vendredi 17 août 2012

"En rejetant le Pacte budgétaire, députés et sénateurs peuvent refuser l’austérité perpétuelle et relancer le débat en Europe. " - TSCG : les 10 raisons de dire non, par Attac France


« Le poids de la dette est devenu écrasant. L’État verse ainsi près de 50 milliards d’euros par an à ses créanciers. Cette somme représente la première dépense, juste devant le budget de l’Éducation nationale; elle est supérieure aux budgets de la recherche, de la justice et de la sécurité réunis. C’est inacceptable ! La dette, c’est moins d’écoles, moins de crèches, moins d’hôpitaux, moins de transports publics...»

C’est Jean-Marc Ayrault qui parlait ainsi de la dette publique dans son discours de politique générale en juillet dernier. Mais pour remédier à cette situation, il reprend l’objectif affiché par François Hollande, une réduction à marche forcée du déficit public, visant 3% du PIB dès 2013 et le déficit « zéro » en 2017. Ce n’est pas un hasard : le déficit « zéro » est l’objectif n°1 du Pacte budgétaire, le nouveau traité négocié par Sarkozy et Merkel pour imposer définitivement l’austérité comme seule politique possible en Europe. 

François Hollande avait promis lors de sa campagne de rompre avec cette logique mortifère. Mais, à l’issue du sommet européen des 28 et 29 juin, le nouveau président français a finalement accepté de ratifier le Pacte. Selon lui, il aurait obtenu des mesures de croissance permettant de « réorienter l’Europe ». C’est faux : le Pacte budgétaire, inchangé, est toujours aussi nocif, et le pseudo-« Pacte de croissance » adopté le 29 juin n’est que poudre aux yeux. 


Au moment où l’Europe s’enfonce dans une inquiétante récession provoquée par les politiques d’austérité, ratifier le Pacte budgétaire signifie accélérer la course à la catastrophe. 

 1. Des coupes injustes et inefficaces 

La soi-disant « règle d’or » stipule que l’État ne doit pas dépenser plus que ce qu’il ne gagne. Plus précisément : la différence entre les dépenses et les recettes de l’État ne doit pas dépasser 0,5 % du PIB, hors fluctuations conjoncturelles. La crise financière a été provoquée par la finance dérégulée. Mais à peine sauvés par l’ État, les banquiers ont profité des déficits publics provoqués par la crise pour lancer un nouvel assaut contre l’ État social. Avec leurs alliés (instances européennes, chefs d’État et de gouvernement), ils ont décidé de réduire brutalement les droits sociaux. Le Pacte budgétaire s’inscrit ainsi dans la lignée des plans d’austérité menés dans toute l’Europe, qui se ressemblent tous : coupes dans la fonction publique (suppressions de postes, gel ou réduction des salaires) et dans les ressources des collectivités locales ; coupes dans la protection sociale (retraites, assurance maladie, chômage…) ; coupes dans les services publics (fermetures d’hôpitaux, de classes…). Ces mesures sont socialement injustes car elles touchent en priorité les populations les plus précaires, les femmes, les jeunes, les classes populaires. Pas ceux qui ont organisé et profité de la spéculation et des profits boursiers et immobiliers ! Mais elles sont aussi économiquement désastreuses. La baisse des dépenses publiques accentue la récession qui diminue les rentrées d’impôts et de cotisations - avec pour conséquence une augmentation du déficit public que ces mesures étaient censées résoudre. La règle de plomb de l’austérité ne freine pas l’endettement… elle l’accélère ! Elle a déjà laminé les économies grecque, portugaise, espagnole, britannique… 

2. Des hausses d’impôts... sans effrayer les riches 

Pour réduire le déficit, les gouvernements disposent d’une autre option : augmenter les impôts. Les hausses d’impôts votées par le Parlement en juillet touchent davantage les plus riches et les grandes entreprises, et c’est une bonne chose. Mais pour les « économistes à gages » et le récent « audit » de la Cour des Comptes, il serait dangereux d’aller plus loin. En effet le Pacte budgétaire conserve bien sûr la liberté totale de circulation des capitaux en Europe, ainsi qu’entre l’Europe et le reste du monde. Augmenter davantage les taxes sur le capital ferait fuir les fortunes… Pour respecter la « règle d’or » c’est bien plutôt la hausse de la TVA qui est prônée par la Commission européenne, et qui est déjà intervenue dans tous les pays du Sud de l’Europe. En France, après l’annulation de la « TVA sociale » de Sarkozy, c’est une hausse de la CSG qui est sans doute programmée par le gouvernement pour « alléger le coût du travail ». Mais pourquoi réduire encore les cotisations patronales, alors qu’elles bénéficient déjà d’allégements considérables et inefficaces, qui coûtent 30 milliards d’euros par an à la collectivité ? 

