jeudi 21 juillet 2016

Après Nice, quelles réponses ?, par François Calaret



L’attentat de Nice a foudroyé la société française.  Par son mode opératoire d’une banalité quotidienne : l’usage d’un camion. Par le lieu de son déroulement : une ville de province censée être la plus « sécurisée » de France. Par les victimes qu’il a touchées : une foule populaire, comprenant de nombreuses familles avec enfants, rassemblée pour un évènement – le feu d’artifice du 14 juillet -  qui fait partie du quotidien. C’est une onde de choc qui s’imprime dans une société déjà à vif, travaillée par de multiples sources de tension. 


Évidemment le besoin de comprendre, de resituer l’évènement dans un cadre plus général est irrépressible. Et dans ce type de situation, il y a toujours le risque d’éviter de prendre la mesure du phénomène auquel nous sommes confrontés. 


Après les attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan de nombreuses explications réduisaient le surgissement du terrorisme djihadiste à un sous-produit tantôt des politiques impérialistes occidentales, tantôt aux conditions sociales (chômage, racisme, absence d’avenir…). Dans le cas de Nice, une variante a émergé en mettant l’accent sur le caractère psychologiquement déséquilibré de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, dont la trajectoire indique un rapport distancié à la pratique religieuse.


Toutes ces explications comportent une part de vérité, mais elles sont impuissantes à cerner précisément le problème et à répondre à la question : pourquoi depuis environ deux ans, la société française et de nombreux pays dans le monde sont confrontés à une vague d’attentats meurtriers ? 

Il y a 10 ans, les inégalités, le racisme, les politiques guerrières des pays occidentaux comme les dérives de déséquilibrés violents existaient déjà. Le changement majeur, c’est l’existence aujourd’hui de l’État Islamique, c'est-à-dire d’une force politique et sociale, à prétention étatique, qui est capable de polariser et de mobiliser des dizaines de milliers de combattants, au nom d’une idéologie totalitaire. C’est l’existence de ce courant politique, nouveau, d’une plus grande ampleur que les réseaux djihadistes des années 80 et 90 qui ont constitué Al Qaïda, qui constitue un élément majeur de la période politique actuelle. 

Il faut refuser la logique de « guerre au djihadisme » que Sarkozy et Valls veulent imposer, mais il y a un combat politique qu’il faut mener contre ce courant politique en tant que tel, qui constitue un ennemi de tous ceux qui se battent pour l’émancipation.


Faire face à ce défi est un enjeu incontournable. D’autant plus que les réactions des principales forces politiques témoignent de l’impuissance des réponses proposées aujourd’hui. 

Après l’attentat de Nice, c’est la droite d’Estrosi à Sarkozy, et même Juppé, qui a pris l’offensive en ciblant la responsabilité du gouvernement et en multipliant les propositions de mesures répressives (enfermement préventif des fichés S, fermetures de mosquées, isolement pour les terroristes condamnés…). À la différence de Charlie Hebdo et du Bataclan, il n’y a eu ni marche du 11 janvier ni ovation du Congrès pour le Président Hollande. L’image du gouvernement se résume à celle de Manuel Valls sifflé à Nice lors de la minute de silence. Celui-ci est apparu sans marge de manœuvre, sans réponse réelle, à l’exception d’accepter de reprendre une part plus ou moins importante des propositions de la droite. 

Cette situation est particulièrement grave : non seulement les propositions de la droite – malgré les postures guerrières –  ne sont d’aucune efficacité face au terrorisme djihadiste, mais elles nous entraînent dans une logique d’État d’exception et de remise en cause des droits démocratiques. Ces derniers mois, on a pu mesurer les conséquences réelles de l’État d’urgence (contre les militants écolos pendant la Cop 21, contre les manifestants anti El Khomri…). On devine ce dont serait capable la droite au pouvoir avec un tel arsenal législatif.


Évidemment le Front National, n’est pas en reste et a placé la barre un cran au-dessus. Marine Le Pen propose notamment d’interdire l’UOIF. Cette organisation, aux positions religieuses traditionnelles et conservatrices, a évidemment condamné les attentats de Nice et est même dénoncée par l’État Islamique comme compromise avec « l’Occident ».  

