L’attentat de Nice a
foudroyé la société française. Par son
mode opératoire d’une banalité quotidienne : l’usage d’un camion. Par le
lieu de son déroulement : une ville de province censée être la plus
« sécurisée » de France. Par les victimes qu’il a touchées : une
foule populaire, comprenant de nombreuses familles avec enfants, rassemblée
pour un évènement – le feu d’artifice du 14 juillet - qui fait partie du quotidien. C’est une onde
de choc qui s’imprime dans une société déjà à vif, travaillée par de multiples
sources de tension.
Évidemment le besoin de
comprendre, de resituer l’évènement dans un cadre plus général est
irrépressible. Et dans ce type de situation, il y a toujours le risque d’éviter
de prendre la mesure du phénomène auquel nous sommes confrontés.
Après les
attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan de nombreuses explications
réduisaient le surgissement du terrorisme djihadiste à un sous-produit tantôt
des politiques impérialistes occidentales, tantôt aux conditions sociales
(chômage, racisme, absence d’avenir…). Dans le cas de Nice, une variante a
émergé en mettant l’accent sur le caractère psychologiquement déséquilibré de
Mohamed Lahouaiej Bouhlel, dont la trajectoire indique un rapport distancié à
la pratique religieuse.
Toutes ces explications
comportent une part de vérité, mais elles sont impuissantes à cerner
précisément le problème et à répondre à la question : pourquoi depuis
environ deux ans, la société française et de nombreux pays dans le monde sont
confrontés à une vague d’attentats meurtriers ?
Il y a 10 ans, les
inégalités, le racisme, les politiques guerrières des pays occidentaux comme
les dérives de déséquilibrés violents existaient déjà. Le changement majeur,
c’est l’existence aujourd’hui de l’État Islamique, c'est-à-dire d’une force
politique et sociale, à prétention étatique, qui est capable de polariser et de
mobiliser des dizaines de milliers de combattants, au nom d’une idéologie
totalitaire. C’est l’existence de ce courant politique, nouveau, d’une plus
grande ampleur que les réseaux djihadistes des années 80 et 90 qui ont
constitué Al Qaïda, qui constitue un élément majeur de la période politique
actuelle.
Il faut refuser la logique de « guerre au djihadisme » que
Sarkozy et Valls veulent imposer, mais il y a un combat politique qu’il faut
mener contre ce courant politique en tant que tel, qui constitue un ennemi de
tous ceux qui se battent pour l’émancipation.
Faire face à ce défi
est un enjeu incontournable. D’autant plus que les réactions des principales
forces politiques témoignent de l’impuissance des réponses proposées
aujourd’hui.
Après l’attentat de Nice, c’est la droite d’Estrosi à Sarkozy, et
même Juppé, qui a pris l’offensive en ciblant la responsabilité du gouvernement
et en multipliant les propositions de mesures répressives (enfermement
préventif des fichés S, fermetures de mosquées, isolement pour les terroristes
condamnés…). À la différence de Charlie Hebdo et du Bataclan, il n’y a eu ni
marche du 11 janvier ni ovation du Congrès pour le Président Hollande. L’image
du gouvernement se résume à celle de Manuel Valls sifflé à Nice lors de la
minute de silence. Celui-ci est apparu sans marge de manœuvre, sans réponse
réelle, à l’exception d’accepter de reprendre une part plus ou moins importante
des propositions de la droite.
Cette situation est particulièrement
grave : non seulement les propositions de la droite – malgré les postures
guerrières – ne sont d’aucune efficacité
face au terrorisme djihadiste, mais elles nous entraînent dans une logique
d’État d’exception et de remise en cause des droits démocratiques. Ces derniers
mois, on a pu mesurer les conséquences réelles de l’État d’urgence (contre les
militants écolos pendant la Cop 21, contre les manifestants anti El Khomri…). On
devine ce dont serait capable la droite au pouvoir avec un tel arsenal
législatif.
Évidemment le Front
National, n’est pas en reste et a placé la barre un cran au-dessus. Marine Le
Pen propose notamment d’interdire l’UOIF. Cette organisation, aux positions
religieuses traditionnelles et conservatrices, a évidemment condamné les
attentats de Nice et est même dénoncée par l’État Islamique comme compromise
avec « l’Occident ».
