dimanche 10 juillet 2016

NDL : Nous avons perdu la consultation du 26 juin, oui. Avons-nous perdu tout droit à nous opposer ? Non, par Françoise Verchère


Depuis le 27 juin, on entend en boucle cette critique prévisible : «  Vous avez perdu, vous devez respecter le suffrage universel, vous portez un mauvais coup à la Démocratie en continuant votre opposition. »

Cette réaction n'est pas étonnante, elle paraît même au premier abord « logique », mais pour ne pas rester à la surface des choses, la pensée mérite toujours un peu de temps, de raisonnement et plus de 140 caractères… Essayons donc d'y voir plus clair.


1) Première critique : on nous renvoie à l'épisode encore douloureux du referendum de 2005 sur la constitution européenne. Le peuple vote « Non », et l'on bafoue son vote quelques mois plus tard en faisant adopter par le parlement le traité de Lisbonne qui permet l'essentiel de ce qui était inscrit dans la constitution refusée. Que ce scandale démocratique réel soit utilisé pour discréditer notre position est d'une parfaite mauvaise foi. J'ai pour ma part quitté à ce moment-là le Parti Socialiste avec les conséquences que l'on sait. Ceux qui nous rappellent au respect de La Démocratie aujourd'hui peuvent-ils d'abord me rappeler leur réaction écrite, orale ou les actes qu'ils ont posés à ce moment-là ? Juste pour mémoire. Cela devrait en inciter quelques-uns à plus de modération, voire au silence total.

Sur le fond maintenant : la consultation du 26 juin était une consultation pour avis, pas un referendum  (extrait de la lettre reçue par chaque électeur : « Cette consultation a la valeur d'un avis. ».) Un avis n'engage pas et n'a pas valeur de loi. D'ailleurs, c'est ce que nous expliquent régulièrement les autorités qui ont balayé d'un revers de la main l'avis négatif du Comité de scientifiques chargés d'évaluer la méthode de compensation, l'avis négatif par voie de conséquence de la Commission d'enquête publique au titre de la loi sur l'eau, l'avis négatif du Conseil National de Protection de l'Environnement, l'avis négatif du Conseil Supérieur du Patrimoine naturel. Tout récemment et sur un autre sujet, le gouvernement a déclaré d’utilité publique la ligne LGV du Sud-Ouest malgré l'avis négatif de la commission d'enquête. Qui s'en scandalise ?

Admettons pour le raisonnement que l'avis du peuple ait plus de poids. L'avis du peuple abolit-il la loi ? NON. La question posée n’étant pas «  Êtes-vous pour l'abolition de la loi sur l'eau ? », tout le monde conviendra que même si le peuple dit vouloir un nouvel aéroport, ce désir ne peut effacer les règles fixées par la loi. Visiblement, cela n'a pas l'air d'émouvoir ceux qui ne cessent de nous rappeler au respect des règles républicaines. A ce jour le résultat de dimanche ne fait donc pas du projet de NDDL un projet légal, ni au niveau national ni au niveau européen.
 
2) Seconde critique : on nous dit que, si nous n'acceptons pas de jeter l'éponge, nous n'aurions pas dû participer à la consultation mais appeler au boycott. Quelqu'un peut-il me donner l'exemple d'un boycott réussi de consultation populaire ? Certes la participation aurait été en baisse mais des électeurs se seraient évidemment déplacés pour voter non. Le score final aurait parfaitement convenu au gouvernement car on oublie bien vite le taux de participation de toute élection. La remplaçante de JM Ayrault a été élue dernièrement par 14,5 % des électeurs, compte tenu du taux d'abstention ; la voit-on douter un instant de sa représentativité ?
 
Nous étions piégés de toute façon : le périmètre de la consultation a été choisi pour que le OUI l'emporte, à partir d'un sondage. Participer, c'était perdre et nous avons perdu mais en faisant baisser le score du Oui par rapport au sondage. Ne pas participer, c'était perdre aussi. Et dans ce cas que n'aurions-nous entendu sur notre peur de passer par les urnes et notre refus de la démocratie ? !
 
