Dans un article précédent, nous avions évoqué le constat d’une crise politique. Il n’est pas infirmé par les derniers sondages [1].
Pour l’instant, deux tiers des individus interrogés se disent certains
d’aller voter (l’abstention, le 22 avril 2012 était de 20,5%). Et sur
ceux qui affirment qu’ils iront sûrement voter, moins des deux tiers
considèrent que leur choix est définitif. Ajoutons que près de 40%
(Ipsos) disent que leur choix de tel ou tel candidat ne se fait pas par
adhésion, mais par défaut.
Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que la dispersion des intentions de vote soit toujours aussi grande. Aucun candidat retenu par les sondés ne dépasse le quart des suffrages exprimés. Extrême droite, droite "classique", centre et gauche se partagent l’électorat de façon presqu’équivalente.
Emmanuel Macron est de ce fait dans une situation étrange. Dans un contexte incertain, il reste le candidat "attrape-tout" par excellence, ses soutiens allant de la gauche officiellement la plus déterminée à la bonne vieille droite libérale. Au coude-à-coude avec Marine Le Pen, il continue de bénéficier de la présomption d’un "vote utile" contre elle, dans la perspective du second tour. Mais l’exercice d’équilibre qu’appelle le "ni droite ni gauche" est délicat. L’approximation de ses propos et de son image conduit ainsi une partie de ses soutiens premiers à revenir vers un vote plus "naturel", à gauche comme à droite. Quand elle est en dynamique, la position au centre peut être porteuse… faute de mieux. Sans cette dynamique, elle est menacée sur sa droite comme sur sa gauche.
L’évolution la plus spectaculaire se situe à gauche. On a un temps brodé sur l’hypothèse d’une candidature unique rassemblant les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, de Benoît Hamon et de Yannick Jadot. Manifestement, l’opinion de gauche a tranché ce débat théorique, qui occultait bien des questions souterraines de leadership.
Sur la durée, il lui a été toutefois trop difficile de sortir de l’entre-deux auquel il était dès le départ condamné. Un gauchissement exagéré de sa campagne ne pouvait que porter vers Emmanuel Macron les tenants les plus déterminés des choix gouvernementaux "sociaux-libéraux". Un recentrage trop poussé légitimait au contraire le choix d’un Jean-Luc Mélenchon arcbouté sur l’exigence de coupure franche avec l’ère Hollande-Valls.
Pour se sortir de la nasse, Benoît Hamon a choisi de s’identifier à une mesure forte mais controversée (le revenu universel). Or aucune mesure particulière, a fortiori si elle n’est pas rassembleuse, ne peut compenser la fragilité d’une posture liée au fait que la primaire de janvier a fait de lui le candidat d’un parti associé à la débâcle du hollandisme au pouvoir. Frondeur, certes, mais officiellement investi par les socialistes…
La fin du PS mitterrandien était prévisible depuis quelque temps. Elle est désormais actée. Benoît Hamon pourrait bien en payer les frais électoraux, comme Gaston Defferre le fit en 1969… avant que François Mitterrand ne mette la main sur un PS hors-jeu.
Celui qui fut en 2012 le porte-parole du Front de gauche a su faire preuve d’un sens prononcé de l’initiative. Alors que le Front de gauche battait de l’aile depuis quelque temps, tandis que s’épaississaient les confusions entourant la primaire socialiste – le PCF lui-même laissait au départ entendre qu’il pourrait y participer – il décida de prendre les devants, sans l’aval de ses partenaires d’hier. Le cadre unitaire de 2012 étant en sommeil, il se dota d’un outil de campagne, la France insoumise, sous la forme d’une structure de mobilisation hors parti (y compris le sien), structurée autour de groupes locaux de soutien.
En même temps, il a veillé à ce que la cohérence de son projet, en principe venue "du bas", s’inscrive pour l’essentiel dans la continuité du programme élaboré collectivement en 2012. Entre L’Avenir en commun de la France insoumise et L’Humain d’abord du Front de gauche, les différences réelles n’ont dressé aucune muraille infranchissable. Les débuts ont été hésitants, puis un rythme de croisière a été atteint dès le mois de juin 2016, que seuls les résultats de la primaire ont perturbé pendant quelques semaines. Depuis une dizaine de jours, la dynamique est passée franchement du côté du leader de la France insoumise, propulsé désormais aux tout premiers rangs, au détriment d’un Benoît Hamon à la recherche d’un nouveau souffle.