3. Austérité-compétitivité : un cocktail à risque 

Réduire les déficits à marche forcée ne leur suffit pas : les instances européennes poussent partout au détricotage du droit du travail pour « améliorer la compétitivité ». Pouvoir licencier plus facilement, réduire les droits et accords collectifs, favoriser la négociation individuelle des salaires et des contrats de travail… c’est ce que prône le « Pacte de compétitivité » (adopté par le Conseil européen en mars dernier, en même temps que le Pacte budgétaire). Ainsi reviendraient à terme la compétitivité des entreprises et la sacro-sainte croissance ! En réalité, cela signifierait plus de précarité et d’inégalités, dans le droit fil de trois décennies de mondialisation néolibérale. Si croissance il y a, elle sera plus inégalitaire et prédatrice de la nature que jamais. Ne parle-t-on pas déjà en haut lieu de la reprise possible des expérimentations sur l'extraction des gaz de schistes ? 

4. Une compétition mortifère dans la zone euro 

Mais la recherche effrénée de compétitivité alimente elle aussi le cercle vicieux de l’austérité. L’Allemagne, depuis les années 2000, a réduit ses coûts salariaux et délocalisé à l’Est. Sa politique hyper-compétitive ainsi accomplie lui a permis de réaliser des excédents commerciaux énormes. Mais si l’Allemagne exporte, c’est que ses partenaires importent : par nature, les excédents des uns sont les déficits des autres. Reste aux pays moins compétitifs à s’endetter… puis, lorsque ce n’est plus possible, à s’imposer une «dévaluation interne» par une baisse massive des salaires et des budgets sociaux. Le Mécanisme européen de stabilité (MES), qui complète le Pacte budgétaire, a ainsi été bâti comme un FMI européen : il « aide » les pays surendettés à rembourser leurs créanciers, avec en contrepartie une brutale cure d’austérité. Ces saignées imposées aux pays surendettés ruinent les populations. Les exportations allemandes - pourtant si « compétitives » - n’y trouveront bientôt plus d’acheteurs. En outre la demande interne allemande a été durablement affaiblie par la stagnation des salaires. Le résultat, c’est que l’Allemagne risque fort elle-même d’entrer en récession en 2012 et peut-être même de commencer elle aussi à inquiéter les spéculateurs… 

5. Un indicateur technocratique, arbitraire et instable 

La règle d’or s’applique au « déficit structurel », le déficit public calculé en dehors des fluctuations économiques. Cet indicateur, issu de calculs complexes et pour une large part conventionnels, donne aux saignées budgétaires l’apparence d’une «rigueur» scientifique. Mais aucune méthode de calcul ne fait consensus au plan international, ni même à l’échelle européenne. Le FMI, l’OCDE, la Banque centrale européenne, la Commission, les gouvernements nationaux, les instituts économiques indépendants utilisent des méthodes différentes et parviennent à des résultats différents. Ces résultats sont eux-mêmes instables, sujets à des révisions d’une ampleur considérable au bout de quelques mois. Avec le Pacte budgétaire, les experts de la Commission auront toujours le dernier mot, quitte à se contredire dès l’année suivante. Comment inscrire une telle règle dans une Constitution ou une loi organique supposée intouchable ? 

