mercredi 25 février 2015

Un Syriza à la française est-il possible ?, par Guillaume Liégard (Regards)


La "révolution" politique qu’incarne Syriza depuis sa prise de pouvoir suscite un espoir qui se confronte, en France, au constat de tout ce qui nous sépare d’un tel scénario. Que faudrait-il pour qu’il advienne ici, fût-ce sous une forme différente ? 

 La victoire de Syriza, les premiers pas du gouvernement Tsipras ont soulevé un immense espoir qui dépasse largement les frontières grecques. Pour la première fois, un parti authentiquement de gauche a remporté les élections dans un pays de la zone euro et entend, dans un contexte ô combien difficile, appliquer son programme. 


Des marges de manœuvres, il y en a ! 

Élu depuis près d’un mois, le gouvernement grec a d’abord fait sensation sur la scène européenne en entendant (incroyable !) respecter la volonté populaire. Les premières mesures, sur le terrain de l’immigration, le montant du salaire minimum ou le rétablissement de la législation du travail, ont démontré une rupture avec tous les gouvernements précédents. 

Ces mesures se sont aussi rapidement heurtées aux exigences de l’Union européenne. L’accord signé lors de l’Eurogroupe le 20 février pose beaucoup de questions et se voit contesté par une partie de Syriza elle-même. C’est dans la durée qu’il faudra juger la politique d’Alexis Tsipras. Entre manœuvre dilatoire pour gagner du temps et impossibilité de modifier le cours de la politique européenne, rien n’est joué à cette étape. Mais, déjà, éclate au grand jour que des marges politiques existent pour mener une politique de rupture. Le contraste avec l’immobilisme et l’absence de vision du gouvernement Valls-Hollande est saisissant. 

Comment expliquer qu’un petit pays comme la Grèce, 2,3% du PIB de la zone euro, aurait plus d’espace politique que la France, deuxième économie de la zone euro (19,7% du PIB de la zone en 2013) ? Évidemment, cela ne tient pas et il apparaît que le principal frein ne réside pas dans les contraintes économiques, mais bien dans la volonté politique. La politique européenne initiée par Alexis Tsipras ouvre l’espoir. 

En France, nombreux sont ceux qui aspirent à une autre politique, mais qui, victimes de la doxa libérale et du rouleau compresseur médiatique, pensent qu’elle n’est pas praticable. L’exemple grec est donc décisif, car en montrant concrètement qu’une autre politique est possible, qu’elle est à portée de main, il peut permettre de lever la chape de plomb qui pèse sur le développement d’une alternative vraiment à gauche. 

Deux ombres majeures 

Parmi les obstacles qui se dressent contre l’émergence d’une force radicale en France, figure l’absence de mobilisations de grande ampleur. 

La Grèce, devant la violence des attaques, a connu une phase d’agitation populaire extrêmement puissante. Grèves générales à répétition, mouvements d’occupation des places dans les villes : des centaines de milliers de Grecs ont participé à la résistance aux politiques de la Troïka (lire "Les Grecs veulent en finir, pas seulement avec la dette…"). 

L’exemple espagnol, qui voit le développement impétueux de Podemos à la suite du très fort mouvement des Indignés, rappelle qu’il n’y a pas de solution politique pour la gauche anti-austérité sans irruption du mouvement de masse. Celui-ci est encore bien faible en France. La seconde difficulté réside dans la dimension anti-système qu’incarnent tant Syriza que Podemos. 

Face à des régimes politiques où la corruption, les petits arrangements entre amis gangrènent la démocratie et sont un frein à la volonté populaire, ces deux partis (malgré leurs différences) ont su incarner le renouveau et la rupture avec l’ordre ancien. Pour des raisons qui sont propres à la France, cette dimension anti-système a, jusqu’à maintenant, été captée par le Front national. 

La force de Syriza au cours la dernière période est d’avoir fait basculer dans son camp un électorat qui lui avait toujours été hostile, y compris venant de la droite

Le pari de Marine Le Pen est inverse : elle pense qu’elle peut faire basculer vers le FN des pans de l’électorat de gauche, c’est la principale raison de sa déclaration : « Oui, nous souhaitons la victoire de Syriza. » 

Il y a donc une course de vitesse engagée avec le Front national, mais l’exemple grec montre qu’il n’y a pas de fatalité à ce que ce soit des politiques rétrogrades, xénophobes, pariant sur le repli qui l’emportent. 