Mais pour Marine Le Pen il s’agit de viser, à travers leurs organisations, les citoyens musulmans dans leur ensemble. C’est une logique de guerre civile qu’elle encourage. Le plus ignoble, c’est que cela revient à faire le tri dans les victimes de l’attentat de Nice (qui comportent plusieurs personnes de confession musulmane). 

Cela confirme la préoccupation de Patrick Calvar, responsable de la DGSI qui déclarait en mai dernier à la commission de la défense nationale de l'Assemblée nationale : « nous sommes en train de déplacer des ressources pour nous intéresser à l'ultra droite qui n'attend que la confrontation. Et cette confrontation, je pense qu'elle va avoir lieu. Encore un ou deux attentats et elle adviendra ». 

Personne ne sait ce qui va dominer dans les prochains mois. Mais le fait que le débat public se déplace sur l’hypothèse d’une « dislocation » de la société française est en soi un symptôme. Ensuite cela dépend également de la capacité des forces progressistes - celles qui se sont mobilisées contre la déchéance de nationalité, dans le mouvement Nuit Debout, dans les luttes sociales et écologistes, qui portent une alternative et contribuent à faire vivre la démocratie - de ne pas se laisser étouffer et paralyser par la logique mortifère du repli sur soi. 


Le paradoxe du débat public actuel, c’est que Nicolas Sarkozy et Manuel Valls indiquent tous deux que le combat contre le terrorisme djihadiste sera long – à l’échelle d’une génération – mais se limitent à des mesures répressives immédiates sans être capable de dessiner les chemins permettant d’envisager une issue à cette bataille d’ici dix à vingt ans. Car les mesures de grande ampleur à mettre en œuvre supposeraient pour les principales forces politiques qui ont gouverné ces dernières années de se remettre en cause elles-mêmes ainsi que les choix qu’elles ont imposés. Trois enjeux majeurs peuvent être posés :


1 1 - Des mesures immédiates doivent être mises en œuvre pour prévenir de nouveaux attentats. Mais le problème n’est pas de mettre toute la société surveillance au mépris des droits démocratiques, sans que personne n’ait par ailleurs les moyens de traiter les informations requises. La priorité doit être donnée aux moyens de renseignements humains qui permettent de mener les enquêtes nécessaires. Ni la prolongation de l’État d’urgence renforcé, proposé par Manuel Valls, ni les mesures d’exception proposées par Nicolas Sarkozy ne permettent de répondre efficacement


22 - Un deuxième enjeu se situe également au sein de la société française elle-même. Dans les multiples et diverses trajectoires de ceux qui rejoignent l’État Islamique, la faillite de l’égalité réelle se pose à chaque fois. Tout ce qui contribue à « faire société », dans l’accès à l’emploi, à l’éducation, aux soins, dans des institutions carcérales dignes et humaines. Évidemment, cette politique préventive, de long terme, suppose une remise en cause des politiques d’austérité qui exacerbent les tensions sociales et les injustices.


33 - Mais la bataille essentielle se mène à l’échelle internationale, c’est en Syrie et en Irak – et de plus en plus en Libye – que le combat contre l’État Islamique se mène. Le respect de la souveraineté des peuples est un défi essentiel dans ces pays qui ont subi les conséquences désastreuses des politiques des puissances américaines et européennes. Plus que jamais, le soutien aux forces de la résistance syrienne qui se battent contre l’État Islamique et Bachar El Assad ainsi que le soutien aux forces kurdes est un enjeu crucial. Alors que la résistance à Alep est soumise à un siège cruel par l’armée de Bachar El Assad, celui-ci ne peut constituer un allié. Le territoire de l’État Islamique peut reculer, mais le maintien au pouvoir du dictateur syrien constitue un argument puissant pour les recruteurs de l’EI. Et la campagne de bombardements aériens contre l’EI lancée par les États Unis, la France et l’Angleterre – qui vient de faire plusieurs dizaines de victimes civiles dont de nombreux enfants dans un village syrien – ne peut se substituer à la lutte des peuples eux-mêmes. La clé de la lutte contre l’État Islamique réside dans la capacité des peuples du Moyen Orient à y faire face. C’est à leur côté qu’il faut être.


François Calaret. Ensemble!

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