6. Une « règle d’or » absurde et injustifiable 

L’objectif même de la règle d’or – le déficit zéro – n’a aucune justification économique. D’une part, la crise ne provient pas d’un endettement excessif des États : l’Espagne et l’Irlande avaient au contraire des budgets publics excédentaires avant la crise. Surtout, les déficits et l’endettement publics peuvent être parfaitement légitimes : l’État peut ainsi étaler des recettes et des dépenses (dont des remboursements d'emprunts) dans le temps pour financer des investissements d’avenir qui bénéficieront aussi aux générations futures. Aujourd’hui, il est plus que jamais nécessaire d’investir pour la transition écologique et sociale de l’économie ; l’État ne peut le faire sur la base de ses seules recettes courantes (les impôts). C’est d’autant plus nécessaire dans un contexte de crise. Depuis les années 1930 on sait que l’État est le seul acteur susceptible de relancer l’activité économique quand les entreprises diminuent leurs investissements et que la consommation chute. Et pourtant l’Europe répète aujourd’hui les politiques déflationnistes de cette époque ! La « règle d’or » n’est pas une règle économique mais purement idéologique, un ultra-libéralisme qui vise à ôter à l’État toute marge de manœuvre. Mais le cercle vicieux de l’austérité - austérité, récession, déficits, dette, austérité… - peut avoir des conséquences politiques imprévisibles en Europe. 

 7. Une démocratie bafouée 

Car le Pacte budgétaire n’est pas seulement lourd de menaces sur le plan économique et social. Jürgen Habermas, philosophe allemand qui avait soutenu le Traité constitutionnel européen, estime désormais que les réformes actuelles ouvrent une période de « domination post-démocratique ». Avec le Pacte budgétaire et les nouvelles procédures européennes d’élaboration des budgets nationaux, ceux-ci doivent donner la priorité absolue au désendettement et à la réduction des déficits, et s’attaquer aux « déséquilibres » identifiés par la Commission… comme par exemple, un manque de « compétitivité ». Dans le cas où un gouvernement proposerait un budget considéré comme trop laxiste, des sanctions seront décidées par la Commission. Seule une majorité qualifiée des pays signataires (très difficile à obtenir) pourra s’y opposer. Les sanctions, jusqu’à 0,1 % du PIB (2 milliards d’euros pour la France), seront donc quasi automatiques. Pis encore : le pays « accusé » n’aura pas le droit de participer au vote ! En outre tout État pourra porter plainte auprès de la Cour de justice européenne contre un autre État qu’il jugerait trop laxiste. Ce nouveau traité renforce donc considérablement les pouvoirs des instances européennes – Commission, Conseil, Cour de Justice – au détriment des Parlements nationaux, le Parlement européen demeurant largement hors jeu. Le Conseil Constitutionnel, en dispensant le gouvernement de réformer la Constitution, a préféré fermer pudiquement les yeux sur ce nouveau transfert de souveraineté. 

8. L’austérité à perpétuité 

Le Pacte budgétaire prévoit que la règle d’or ne puisse être remise en cause. Comme l’indiquait Angela Merkel, s’appuyant sur le texte du Pacte budgétaire : « la règle d’or va être contraignante et s’appliquer de manière permanente. Les règles ne doivent en aucun cas pouvoir être changées par une nouvelle majorité parlementaire. » Selon le Pacte il faudra en effet adopter « des dispositions contraignantes et permanentes, de préférence constitutionnelles ». Et cela sans aucune limite temporelle : c’est donc bien l’austérité à perpétuité que garantit le nouveau traité. En outre des instances « indépendantes » composées d’« experts » devront être mises en place au niveau national afin de contrôler le respect de la discipline budgétaire par les gouvernements. Ces politiques seront rejetées par les peuples et ne peuvent qu’aboutir au discrédit de l’Union européenne. Les courants xénophobes et chauvins en seront terriblement renforcés. 

9. Un « Pacte de croissance » illusionniste 

Le 6 mai 2012, le soir de sa victoire, François Hollande annonçait que son élection représentait pour l’Europe l’espoir « qu’enfin l’austérité pouvait ne plus être une fatalité ». Il appelait à la renégociation du Pacte budgétaire. Pourtant, à peine deux mois plus tard, à l’issue du Sommet européen des 28 et 29 juin, il juge que « l’Europe a été réorientée » et annonce la «ratification rapide » du Pacte budgétaire négocié par Nicolas Sarkozy. 

Pour justifier ce revirement brutal, François Hollande met en avant le soi-disant « pacte de croissance »: 60 milliards redéployés à partir de fonds déjà votés et programmés pour 2012-2013, et 60 milliards d’hypothétiques nouveaux prêts au secteur privé par la Banque européenne d’investissement. Un véritable tour de passe-passe, pour des montants fictifs qui n’atteignent même pas 1% du PIB européen ! 

