La «loi travail», c’est au départ une réforme dictée par la Commission européenne qui juge notre droit du travail trop protecteur, «Le minimum de ce qu’il faut faire» selon Jean-Claude Juncker, son président. C’est ensuite l’ultime transgression, après le débat avorté sur la déchéance de la nationalité, d’un Président de la République, Francçois Hollande, dont on peut affirmer, au vu de son quinquennat, que son ennemi, c’est le Code du travail. C’est enfin un Premier ministre, Manuel Valls, dont la brutalité fait partie de l’identité politique, qui foule au pied les libertés publiques comme jamais depuis… la guerre d’Algérie?!
C’est surtout une formidable mobilisation, dont le déclenchement en plein état d’urgence était loin d’être assuré, qui remet spectaculairement en avant la question sociale au mépris de la question identitaire, le plus long mouvement social depuis 1968, de surcroît sous un gouvernement dit de gauche. Un mouvement? Non, des mouvements qui se succèdent à un rythme soutenu.
Le péril jeune
Une pétition en ligne au succès viral, puis un petit film réalisé par de célèbres youtubeurs vont rapidement contraindre le gouvernement à reculer sur les aspects les plus contestables de son projet de loi. Lycéens et étudiants, bien décidés à ne pas devoir vivre plus mal que leurs parents, s’engouffrent dans la brèche et bousculent leurs ainés, initiant les premières manifestations dès le 9 mars.
Au bout du compte, le gouvernement, en maniant à la fois la carotte avec la satisfaction de revendications propres aux organisations de jeunesse, et le bâton avec une répression ciblée, réussit à juguler la mobilisation étudiante, les congés d’avril et l’approche des examens faisant le reste.
Ils ne sont debout que parce que nous sommes à genoux
La genèse puis l’installation de Nuit Debout à République, c’est le résultat d’une rencontre improbable entre des jeunes déclassés, des activistes syndicaux ou politiques et des intellectuels engagés. à l’issue de la manifestation géante du 31 mars 2016, le campement et l’occupation de la place prennent forme, suscitant une répression féroce puis les suées du gouvernement, avant de s’éteindre tout doucement au cœur de l’été.
Après avoir décrété sa propre temporalité et en multipliant les formes d’actions et d’expressions qui font rapidement école dans tout le pays, on voit mal comment l’expérience, tant en termes d’auto-organisation que de pratiques alternatives, accumulées par des milliers de nuitdeboutistes, qui s’est depuis cristallisée dans le travail des commissions, n’irriguerait pas dans les années qui viennent le champ politique et social.
Vers la grève générale
Alors que les observateurs avisés disaient le syndicalisme moribond et peu représentatif, quel cruel démenti que les quatre mois que nous venons de vivre! On peut dire qu’il a de beaux restes, en particulier la CGT qui compose l’essentiel des mobilisations. Transports, énergies, nettoyage, etc.: jamais autant de secteurs essentiels à l’économie n’étaient rentrés dans l’action les uns après les autres, mais malheureusement non les uns avec les autres, ce qui explique que la thrombose du pays a été in fine évitée. De même, le trou entre les manifestations rapprochées de fin mai et celle nationale du 14 juin dernier, la plus grande mobilisation du secteur privé de ces dernières années, a incontestablement freiné la généralisation du mouvement.
Aussi, (re)construire un syndicalisme interprofessionnel et de lutte là où la «loi travail» veut le circonscrire, avec le soutien de la CFDT qui ne sortira pas indemne de cette séquence, à l’entreprise et à la seule négociation, c’est acquérir une capacité de mobilisation indexée sur son implantation, gage de victoires futures.
Tout le monde déteste? la police
Sauf à changer la nature du régime, on voit difficilement le pouvoir, quelle que soit sa couleur politique, aller plus loin que ce qui a été instigué en termes de répression à une échelle de masse, si ce ne sont des mesures d’ordre extrajudiciaire dont le prolongement de l’état urgence permet de fleureter avec:
- la quasi-interdiction des dernières manifestations avec des fouilles systématiques et l’encagement des parcours;
- celle de manifester avec la délivrance de centaines d’interdictions de paraître?;
- la remise en cause du droit de réunion avec la nasse mise en place devant la Bourse du travail de Paris le 28 juin dernier;
- celle à la liberté d’expression avec l’affiche de la CGT et la fresque grenobloise consacrées aux violences policières;
- les entraves au travail des journalistes;
- l’effraction policière du local de la CNT à Lille le 20 avril dernier.
La vraie démocratie,? elle est ici !
Comme aucune des deux parties en présence ne voulait aller à Canossa, on arrive forcément à un résultat tranché qui se soldera sur le plan politique, y compris avant 2017 et la primaire socialiste. La politique reprend le dessus; le FN, mis entre parenthèses ses derniers mois, risque rapidement de se satisfaire du repli qui naît du reflux et le «courant insurrectionniste», qui s’est ancré dans le phénomène du cortège de tête, ne manquera pas de faire parler à nouveau de lui, à la faveur des universités décentralisées du PS et en cas d’évacuation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes.
Pour Nietzsche, «Tout ce qui est décisif ne naît que malgré. C’est aussi vrai dans le monde de la pensée que dans le monde de l’action. Toute vérité nouvelle naît malgré l’évidence, toute expérience nouvelle naît malgré l’expérience immédiate.» Forts de ce malgré, continuons à nous mobiliser contre le monde de la «loi travail»!
(Article publié dans le quotidien Le Progrès social)
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