Mais
pour Marine Le Pen il s’agit de viser, à travers leurs organisations, les citoyens
musulmans dans leur ensemble. C’est une logique de guerre civile qu’elle
encourage. Le plus ignoble, c’est que cela revient à faire le tri dans les
victimes de l’attentat de Nice (qui comportent plusieurs personnes de
confession musulmane).
Cela confirme la préoccupation de Patrick Calvar,
responsable de la DGSI qui déclarait en mai dernier à la commission de la
défense nationale de l'Assemblée nationale : « nous sommes en train de
déplacer des ressources pour nous intéresser à l'ultra droite qui n'attend que
la confrontation. Et cette confrontation, je pense qu'elle va avoir lieu.
Encore un ou deux attentats et elle adviendra ».
Personne ne sait ce qui va dominer dans les
prochains mois. Mais le fait que le débat public se déplace sur l’hypothèse d’une
« dislocation » de la société française est en soi un symptôme.
Ensuite cela dépend également de la capacité des forces progressistes - celles
qui se sont mobilisées contre la déchéance de nationalité, dans le mouvement Nuit
Debout, dans les luttes sociales et écologistes, qui portent une alternative et
contribuent à faire vivre la démocratie - de ne pas se laisser étouffer et paralyser
par la logique mortifère du repli sur soi.
Le paradoxe du débat public actuel, c’est que Nicolas Sarkozy et Manuel
Valls indiquent tous deux que le combat contre le terrorisme djihadiste sera
long – à l’échelle d’une génération – mais se limitent à des mesures
répressives immédiates sans être capable de dessiner les chemins permettant
d’envisager une issue à cette bataille d’ici dix à vingt ans. Car les mesures
de grande ampleur à mettre en œuvre supposeraient pour les principales forces
politiques qui ont gouverné ces dernières années de se remettre en cause elles-mêmes
ainsi que les choix qu’elles ont imposés. Trois enjeux majeurs peuvent être
posés :
1 1 - Des mesures immédiates doivent être mises en œuvre
pour prévenir de nouveaux attentats. Mais le problème n’est pas de mettre toute
la société surveillance au mépris des droits démocratiques, sans que personne
n’ait par ailleurs les moyens de traiter les informations requises. La priorité
doit être donnée aux moyens de renseignements humains qui permettent de mener
les enquêtes nécessaires. Ni la prolongation de l’État d’urgence renforcé,
proposé par Manuel Valls, ni les mesures d’exception proposées par Nicolas Sarkozy
ne permettent de répondre efficacement
22 - Un deuxième enjeu se situe également au sein de la
société française elle-même. Dans les multiples et diverses trajectoires de
ceux qui rejoignent l’État Islamique, la faillite de l’égalité réelle se pose à
chaque fois. Tout ce qui contribue à « faire société », dans l’accès
à l’emploi, à l’éducation, aux soins, dans des institutions carcérales dignes
et humaines. Évidemment, cette politique préventive, de long terme, suppose une
remise en cause des politiques d’austérité qui exacerbent les tensions sociales
et les injustices.
33 - Mais la bataille essentielle se mène à l’échelle
internationale, c’est en Syrie et en Irak – et de plus en plus en Libye – que
le combat contre l’État Islamique se mène. Le respect de la souveraineté des
peuples est un défi essentiel dans ces pays qui ont subi les conséquences désastreuses
des politiques des puissances américaines et européennes. Plus que jamais, le
soutien aux forces de la résistance syrienne qui se battent contre l’État
Islamique et Bachar El Assad ainsi que le soutien aux forces kurdes est un
enjeu crucial. Alors que la résistance à Alep est soumise à un siège cruel par
l’armée de Bachar El Assad, celui-ci ne peut constituer un allié. Le territoire
de l’État Islamique peut reculer, mais le maintien au pouvoir du dictateur
syrien constitue un argument puissant pour les recruteurs de l’EI. Et la
campagne de bombardements aériens contre l’EI lancée par les États Unis, la
France et l’Angleterre – qui vient de faire plusieurs dizaines de victimes
civiles dont de nombreux enfants dans un village syrien – ne peut se substituer
à la lutte des peuples eux-mêmes. La clé de la lutte contre l’État Islamique
réside dans la capacité des peuples du Moyen Orient à y faire face. C’est à
leur côté qu’il faut être.
François Calaret. Ensemble!
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