Comme en 2009, en Guadeloupe, Martinique et, déjà, en Guyane,
la révolte gronde dans une des dernières colonies françaises. Les
barrages, la grève générale, les manifestations rassemblent toutes les
composantes du peuple guyanais. Les cahiers de doléances s’accumulent,
reflétant la concentration des maux dont souffrent les confettis de
l’Empire colonial français de jadis.
Ce qui n’est pas une « ile » contrairement à la dernière
macronitude souffre d’un ordre colonial qui persiste et signe. Dans ces
territoires oubliés de la République, le taux de chômage est souvent
supérieur à la métropole (22%), les services publics sont défaillants : 15 % de la population n’a pas accès à l’eau potable, 44 % des enfants quittent l’école au niveau du primaire. La pauvreté est au plus haut : le
revenu moyen est de 1400 euros et près de la moitié des Guyanais vit
avec moins de 500 euros par mois… Alors que les prix de nombreux biens
de première nécessité sont plus élevés qu’en Métropole.
Dans ce chaos, c’est la jeunesse qui se sent la plus abandonnée : plus de 2000 enfants sont déscolarisés et plus de 40 % des jeunes sont au chômage.
Cette mobilisation ne sort donc pas de nulle part. Elle s’enracine dans une situation sociale et économique catastrophique. Le
peuple Guyanais pose des revendications légitimes concernant
l’insécurité, l’éducation, la santé, le développement, l’emploi et la
répartition des richesses. Il indique aussi clairement sa volonté qu’on
s’attaque aux causes des problèmes, en réclamant des moyens conséquents.
La multiplication de plans annoncés par les autorités françaises au
cours de dizaines d’années n’a jamais apporté de solution aux problèmes
du peuple Guyanais. Quant à la biodiversité, elle est
menacée par le développement de l’orpaillage et la dissémination du
cyanure, instrument de son exploitation, dans la nature. Enfin, la
composante créole du peuple guyanais, majoritaire, se sent profondément
frustrée et menacée dans son existence même en raison de la montée en
puissance d’une immigration massive provenant du Brésil, du Surinam et
d’Haïti.
Personne ne s’étonnera, dès lors, que la colère
se soit concentrée sur l’insécurité, exacerbée par des agressions
violentes en plein jour, à Cayenne ou à Saint-Laurent du Maroni, qui
débouchent souvent sur des assassinats.
Les guyanais estiment que la France ne s’intéresse qu’aux
quelques kilomètres de l’enclave de la base spatiale de Kourou, vitrine
de l’industrie spatiale. De fait, les différentes promesses des
précédents présidents, de Chirac à Hollande, en passant par Nicolas
Sarkozy, sont restées lettres mortes. A tel point qu’aujourd’hui, dans
ses premières concessions, le gouvernement Cazeneuve propose des
financements dont une partie n’est que le rattrapage de mesures
promises, mais jamais réalisées au cours des deux derniers quinquennats.
Le mouvement en Guyane est une forme d’expression citoyenne,
marquée par la visibilité des militants encagoulés du «Mouvement
des Cinq cents frères », par la volonté de négociation ferme du
collectif « Pou lagwiyann dékolé » (Pour que la Guyane décolle) et par
une mobilisation massive des salariés, animée par l’UTG, l’Union des Travailleurs guyanais.
Les élus locaux comme les pouvoirs publics ont été dépassés par
l’ampleur d’un mouvement massif, uni, représentant tous les secteurs de
la population. Comme si la Guyane était non seulement un concentré de
la situation de l’outre-mer, mais aussi de l’ensemble de la France où
les partis sont déconsidérés et remplacés par des mouvements d’opinion,
construits à partir des réseaux sociaux.
Autre caractéristique du mouvement guyanais : la demande
d’excuses, bruyamment demandée et acceptée par une ministre de
l’outre-mer, pourtant vilipendée, qui se fait applaudir pour avoir pris
son mégaphone afin d’apurer une dette morale. Cette demande d’excuses
est en fait une exigence de reconnaissance et de réparations pour une
situation d’oppression coloniale, au fond de la question posée par le
mouvement en cours : Aucun directeur d’administration centrale n’est
issu de la population guyanaise et les cadres de l’administration
dépendent des concours nationaux et des mutations organisées à partir de
la Métropole, à des milliers de kilomètres.
Nous sommes tous guyanais, parce qu’égaux et différents, nous
nous reconnaissons dans leur volonté de vivre ensemble dans une société
où il fait bon vivre.
Nous sommes tous guyanais dans ce désir de d’insoumission face à
une mondialisation qui broie nos vies pour protéger les profits et les
privilèges des puissants.
Nous sommes tous guyanais parce que, en Guyane comme en
Métropole, nous devons décoloniser une République sous influence des
lobbies et des prédateurs de toute sorte.
Cette République, « une et indivisible », repose sur une fausse
égalité, bafouée au profit d’intérêts privés, sans que jamais les
populations discriminées, fragilisées, surexploitées puissent avoir leur
mot à dire. Qu’est ce qu’une telle République, qui ne protège plus
celles et ceux sous sa responsabilité, sinon un régime inégalitaire,
discriminatoire et antidémocratique ?
Nous sommes tous guyanais car le mépris de la classe dirigeante
qu‘ils ressentent, correspond au sentiment général qui s’exprime
partout en France.
Cette élection présidentielle, à nulle autre pareille, est le
résultat de cette défiance, de cette colère de tout un peuple face à
lune vieille classe politique usée et qui a renoncé à l’intérêt général.
Ce n’est plus seulement une affaire de clivage gauche / droite. Tous
les partis de gouvernement sont coupables et responsables de cette
situation délétère. Tous ont échoué et se sont couchés devant les
tenants de l’oligarchie financière. En Guyane comme ailleurs, le vent se
lève … et c’est tant mieux !
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