"Nous ne sommes pas du côté de la loi, mais de celui de la révolte !" Asli Erdogan
lundi 7 janvier 2013
L'écosocialisme ou peut-on parler d'écologie et se taire sur le capitalisme (et inversement) ? par Raoul-Marc Jennar
A. Fondements théoriques et motivations :
lectures utiles
1. « Le travail n’est donc pas l’unique source des valeurs d’usage (…), de la richesse matérielle. Il en est le père et la terre, la mère. » Karl Marx, Le Capital, Livre I, tome 1.
« La production capitaliste ne développe donc la technique et le processus de production sociale qu’en épuisant les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur. » Karl Marx, Le Capital, Livre I, tome 2.
« La véritable barrière de la production capitaliste, c’est le capital lui-même. » Karl Marx, Le Capital, Livre III, tome 1.
« Une lutte efficace contre la pollution, une défense systématique de l’environnement, une recherche constante de produits de substitution aux ressources naturelles rares, une stricte économie dans l’emploi de celles-ci, réclame donc que les décisions d’investissement et de choix des techniques de production soient arrachées aux intérêts privés et transférées à la collectivité qui les opère démocratiquement ». Ernest Mandel, Socialisme ou Barbarie au seuil du XXIe siècle, 1993.
2. « La montée de la pensée écologiste n’aurait pas été possible sans le terrible vide théorique et politique qui s’est formé du côté des marxistes (…) ; le retard très important de l’analyse marxiste plonge ses racines dans la lecture uniquement productiviste de Marx et d’Engels qui a été faite pendant des décennies » François Chesnais et Claude Serfati, dans Capital contre nature, ouvrage collectif sous la direction de Jean-Marie Harribey et Michael Löwy
« Concentrée sur la question de la lutte contre l’exploitation dans le travail (…) la pensée critique se réclamant du marxisme radical a été terriblement déficiente sur le plan des rapports à la nature » François Chesnais, L’avenir des rapports des hommes entre eux est indissociable de celui de leurs rapports avec la nature, 2008.
3. « La crise écologique planétaire a ses origines dans les fondements et les principes de fonctionnement du capitalisme. » François Chesnais et Claude Serfati, dans Capital contre nature, ouvrage collectif sous la direction de Jean-Marie Harribey et Michael Löwy
« Nous sommes à un moment du capitalisme où la création de valeur pour le capital repose désormais de façon permanente, structurelle, à la fois sur la mise au rebut de millions de travailleurs et sur un terrible gaspillage des ressources de la nature » François Chesnais, L’avenir des rapports des hommes entre eux est indissociable de celui de leurs rapports avec la nature, 2008.
« Aujourd’hui, la gravité des atteintes à la biosphère est connue. Les gouvernements des pays capitalistes développés et les institutions internationales ne s’engagent pas moins dans la voie d’une aggravation de la situation par l’élargissement de « droits à polluer » qui systématisent le caractère intangible de la propriété privée ainsi que le droit du capital au pillage de la nature » François Chesnais et Claude Serfati, dans Capital contre nature, ouvrage collectif sous la direction de Jean-Marie Harribey et Michael Löwy
« Dans la sphère de l’environnement naturel, le capital représente une menace pressante pour l’humanité » François Chesnais et Claude Serfati, dans Capital contre nature, ouvrage collectif sous la direction de Jean-Marie Harribey et Michael Löwy
« Celui qui ne veut pas parler du capitalisme doit se taire sur la défense de l’environnement . On ne peut pas comprendre la crise écologique qui se profile à l’horizon – et qui est en même temps une crise de civilisation – sans examiner les conséquences catastrophiques pour la nature de la logique prédatrice et destructrice du capital. De même, on ne peut envisager une alternative radicale à l’accumulation infinie de marchandises qui est au cœur du « productivisme » capitaliste sans discuter du projet socialiste d’une nouvelle civilisation, fondée sur la valeur d’usage et non la valeur d’échange.» Jean-Marie Harribey et Michael Löwy dans Capital contre nature, ouvrage collectif qu’ils ont dirigé.