 Lors de la campagne présidentielle, il avait pourtant annoncé trois conditions à la ratification du Pacte : 
 - la mise en place d’euro-obligations, pour que les pays de la zone euro les plus fragiles puissent emprunter à des taux non prohibitifs ; 
 - la réforme de la Banque centrale européenne, pour donner aux États la possibilité de se financer en dehors des marchés ; 
 - des mesures de relance de la croissance en Europe. 

Il n’a obtenu aucune avancée sur les deux premiers points. Sur le troisième, le marketing politique ne saurait faire illusion : les mesures annoncées sont dérisoires et largement fictives. Alors que l’application du Pacte budgétaire signifiera des coupes bien réelles dans les budgets publics, à hauteur d’au moins 60 milliards d’euros rien que pour la France d’ici à 2017. 

10. Il y a pourtant des alternatives à l’austérité ! 

Rejeter le Pacte budgétaire est indispensable mais ce ne sera qu’un premier pas. Il faut imposer dans tous les pays un véritable débat démocratique autour des enjeux de la dette publique, des alternatives à l’austérité. 

Face à la menace de reculs démocratiques, sociaux, écologiques sans précédents, il est plus que jamais nécessaire de mettre en avant les alternatives. Il faut répondre aux questions essentielles : d’où vient cette dette ? Comment éviter l’austérité, et la destruction de l’État social ? 

Une véritable solidarité européenne avec une intervention directe de la BCE pour dissuader la spéculation et sortir de l’asphyxie les économies des pays surendettés par de massifs investissements publics. 

Dans le même temps, des audits de la dette doivent aboutir à des restructurations importantes, avec participation du secteur privé. 

Sortir le financement public des marchés financiers : les États doivent pouvoir emprunter directement à la Banque centrale européenne sans passer par les banques privées ; des mesures de relance publique et d’investissements massifs sont urgentes pour satisfaire les besoins sociaux, renforcer la convergence vers le haut des droits sociaux, et engager la transition écologique. 

Lancer une révolution fiscale à l’échelle européenne, en taxant les riches et les profits et en mettant un terme à l’évasion fiscale et aux paradis fiscaux pour redonner des marges de manoeuvre à l’action publique. 

Mettre les banques au service de la société : dissocier clairement les activités de banques de détail de celles d’investissement, de financement et de spéculation, mettre sous contrôle public et démocratique le secteur des banques et assurances dans le cadre d’un authentique service public bancaire. 

Désarmer les marchés financiers : les paradis fiscaux, et tous les mécanismes spéculatifs comme le trading à haute fréquence, la vente à découvert, les marchés de gré à gré, les CDS et la spéculation sur les produits dérivés doivent être définitivement interdits. Une taxe ambitieuse sur les transactions financières doit voir le jour dans l’Union européenne ou au moins dans la zone euro. 

Conclusion : la crise politique européenne est inévitable, il faut l’assumer ! 

On nous dit : « la France essaie, mais l’Allemagne ne veut pas bouger » ; « il faut éviter la crise institutionnelle », « créer la confiance entre les dirigeants européens et avec les marchés financiers », « avoir de la patience »… 

Mais la confrontation politique n’est pas entre l’Allemagne et la France ou l’Europe du Sud. Elle est entre un projet de construction européenne pour et par les marchés, et un projet d’Europe démocratique, écologique et solidaire. 


L’adoption du Pacte budgétaire signifierait un renoncement à cette confrontation. Ce serait le premier acte politique majeur du quinquennat et – les précédents de 1982 et de 1997 le montrent – l’abandon de toute perspective alternative, alors même que l’extrême gravité de la crise la rend si nécessaire. 


En Grèce, en Espagne, en France mais aussi en Allemagne des forces sociales potentiellement majoritaires ont un intérêt commun à réorienter radicalement l’Europe pour éviter le désastre social et démocratique en cours. La condition décisive : enclencher un vaste débat démocratique qui lève l’obstacle de la passivité et de la résignation populaire. En France, l’organisation par les pouvoirs publics d’un débat référendaire, et à défaut d’un référendum d’initiative citoyenne par la société civile, en serait un outil précieux. Un rejet du Pacte budgétaire par la France serait le signal décisif pour enclencher une dynamique de refondation démocratique de la construction européenne. Aidons les députés et sénateurs de la majorité présidentielle à le comprendre ! 


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