Contrairement à ce qui se dit parfois, dans un pays comme la France la gauche de gauche, que le PCF a politiquement incarnée pendant plusieurs décennies, n’a pas disparu en même temps que le vote communiste déclinait. Selon les circonstances et le type d’élection, cette part de l’espace politique a pu mobiliser jusqu’à un bon cinquième des suffrages. Dans des moments particuliers, comme au moment de la campagne référendaire européenne de 2005, elle a su même imposer sa marque, impulsant alors un Non de gauche expansif, nourrissant le rejet du texte constitutionnel. Mais si cette gauche n’a jamais disparu, elle a pu être à la fois somnolente dans ses effets sur l’opinion et dispersée dans ses formes d’expression.
Alors que les défauts congénitaux du Front de gauche l’empêchaient de stimuler suffisamment la gauche combative, Jean-Luc Mélenchon a su user du moment présidentiel pour relancer une dynamique. Si elle se poursuit et s’amplifie, il est évident que s’ouvre une nouvelle page de la gauche française et peut-être de la vie politique elle-même. Dans tous les cas de figure, rien ne devrait être comme avant. Le PS, on l’a dit, est au bout de l’aventure mitterrandienne qui l’avait porté au pouvoir et qui avait précipité le PC dans un déclin électoral continu. Pour des raisons certes différentes, les deux protagonistes de la gauche du XXe siècle ont ainsi en commun d’être affaiblis cruellement.
Reste la gauche de la gauche. Redonnera-t-elle le ton à toute la gauche, comme elle le fit dans le passé ? Redeviendra-t-elle une force pleinement populaire ? Attirera-t-elle dans sa direction tout ce qui exprime aujourd’hui une exigence d’égalité, de citoyenneté et de solidarité ? Le Front de gauche en a rêvé, mais pour l’instant, c’est une candidature à la fois en continuité avec l’expérience antérieure et en rupture avec elle qui est en passe d’aller dans ce sens.
De ce qu’il conviendra de faire par la suite, de l’avenir de la France insoumise et de ceux qui n’y sont pas tout en soutenant Mélenchon, il sera bien temps de discuter… Après. Dans l’immédiat, la clé est dans l’ampleur du vote Mélenchon… et dans celui de la tentation centriste. L’élément le plus perturbant, le mieux à même de redéfinir les lignes du clivage politique et d’obliger à une recomposition globale des liens entre la critique sociale et la gauche politique se trouvera principalement dans le niveau atteint par Jean-Luc Mélenchon. La position du curseur à gauche ne se mesurera pas à son seul score. Mais celui-là sera le plus scruté. Le 23 avril au soir, bien sûr. Et pourquoi pas le 7 mai ?
Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que la dispersion des intentions de vote soit toujours aussi grande. Aucun candidat retenu par les sondés ne dépasse le quart des suffrages exprimés. Extrême droite, droite "classique", centre et gauche se partagent l’électorat de façon presqu’équivalente.
Le Pen plafonne, Macron sur un fil
Avec les prudences qui s’imposent, on notera que la progression de Marine Le Pen semble pour l’instant enrayée. Le noyau de son électorat est certes solide et motivé, mais les digues qui limitent son expansion se révèlent encore solides. Son atout maître est la faiblesse relative de son concurrent de droite qu’elle devance encore largement. Or la situation de François Fillon est moins fragile que ne le laissaient prévoir ses déboires judiciaires et médiatiques. Lui aussi dispose d’un socle électoral solide (75% sont sûr de leur vote selon Ipsos) d’électeurs plutôt âgés et donc a priori plus enclins que d’autres à aller voter. Par ailleurs, une partie des sympathisants de la droite et du centre tentés par Emmanuel Macron semblent revenir à un positionnement plus affirmé vers la droite qui était leur point d’ancrage.Emmanuel Macron est de ce fait dans une situation étrange. Dans un contexte incertain, il reste le candidat "attrape-tout" par excellence, ses soutiens allant de la gauche officiellement la plus déterminée à la bonne vieille droite libérale. Au coude-à-coude avec Marine Le Pen, il continue de bénéficier de la présomption d’un "vote utile" contre elle, dans la perspective du second tour. Mais l’exercice d’équilibre qu’appelle le "ni droite ni gauche" est délicat. L’approximation de ses propos et de son image conduit ainsi une partie de ses soutiens premiers à revenir vers un vote plus "naturel", à gauche comme à droite. Quand elle est en dynamique, la position au centre peut être porteuse… faute de mieux. Sans cette dynamique, elle est menacée sur sa droite comme sur sa gauche.