« Pris ensemble, les destructions environnementales et écologiques et les agressions portées contre les conditions de vie des prolétaires sont le résultat des effets cumulés de mécanismes secrétés par le fonctionnement du mode de production capitaliste depuis des décennies et de la domination contemporaine renouvelée et presque sans bornes du capital financier ». François Chesnais et Claude Serfati, dans Capital contre nature, ouvrage collectif sous la direction de Jean-Marie Harribey et Michael Löwy
« Il est évidemment indéniable que, dans leur grande majorité, les écologistes ont cru pouvoir, ou ont même délibérément voulu éviter de fonder leurs propositions sur une critique du capitalisme de type marxien ou marxiste. Ils ont atténué, sinon gommé, l’importance des rapports entre la logique du profit et ce qu’ils nomment le « productivisme », de même qu’ils ont fait et continuent de faire silence sur le rôle central de la propriété privée dans la crise écologique. Cela contribue fortement à expliquer que leur combat ait été voué à l’échec, ou pire encore, à la récupération par le système. L’absence d’une posture anticapitaliste a conduit la plupart des partis Verts européens à devenir des simples partenaires écoréformistes de la gestion social-libérale du capitalisme. » François Chesnais et Claude Serfati, dans Capital contre nature, ouvrage collectif sous la direction de Jean-Marie Harribey et Michael Löwy
« La crise va se développer de telle manière que la réalité brutale de la crise climatique mondiale dont nous voyons les premières manifestations sera combinée avec la crise du capital en tant que tel. Nous entrons dans une phase qui est réellement celle de la crise de l’humanité, dans ses relations complexes. » François Chesnais, La crise climatique va se combiner avec la crise du capital.
B. Définition :
Qu’est-ce qu’un système écosocialiste ?
C’est un système où les besoins sociaux sont satisfaits de manière écologique. La satisfaction écologique des besoins sociaux implique un changement qualitatif radical, véritablement révolutionnaire, car il suppose une remise en question de pratiques aliénantes et discriminatoires comme, par exemple, le respect absolu de la propriété privée, la logique de la croissance, la libre concurrence, la légitimation du profit, la libre exploitation du vivant végétal, animal et humain.
Pourquoi appeler un tel système écosocialiste ?
La notion de socialisme ne peut-elle intégrer la dimension écologique comme elle intègre toutes les luttes pour l’émancipation ? Non, parce que, historiquement, le socialisme s’est inscrit dans la continuité d’un courant des Lumières, celui des Encyclopédistes, qui annonçait l’émancipation de l’humanité par les progrès de la science. Contrairement à ce qui se dit parfois, ce ne fut pas le seul courant au sein des Lumières. Ainsi, à la différence des Encyclopédistes, Rousseau, dans le « Discours sur l’inégalité », présente une vision de l’histoire dans laquelle chaque progrès dans un sens s’accompagne d’un recul dans un autre. Pour Rousseau, tout progrès a son prix. Et la science ne peut donc dicter ses fins à la société. Le socialisme s’est appuyé sur un véritable culte du progrès scientifique qui devait quasi mécaniquement contribuer au bonheur de l’humanité. Cette notion du progrès s’est inscrite dans un processus continu : dominer la nature. De ce point de vue le socialisme ne s’est pas libéré de l’emprise du judéo-christianisme. Celui-ci accorde une place prédominante à l’espèce humaine par rapport aux autres espèces vivantes, à la différence d’autres courants de pensée qui prennent en compte toutes les espèces vivantes. L’écologie n’est pas une catégorie parmi d’autres dans la liste des objectifs à poursuivre. C’est un concept global qui incorpore tous les éléments constitutifs de la planète, y compris les humains. La seule référence au socialisme ne peut donc suffire à intégrer cette dimension globale. Le mot socialisme, associé pendant près de deux siècles au scientisme et au productivisme, ne rend pas automatiquement compte de la dimension écologique. Le socialisme ne fut pas naturellement écologique. C’est pourquoi il est indispensable, pour signifier la double révolution sociale et écologique, de parler d’écosocialisme.
C. Modalités Comment mettre en œuvre l’écosocialisme ?
Trois constats :
1. pas de sortie du productivisme sans sortie du capitalisme, système intrinsèquement productiviste : la dynamique du capitalisme conduit à étendre la production pour maximiser les profits.
2. pas d’arrêt aux nuisances, à l’exploitation du vivant, à la dégradation de la biodiversité et à l’épuisement des ressources naturelles sans passage d’un système fondé sur la valeur d’échange à un système fondé sur la valeur d’usage. Le système actuel ignore le coût des usages qu’il fait des ressources et des écosystèmes.
3. pas de remise en cause des modes de consommation sans contrôle de la production. Aujourd’hui, ceux qui décident de ce qui est produit décident de ce qui est consommé. Une critique du mode de consommation se réduit à de l’incantation et ne conduit qu’à une impasse si elle n’implique pas une critique du mode de production. Une éthique individuelle de la consommation est nécessaire, certes. Elle n’est pas suffisante. Il en résulte que pour satisfaire les besoins sociaux dans le respect des contraintes écologiques, il faut que ce qui est aujourd’hui de l’ordre de la sphère privée relève désormais de la maîtrise collective.