C'est pourquoi nous avons dit dès le début collectivement que nous participerions mais que le vote ne nous engagerait pas à arrêter toute contestation (cf supra, sur la légalité du projet).
 
3) Sur le principe même d'une consultation : en mars 2015, lors de notre audition par la commission spécialisée d'Alain Richard, nous avions dit notre méfiance sur le principe d'une consultation en ces termes : « Le Président de la République a évoqué le recours au referendum pour trancher des situations bloquées. Est-ce une bonne solution ? Nous sommes circonspects sur cette proposition car les questions que pose un referendum sont nombreuses : le périmètre, la formulation de la question (pour ou contre un projet ou bien un choix entre plusieurs solutions ?) le temps de l'information de la population, les moyens matériels et financiers donnés aux parties présentes, tout peut être sujet à débat... et à manipulation.
La France n'a pas la culture de la « votation citoyenne » contrairement à la Suisse. Dès lors proposer un referendum in fine n’est-ce pas surtout révélateur d'un sérieux déficit de concertation et de débat en amont ? »
 
           Bien que félicités pour notre travail d'analyse, nous n'avons évidemment pas été entendus. Et toutes nos craintes ont été confirmées : périmètre biaisé, pas d'alternative alors que le rapport des experts de Ségolène Royal aurait dû servir de point d'appui à la consultation comme l'avait promis la ministre, information de la population de manière discutable pour le moins, utilisation anormale de moyens publics (bulletins municipaux, site internet et extranet, position des maires). Inutile au demeurant de se lancer dans un contentieux post-électoral, nous n'avons aucune chance de gagner. Où sont les dénonciations de tout cela par les zélateurs de la Démocratie ?
 
4) Dernière critique déjà entendue : il semble qu'on ne puisse plus utiliser le simple mot de résistance sans se faire reprocher de bafouer les héros de La Résistance. Qu'on ne puisse plus non plus rappeler que légalité et légitimité sont parfois en opposition. Qu'à part contre une dictature à la Pinochet (chacun mettra le nom du dictateur de son choix), seule l'obéissance serait de règle, parce que c'est pire ailleurs et que malgré tout « on est encore en démocratie ». Même si notre « démocratie » est malade gravement, même si ceux qui se gargarisent du mot le vident de son sens et de ses valeurs, même si petit à petit nous allons vers une démocratie d'apparence, comme dans les meilleurs romans d'anticipation… Pour un peu, c'est nous qui serions coupables de la montée du Front National, du climat social dégradé, et peut-être même de l'échec de la lutte contre le terrorisme...
 
Il y aurait tant à dire... et le bac de philo est derrière nous. Qui se soucie de la philo du reste ? En quelques mots cependant : Antigone et Créon sont les figures de l'affrontement entre légalité et légitimité (bien avant De Gaulle et Pétain !). Or Créon n'est pas un tyran, ni un nazi avant l'heure. Il veut la paix pour sa ville, après les affrontements meurtriers entre les frères d'Antigone ; il pense que le bien public et la restauration de l'ordre nécessitent qu'il y ait un bon et un méchant (pour édifier le peuple qui ne vote pas à l'époque), d'où son refus de la sépulture pour un des frères d'Antigone. D'où la rébellion de cette dernière. Au nom d'une valeur pour elle supérieure : son respect des rites funéraires.
           
Ce qui fait que nous maintenons notre opposition et notre résistance au nouvel aéroport, c'est précisément que la consultation ne fait pas de NDDL un bon projet, ni un projet anodin. Le réduire à la destruction de quelques hectares de terres agricoles, sans plus de conséquences, est un raccourci édifiant.
 
Mes valeurs supérieures à moi, qui ne me suis jamais prise pour Antigone, sont les suivantes : la recherche de la vérité, le refus de la destruction irréversible, le respect du vivant. Et si je me bats avec tant d'autres pour les tritons de NDDL, ou pour la poignée d'agriculteurs qui y restent (pour reprendre la moquerie habituelle des pro-aéroport), c'est parce que je ne peux plus regarder mes tout petits-enfants sans être terrorisée, à tout point de vue, par le monde que nous allons leur laisser.
 
Françoise Verchère, coprésidente du CéDpa

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