L’évolution la plus spectaculaire se situe à gauche. On a un temps brodé sur l’hypothèse d’une candidature unique rassemblant les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, de Benoît Hamon et de Yannick Jadot. Manifestement, l’opinion de gauche a tranché ce débat théorique, qui occultait bien des questions souterraines de leadership.
Hamon progressivement fragilisé
Dans les sondages les plus récents, Benoît Hamon est reporté vers le niveau très modeste qui lui avait été pronostiqué, quand se préparait la primaire socialiste de janvier. Avant cette primaire, il était évident que le candidat socialiste désigné, quel qu’il soit, se retrouverait coincé entre la gauche affirmée qu’incarnait Jean-Luc Mélenchon et la tentation du vote utile vers le centre que portait Emmanuel Macron. En mobilisant un peu plus de deux millions de votants au second tour, ce qui était partout présenté comme la "primaire de la gauche" a toutefois donné une certaine légitimité à celui qui en est sorti vainqueur. Benoît Hamon s’est prévalu aussitôt de son résultat pour affirmer qu’il était désormais le cœur d’une option de gauche, bien à gauche… mais pas trop. Et il est vrai que les premiers sondages post-primaires ont conforté son propos, de façon étonnamment forte.Sur la durée, il lui a été toutefois trop difficile de sortir de l’entre-deux auquel il était dès le départ condamné. Un gauchissement exagéré de sa campagne ne pouvait que porter vers Emmanuel Macron les tenants les plus déterminés des choix gouvernementaux "sociaux-libéraux". Un recentrage trop poussé légitimait au contraire le choix d’un Jean-Luc Mélenchon arcbouté sur l’exigence de coupure franche avec l’ère Hollande-Valls.
Pour se sortir de la nasse, Benoît Hamon a choisi de s’identifier à une mesure forte mais controversée (le revenu universel). Or aucune mesure particulière, a fortiori si elle n’est pas rassembleuse, ne peut compenser la fragilité d’une posture liée au fait que la primaire de janvier a fait de lui le candidat d’un parti associé à la débâcle du hollandisme au pouvoir. Frondeur, certes, mais officiellement investi par les socialistes…
La fin du PS mitterrandien était prévisible depuis quelque temps. Elle est désormais actée. Benoît Hamon pourrait bien en payer les frais électoraux, comme Gaston Defferre le fit en 1969… avant que François Mitterrand ne mette la main sur un PS hors-jeu.
La dynamique est pour Mélenchon
À ce jour, la dynamique électorale est passée ailleurs. Elle se situe franchement à gauche, et au bénéfice d’un Jean-Luc Mélenchon qui a fait un bond impressionnant dans les sondages. Il bénéficie d’un incontestable talent qui, loin du trublion attendu du "bruit et de la fureur", a révélé en fait un tribun sans nul doute percutant, mais surtout un argumentateur inlassable d’un projet soigneusement mûri et méthodiquement diffusé, en images et en sons, tout autant qu’en mots. Usant des moyens modernes de communication, loin des approximations rhétoriques des populistes de la droite extrême, "JLM" sait marier l’affect des symboles et la rationalité des mots. On aime plus ou moins sa mélodie ou son style, on se reconnaît ou pas dans certaines de ses propositions, mais on ne peut que convenir de la force de son discours.Celui qui fut en 2012 le porte-parole du Front de gauche a su faire preuve d’un sens prononcé de l’initiative. Alors que le Front de gauche battait de l’aile depuis quelque temps, tandis que s’épaississaient les confusions entourant la primaire socialiste – le PCF lui-même laissait au départ entendre qu’il pourrait y participer – il décida de prendre les devants, sans l’aval de ses partenaires d’hier. Le cadre unitaire de 2012 étant en sommeil, il se dota d’un outil de campagne, la France insoumise, sous la forme d’une structure de mobilisation hors parti (y compris le sien), structurée autour de groupes locaux de soutien.
En même temps, il a veillé à ce que la cohérence de son projet, en principe venue "du bas", s’inscrive pour l’essentiel dans la continuité du programme élaboré collectivement en 2012. Entre L’Avenir en commun de la France insoumise et L’Humain d’abord du Front de gauche, les différences réelles n’ont dressé aucune muraille infranchissable. Les débuts ont été hésitants, puis un rythme de croisière a été atteint dès le mois de juin 2016, que seuls les résultats de la primaire ont perturbé pendant quelques semaines. Depuis une dizaine de jours, la dynamique est passée franchement du côté du leader de la France insoumise, propulsé désormais aux tout premiers rangs, au détriment d’un Benoît Hamon à la recherche d’un nouveau souffle.