Comment définit-on les besoins sociaux ?
On peut dire que les besoins sociaux correspondent aux droits collectifs fondamentaux dont un certain nombre sont plus ou moins inscrits depuis 1948 dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme : le droit à une alimentation saine et suffisante, le droit à vivre dans un environnement qui ne soit pas nocif, le droit à la santé, le droit au logement, le droit à l’éducation et à la culture, le droit au travail, le droit à la sécurité, le droit aux loisirs, le droit à un minimum d’existence, le droit à un salaire minimum garanti, le droit à une allocation de chômage, le droit à une allocation de retraite, l’accès aux moyens de transport, l’accès à la transmission de messages (poste, téléphone, Internet,…). Tous ces droits sont loin d’être appliqués. La plupart ne sont même pas reconnus dans les traités européens. Beaucoup sont systématiquement bafoués. La révolution conservatrice en cours depuis le début des années 80 prétend satisfaire l’exercice de ces droits dans le cadre de l’économie de marché et de la fourniture d’activités de service soumises aux règles de la concurrence. C’est la raison d’être du démantèlement des services publics qui a pour conséquence que seuls peuvent bénéficier de ces droits ceux qui peuvent en assurer le coût. On passe du principe de gestion collective des besoins sociaux à une gestion individualisée, c’est-à-dire à une société du chacun pour soi. Un projet écosocialiste se donne pour finalité de rendre effectifs pour toutes et tous les droits collectifs de manière écologique.
N’est-il pas contradictoire de vouloir en même temps satisfaire les besoins sociaux et satisfaire les impératifs écologiques ?
Oui, si on reste dans le cadre du capitalisme qui a échoué dans ses prétentions affichées et nous conduit à la catastrophe sociale et écologique. Non, si on prend en compte les besoins sociaux de l’ensemble de l’humanité et les périls écologiques majeurs qui menacent la planète et toutes les espèces vivantes.
Nous ne pourrons pas continuer longtemps à vivre avec une partie du monde où sévit une société du gaspillage, du futile et de la consommation effrénée et une partie du monde qui n’a même pas de quoi satisfaire les besoins les plus élémentaires pour vivre dignement.
Nous ne pourrons pas échapper longtemps à des catastrophes alimentaires et sanitaires majeures une fois disparues les espèces qui assurent les équilibres de la biodiversité.
Quant à étendre à l’ensemble de la planète le mode de consommation des pays riches, c’est la planète elle-même qui ne pourra y subvenir. C’est donc à une révision radicale de la sélection de nos besoins jusqu’ici déterminés par ceux qui produisent qu’il faut procéder.
Nous sommes contraints soit à changer, soit à connaître d’immenses souffrances. Les altermondialistes le disent depuis plus de dix ans. On les a accusés de catastrophisme. Les faits aujourd’hui leur donnent raison. Certes, il y aura toujours des tensions entre contrainte écologique et satisfaction des besoins sociaux. Mais ces tensions dépendront de la manière dont on déterminera les besoins sociaux.
Comment déterminer les besoins sociaux ?
Une société écosocialiste ne peut être ni élitiste, ni bureaucratique. Elle doit être démocratique. Ce ne sont ni des experts, ni des administratifs qui doivent décider du bonheur des gens. Ce sont les gens eux-mêmes, après s’être appropriés toutes les informations indispensables. Ce qui implique de revisiter la démocratie et de remettre en cause les limites de son fonctionnement actuel qui en fait l’instrument de la classe dominante.
Du local à l’Europe, la démocratie doit devenir, selon le vœu de Jaurès, un « outil révolutionnaire », un outil de transformation, un outil d’appropriation par les femmes et les hommes des termes de leur destin. Il faut interroger la question du pouvoir et ne plus laisser aux hommes de pouvoir le soin de déterminer les règles de l’exercice du pouvoir . Il faut mettre fin à la professionnalisation de l’engagement politique. Il faut limiter drastiquement la pratique de la délégation à la fois sur son contenu et sur les modalités de son exercice. Il faut imposer aux décideurs la transparence et l’obligation de rendre des comptes.
Un programme révolutionnaire de transformation sociale et écologique passe par une refondation de la démocratie. Dans une démocratie refondée, ce n’est plus le marché qui décidera des objectifs de la société mais la population elle-même qui définira ses besoins et planifiera démocratiquement l’utilisation des ressources épuisables et une production conforme à ses besoins et respectueuse des écosystèmes et des capacités de recyclage et d’épuration.
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