Quelles définitions programmatiques ? 

Il y a peu, Jean-Marie Le Guen déclarait que Syriza et Tsipras sont plus proches de François Hollande que de Jean-Luc Mélenchon. Il fallait oser. 

Syriza est en effet l’acronyme de Synaspismós Rizospastikís Aristerás qui signifie "coalition de la gauche radicale". Surtout, lors du congrès fondateur de juillet 2013 le texte programmatique adopté affirme que « le but stratégique est le socialisme », défini comme la « socialisation des moyens de production » et la « démocratie la plus large ». Ajoutons que dans ce même texte, les références intellectuelles sont le « marxisme et la pensée critique contemporaine ». Même en tirant très fort la couverture, difficile de saisir la proximité idéologique avec Macron, Valls ou même Aubry. 

À tout point de vue, la situation politique française est substantiellement différente du cas grec. Il ne s’agit donc pas de procéder par mimétisme aveugle, car l’organisation du champ politique est le produit de l’histoire singulière de chaque pays. En Espagne, Podemos suit sur le terrain programmatique une voie très différente, qui n’est pas particulièrement radicale sur toute une série de terrain. Mais le point commun tourne autour du combat contre les politiques austéritaires menées depuis 2008 et du refus de payer la dette. 

Ces politiques n’ont pas eu seulement un coût social et humain exorbitant, elles ont du point de vue même des équilibres budgétaires complètement échoué : la dette ne cesse d’augmenter, la récession s’aggrave et la déflation menace. Seule une vision libérale, complètement idéologique, peut amener à poursuivre une telle politique. Envers et contre tout, c’est le credo des gouvernements Merkel et Hollande. 

Et avec quelle coalition ? 

Une tribune dans Libération appelle « Du NPA aux frondeurs en passant par le Front de gauche, les écologistes et Nouvelle donne, ceux et celles qui prétendent structurer un front social et politique alternatif doivent se mettre en ordre de marche. » Le spectre, ainsi défini, recoupe l’ensemble des organisations de gauche qui refusent de participer au gouvernement. 

À cette étape, nous n’en sommes par encore tout à fait là. Le congrès du NPA qui s’est tenu fin janvier a notamment voté majoritairement une motion, qui couvre toute la séquence électorale jusqu’en 2017, et qui indique : « Nous rejetons la possibilité d’accords programmatiques et électoraux avec le Front de gauche et ses composantes. » Mais il faut aussi noter que toutes les autres forces appelaient au meeting de soutien à Syriza du 19 janvier, ainsi que la principale minorité du NPA. L’ensemble du Front de gauche, EELV, Nouvelle donne, des syndicalistes, des intellectuels sont à l’initiative d’un appel intitulé "Les chantiers d’espoir". 

C’est un premier pas qui marque une prise de conscience des responsabilités qui sont celles d’une autre gauche. Il est encore trop tôt pour apprécier la dynamique que va prendre cet appel. De premières initiatives vont être prises tout au long des mois à venir. La capacité à rassembler au-delà des courants et militants habituels est l’enjeu majeur pour créer un souffle nouveau. Gageons, aussi, que l’existence d’un tel regroupement sera un encouragement pour les mobilisations de toutes sortes. 

La réussite d’une convergence à la gauche du Parti socialiste n’a rien d’assurée. Des obstacles nombreux existent, mais le climat est en train de changer. Il ne faut pas raisonner de manière statique, mais dynamique : ce que montre la victoire de Syriza, c’est qu’il n’y a pas de fatalité, qu’il est possible d’affronter la politique européenne et que des marges de manœuvre pour desserrer l’étau sont possibles. 

La poussée de Podemos devrait apparaître au grand jour avec les élections régionales en Andalousie au printemps, puis les élections nationales en décembre 2015. Nul doute que la situation espagnole viendra nourrir en retour toute la gauche radicale européenne. 

Et après la Grèce et l’Espagne, la France ?

http://www.regards.fr
 

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