mardi 3 janvier 2012

Une « TVA sociale » … antisociale - par Christiane MARTY, Fondation Copernic

L’idée de la « TVA sociale » resurgit régulièrement dans le débat politique. Nicolas Sarkozy, s’il ne la défend plus ouvertement, vient de mettre à l’ordre du jour une taxe « antidélocalisation » qui est une appellation différente du même projet : basculer sur la fiscalité, particulièrement la TVA, tout ou partie des cotisations sociales patronales (les fameuses « charges » sociales). Les entreprises sont supposées en contrepartie répercuter la baisse de leurs cotisations sociales sur les prix hors taxes : ainsi la hausse du taux de TVA s’appliquerait sur un prix abaissé et serait invisible pour le consommateur, tout au moins pour ce qui est produit en France.


Les produits importés verraient leur prix augmenter, ce qui avantagerait alors la production française sur le marché intérieur... La recette serait toujours affectée au financement de la Sécurité sociale, mais circulerait par un autre « tuyau ». Selon ses partisans, ce transfert permettrait de réduire le coût du travail, la compétitivité des entreprises s’en trouverait améliorée et les délocalisations évitées. Effet magique d’un changement de tuyau ?



La réalité est différente. Le plus probable est en effet que les entreprises ne répercutent pas, ou pas totalement, la baisse des cotisations sociales sur les prix hors taxes (HT), et qu’en résulte une hausse des prix toutes taxes comprises (TTC). Loin du procès d’intention, cette anticipation s’appuie sur l’expérience. Les baisses de TVA passées ne se sont jamais retrouvées intégralement dans les prix, les entreprises en profitant pour augmenter taux de marge et dividendes versés. Ainsi, les baisses de TVA à 5,5 % dans les travaux immobiliers en 1999 et dans la restauration en 2009 n’ont été répercutées qu’à 57 % et 60 % respectivement. Deux rapports remis en septembre 2007 par Christine Lagarde, alors ministre de l’économie, et par Éric Besson, alors secrétaire d’État chargé de la prospective, notent également que la « TVA sociale » serait génératrice de hausse des prix.


La « TVA sociale » revient de fait à une substitution de payeurs : les entreprises voient leurs cotisations sociales baisser et les ménages voient augmenter les prix des biens et services, qu’ils soient produits en France ou importés. On comprend l’enthousiasme du Medef. Tous les consommateurs seraient touchés par ce renchérissement général des prix à la consommation et donc par une baisse du pouvoir d’achat, mais tous ne le seraient pas de la même façon. Ce serait sur les catégories les plus modestes que pèserait le plus la TVA dite sociale, car plus on descend dans la hiérarchie des revenus, plus la part de budget consacrée à la consommation est élevée.


À défaut d’être socialement juste, la « TVA sociale » serait-elle au moins efficace ? Pas plus. Selon l’antienne libérale, le coût du travail en France grève la compétitivité des entreprises et il faut l’alléger. Ce n’est pas ce qu’établissent les statistiques de l’Insee et d’Eurostat : le coût du travail français dans l’industrie manufacturière – le secteur exposé à la concurrence internationale - est équivalent à celui de nos voisins allemands, qui n’ont pas de problème d’exportation ni de compétitivité. D’autre part, et surtout, focaliser ainsi sur le coût du travail permet d’occulter… le coût du capital qui pèse symétriquement dans les comptes des entreprises. Or c’est bien l’explosion des dividendes, accompagnant la compression de la part salariale, qui caractérise l’évolution des coûts ces dernières décennies : la part, dans la valeur ajoutée, des dividendes nets versés aux actionnaires est passée de moins de 3% à plus de 8% en 25 ans, pendant que la part des salaires reculait de 8 points. Si un coût doit baisser, c’est bien celui du capital.


Enfin, penser que cette « TVA sociale » permettrait d’éviter les délocalisations relève de l’illusion. La baisse de quelques points de cotisations sociales, en admettant même un instant qu’elle soit répercutée sur les prix, est tout à fait incapable de compenser l’écart de coût salarial avec les pays de l’Europe centrale et orientale : le coût du travail y est en effet 5 à 7 fois moins cher que dans les pays d’Europe de l’Ouest. Sans parler de la Chine, avec laquelle ce rapport tourne plutôt autour de trente. En outre, cette obsession sur le coût du travail relève d’une incompréhension (ou d’une occultation volontaire ?) des mécanismes qui fondent les décisions des employeurs. En effet, bien d’autres éléments que le coût du travail entrent dans les décisions de délocaliser, comme la présence ou non d’infrastructures de qualité, de services publics, ou de débouché local pour les produits.


La « TVA sociale », quel que soit son nom, ne répond donc à aucun des objectifs affichés. Si on comprend son intérêt pour les marges des employeurs, on voit mal ce que la grande masse de la population aurait à y gagner. Depuis trente ans, le système fiscal a subi de nombreuses transformations qui vont toutes dans le même sens : l’allègement de la fiscalité sur les plus riches, les entreprises, le patrimoine. Cet allègement représente un manque à gagner considérable et c’est lui qui est à l’origine du déséquilibre des finances publiques. La « TVA sociale » ne ferait qu’ajouter un nouveau dispositif injuste à l’empilement des mesures prises depuis plus de vingt ans. Revenir sur ces mesures, réformer la fiscalité de manière à la rendre plus redistributive doit faire partie des urgences politiques.


* Christiane Marty est également co-auteure du livre Un impôt juste pour une société juste, Syllepse, 2011.

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