de décembre 2010 tant décriée par toute la gauche. 

Cette marche pratiquée à la hussarde par le président de l’époque et actuel Premier Ministre pourrait être interprétée comme l’intention de ne rien abroger sur le sujet, ce qui semble se confirmer. Alors qu’il affirme vouloir améliorer la qualité du service public, ces espaces intermédiaires où les services publics sont plus ou moins en perdition ne sont pas traités. Ce ne sont pas les restrictions budgétaires qui vont ressourcer les postes qui disparaissent, pas plus que la fermeture de nombre d’hôpitaux de proximité. 

La RGPP a disparu avec Sarkozy mais la Modernisation de l’Action Publique la remplace, ce qui, pour la majorité des services, n’est pas très différents en termes de réduction d’effectifs. Ce ne sont pas les privatisations de GDF ou d’EDF qui vont renforcer le service aux habitants. 

Dans le présent projet de loi, les mots Services Publics sont étrangement absents ou presque. Il nous faut donc reconstruire ces solidarités territoriales, objet du troisième projet de loi. En attendant, l’écart se creuse entre les espaces métropolitains et ces zones rurales de relatives relégations et objet de réduction de personnels dans tous les services publics mais aussi les fermetures de commerces de proximité. 

De plus, le grignotage des terres agricoles ou naturelles, 2 000 ha par an ici, en Loire-Atlantique, nous prive de capacités de production d’une agriculture respectueuse de l’environnement. Nous aurons de plus en plus besoin d’une agriculture paysanne avec de moins en moins d’intrants et de plus en plus de paysans pour y travailler. 

L’étalement urbain et les infrastructures, pas toujours utiles, on en sait quelque chose en Loire-Atlantique avec le projet de NDDL, sont responsables de ce phénomène. 

Enfin, la question du fonctionnement démocratique reste entière : alors que de plus en plus de compétences et donc de services sont transférés au EPCI, Communauté de communes, d’agglomération ou communauté urbaine, les citoyens sont de plus en plus éloignés des décisions qui les concernent. Les conseillers communautaires sont élus au deuxième degré et les conseillers au SCOT le sont au troisième degré. Mais les instances exécutives de ces institutions sont élues encore et forcément à un degré au dessus. 

Le système français est déjà très présidentiel : les maires et présidents ont, en principe, tous les pouvoirs. Ils sont simplement contrôlés par les Conseils, c’est leur rôle. Force est de constater que bien peu de conseillers majoritaires votent contre les délibérations présentées par les exécutifs ; on a l’habitude de dire que les Conseils sont des chambres d’enregistrement. Les élections tous les 6 ans ne sont pas une réponse à une démocratie active. Ce ronron est bien peu démocratique même si les règles sont respectées. Le pouvoir réel est concentré en un petit nombre de mains, phénomène amplifié par les nombreux cumuls de mandats. Les atermoiements sur la restriction des cumuls en dit long sur le peu de volonté pour changer les choses. La lenteur calculée pour obtenir des élections directes des conseillers communautaires est également révélatrice des intérêts bien compris des personnes qui ont déjà le pouvoir au sein de ces Conseils. Tout cela doit changer ! 

Les propositions que nous faisons, aux Alternatifs, vont de soi et nous ne sommes pas seuls à les proposer : STOP au cumul sur plusieurs collectivités, Conseil Régional, Conseil Général, Conseils municipaux mais STOP aussi au cumul dans le temps : les cimetières sont remplis de personnes irremplaçables et la politique ne doit pas être un métier ; nous proposerons deux mandats, pas plus sauf exception. Ainsi davantage de citoyennes et de citoyens pourraient assurer ces charges d’élu-e-s, pour faire vivre une démocratie active associée à un véritable statut des élus permettant une sécurité dans le retour plein à la vie professionnelle. 

Et puis, sur les sujets importants et structurants, nous proposons d’installer des ateliers de projet et des débats publics étendus. J’ai évoqué NDDL mais discutons aussi des franchissements de Loire ou du déménagement du CHU de Nantes. 

Pour conclure, si nous voulons faire vivre l’humain d’abord, l’implication maximum de femmes et d’hommes est indispensable pour, qu’au-delà du jeu institutionnel et des Assemblées d’élus existantes, une interpellation permanente soit possible. 

Pour nous, Alternatifs, membres du Front de Gauche, les trois crises économiques et sociales, écologiques et démocratiques doivent et peuvent trouver des réponses dans l’intérêt du plus grand nombre, je vous en ai esquissé quelques unes concernant la vie des collectivités territoriales. 

Le chômage et la crise avec ses incroyables injustices ne sont pas des fatalités et une autre répartition des richesses est possible. Notre environnement détruit ou abîmé n’est pas inéluctable et d’autres politiques respectueuses de l’environnement répondant aux besoins sont possibles. Les dérives grandissantes entre élites, élus et citoyens ne sont pas sans solution et un autre fonctionnement est possible. 

Ensemble, citoyens et élus, nous pouvons changer la donne ; encore faut-il y aller sans attendre. Les prochaines échéances nous donneront l’occasion de nous y engager.

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