La gauche de gauche n’a pas disparu
L’affaire, pour Mélenchon, n’est certes pas définitivement réglée. Une intention déclarée n’est pas une prédiction de vote. En outre, les progressions les plus nettes s’observent dans des secteurs de l’opinion (jeunes et ouvriers) qui, en règle générale, ne connaissent pas les propensions au vote les plus fortes. Mais, en tout cas, une donnée massive s’observe dans tous les sondages : JLM est d’ores et déjà le candidat qui fait mouche dans la part de l’électorat attachée à la gauche et à ses valeurs. Il progresse aussi bien dans son électorat précédent de 2012 que dans celui de François Hollande. Il mord sur les intentions de vote jusqu’alors portées sur Hamon, mais aussi sur celles qui choisissaient Macron, érodant ainsi l’effet de "vote utile" dont bénéficie l’ancien locataire de Bercy. Désormais, le vote utile porte les regards vers Mélenchon. Pour la première fois depuis bien longtemps, l’idée s’installe que, pour battre la droite, la solution n’est peut-être pas dans un ratissage porté vers le centre, mais dans la mobilisation du peuple de gauche, en activant ses valeurs fondatrices au lieu de les émousser.Contrairement à ce qui se dit parfois, dans un pays comme la France la gauche de gauche, que le PCF a politiquement incarnée pendant plusieurs décennies, n’a pas disparu en même temps que le vote communiste déclinait. Selon les circonstances et le type d’élection, cette part de l’espace politique a pu mobiliser jusqu’à un bon cinquième des suffrages. Dans des moments particuliers, comme au moment de la campagne référendaire européenne de 2005, elle a su même imposer sa marque, impulsant alors un Non de gauche expansif, nourrissant le rejet du texte constitutionnel. Mais si cette gauche n’a jamais disparu, elle a pu être à la fois somnolente dans ses effets sur l’opinion et dispersée dans ses formes d’expression.
Alors que les défauts congénitaux du Front de gauche l’empêchaient de stimuler suffisamment la gauche combative, Jean-Luc Mélenchon a su user du moment présidentiel pour relancer une dynamique. Si elle se poursuit et s’amplifie, il est évident que s’ouvre une nouvelle page de la gauche française et peut-être de la vie politique elle-même. Dans tous les cas de figure, rien ne devrait être comme avant. Le PS, on l’a dit, est au bout de l’aventure mitterrandienne qui l’avait porté au pouvoir et qui avait précipité le PC dans un déclin électoral continu. Pour des raisons certes différentes, les deux protagonistes de la gauche du XXe siècle ont ainsi en commun d’être affaiblis cruellement.
La clé est dans l’ampleur du vote Mélenchon
Qu’est-ce qui sortira des tourbillons électoraux et de leurs surprises successives ? L’expérience d’Emmanuel Macron et les choix de Manuel Valls devraient, sous une forme ou sous une autre, accélérer l’émergence d’un démocratisme à l’américaine ou à l’italienne. Ce qui est beaucoup plus en pointillés est la possibilité d’un nouveau pôle social-démocrate, que Benoît Hamon rêvait de constituer, à l’instar de son homologue britannique Jeremy Corbyn. Il est théoriquement toujours envisageable, mais son opportunité pratique sera sans nul doute affectée par le résultat du 23 avril.Reste la gauche de la gauche. Redonnera-t-elle le ton à toute la gauche, comme elle le fit dans le passé ? Redeviendra-t-elle une force pleinement populaire ? Attirera-t-elle dans sa direction tout ce qui exprime aujourd’hui une exigence d’égalité, de citoyenneté et de solidarité ? Le Front de gauche en a rêvé, mais pour l’instant, c’est une candidature à la fois en continuité avec l’expérience antérieure et en rupture avec elle qui est en passe d’aller dans ce sens.
De ce qu’il conviendra de faire par la suite, de l’avenir de la France insoumise et de ceux qui n’y sont pas tout en soutenant Mélenchon, il sera bien temps de discuter… Après. Dans l’immédiat, la clé est dans l’ampleur du vote Mélenchon… et dans celui de la tentation centriste. L’élément le plus perturbant, le mieux à même de redéfinir les lignes du clivage politique et d’obliger à une recomposition globale des liens entre la critique sociale et la gauche politique se trouvera principalement dans le niveau atteint par Jean-Luc Mélenchon. La position du curseur à gauche ne se mesurera pas à son seul score. Mais celui-là sera le plus scruté. Le 23 avril au soir, bien sûr. Et pourquoi pas le 7 mai ?
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