"Nous ne sommes pas du côté de la loi, mais de celui de la révolte !" Asli Erdogan
mardi 3 février 2015
La bataille de Grèce a commencé, par Cédric Durand, Razmig Keucheyan et Aurélie Trouvé
Longtemps, les juxtapositions politiques en Europe n’exprimèrent que des nuances. Sociaux-démocrates, conservateurs, libéraux et écologistes se complétèrent et se combinèrent aux différentes échelles politiques. Leur point de fusion est une Europe de l’extrême centre, garante des libertés fondamentales pour le capital et d’une subordination des politiques sociales et salariales au libre jeu de la concurrence. Cette époque prend fin.
La victoire de Syriza restaure un contraste politico-géographique maximum. Contre le consensus austéritaire des institutions européennes, le nouveau gouvernement grec est mandaté pour opérer une révolution des priorités : la discipline financière est seconde par rapport à l’urgence sociale ; la dignité et la souveraineté d’un peuple ne peuvent être dissoutes. Il n’est désormais qu’une seule question qui compte : comment Syriza va-t-il tenir ses promesses ?
Le combat qui s’engage a des allures de face à face entre David et Goliath. L’économie grecque est minuscule à l’échelle du continent et dévastée par des années d’austérité. Politiquement, son gouvernement est isolé sur la scène européenne.
Si les amis sociaux-démocrates de la dernière heure se pressent pour féliciter Tsípras, c’est dans le but de mieux étouffer la radicalité qu’il incarne. Surtout, l’architecture de l’Union économique et monétaire et la logique de la dette mettent les nouvelles autorités à la merci de toutes sortes de chantages. A la Commission européenne, à la Banque centrale et dans les capitales, adversaires et faux amis jouent de la carotte et du bâton pour tenter d’amadouer l’intrus et de diviser son camp.
Le compromis esquissé peut se résumer de la sorte : allonger les échéances de la dette grecque de manière à en réduire la charge immédiate en échange de la poursuite des réformes structurelles, c’est-à-dire les privatisations, la libéralisation de l’économie et l’augmentation des recettes fiscales…
Si une convergence peut se faire sur ce dernier point, tant les riches Grecs sont habitués à échapper à l’impôt, pour le reste, ces propositions sont incompatibles avec le programme de Syriza.
Etaler les échéances d’une dette que chacun sait insoutenable ? Cela revient à maintenir ad vitam aeternam la Grèce en état de soumission vis-à-vis de ses créanciers. Inacceptable pour un gouvernement élu afin de reconquérir de la dignité nationale.
Libéraliser davantage l’économie ? Impensable pour un parti qui s’est engagé à rétablir le salaire minimum à son niveau d’avant la crise, à réinstaurer les règles de négociations collectives, à réembaucher des fonctionnaires et à mettre un terme aux privatisations.
Dans la collision qui s’annonce, Aléxis Tsípras a plusieurs atouts en main. Le premier, c’est la faillite intellectuelle de la Troïka (BCE, FMI et UE). Il arrive à la tête d’un pays exsangue parce que les politiques néolibérales en Grèce et en Europe ont, du point de vue des populations, échoué intégralement.
Face à la déflation qui s’installe - le cauchemar économique absolu -, le continent cherche une alternative : annulation des dettes et relance des dépenses publiques sont la seule solution et c’est Syriza qui la porte.
Le deuxième atout est politique. En décidant de s’allier avec un petit parti de droite souverainiste plutôt qu’avec un des partis de centre-gauche, Tsípras prend la tête d’un gouvernement prêt à assumer la confrontation avec les institutions européennes. De plus, les victoires appelant les victoires, les opposants à l’austérité se trouvent renforcés dans les différents pays. Podemos en Espagne se rapproche du pouvoir et les réalignements à la gauche de la gauche en France se précisent à l’occasion du soutien à Syriza.
Le dernier atout est économique. Les saignées imposées à la Grèce ont conduit au désastre humain et au massacre des capacités productives que l’on sait, mais la Grèce peut désormais se passer de ses créanciers. Le budget du pays hors remboursement de la dette est à l’équilibre tout comme son commerce extérieur. Ce n’est pas un mince avantage dans le bras de fer qui s’annonce. Un échec des négociations, voire une expulsion de l’euro, serait bien moins douloureux pour les Grecs qu’il y a deux ans.
La bataille de Grèce est une leçon de choses pour la gauche radicale en France. Face à la décomposition des forces néolibérales, ici, c’est le Front national qui est en tête dans la course de vitesse engagée pour prendre le leadership de l’alternative. En Grèce aussi, les néonazis d’Aube dorée menaçaient tandis que le parti frère du Front national, le Laos, s’est décrédibilisé en participant au gouvernement avec la Nouvelle Démocratie et le Parti socialiste grec.
Le succès de Syriza montre qu’il n’y a pas de fatalité à ce que les idées xénophobes et rétrogrades monopolisent la colère sociale. Certes, l’organisation du champ politique est le produit de l’histoire singulière de chaque pays et on ne peut proclamer la création d’un Syriza français. Le meilleur moyen de soutenir le peuple grec n’en est pas moins de préparer la bataille de France à venir.
Du NPA aux frondeurs en passant par le Front de gauche, les écologistes et Nouvelle Donne, ceux et celles qui prétendent structurer un front social et politique alternatif doivent se mettre en ordre de marche. L’attentisme actuel à la gauche du social-libéralisme est stérile. Avec les mouvements sociaux, la tâche de l’heure est l’élaboration d’un projet politique radical et réaliste à vocation majoritaire.
Tribune de Cédric Durand, Razmig Keucheyan, Sociologue et Aurélie Trouvé,Agro-économiste , publié dans le quotidien libération
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