19,5 %, c’est excellent. Hourra au candidat. Bravo à son équipe. Désormais, nous sommes la gauche !
Pas « la gauche de la gauche », pas « la gauche radicale », encore moins « l’extrême gauche », « la gauche » tout court, toute simple, simplement parce que nous n’avons pas dérivé sur le radeau des naufragés de la pensée, entraîné par les seuls courants du marché, de la mondialisation, du conformisme.
Je l’écrivais par avance, la semaine dernière :
« Notre gauche à 15, 16, 17 %, c’est déjà énorme. C’est déjà plus que, avouons-le, je ne croyais, je n’espérais. Quoi qu’il advienne, second tour ou pas, troisième place ou pas, Jean-Luc Mélenchon a remis notre gauche debout, sur les rails, prête à affronter les puissances d’argent, l’Europe des marchands, plaçant en son cœur l’environnement.
Et nous voilà maintenant, grâce à lui, qui pouvons causer d’égal à égal, sans baisser les yeux, sans honte de notre assise, de notre légitimité, qui pouvons parler d’égal à égal avec l’extrême droite de Madame Le Pen, avec la droite extrême de Monsieur Fillon, avec la droite souriante de Monsieur Macron, et même toiser un peu (pas trop, pas de péché d’orgueil) la gauche socialiste de Benoît Hamon.
Quelle remontada, comme on dit au Barça ! »
Maintenant, il ne faut pas s’arrêter là.
Jean-Luc Mélenchon n’a cessé de le répéter : « Je fais ma part du travail, faites la vôtre ! »
Alors, dès demain matin, sur le métier il faut remettre notre ouvrage.
Au boulot !, nous devons entretenir l’élan.
Ce résultat doit nous servir de tremplin.
Il suffit que nous donnions aux nôtres envie de voter, il suffit que nous les mettions en appétit avec un avant-goût d’espérance, et mathématiquement, abstention aidant, nos scores grimperont aux législatives.
Nous pouvons, dès juin, remporter un paquet de victoires. Et peut-être même peser, pour de bon, dans la future assemblée…
Mais pour ça, il faut que, dès maintenant, dès ce soir, on en soit convaincu : 19,5 %, c’est vraiment excellent.
Des sourires, et pas de larmes !
Evidemment, on aurait préféré qu’apparaissent sur l’écran d’autres tronches que Macron et Le Pen, avec l’ex-banquier d’affaires comme probable président. Mais 19,5 %, ça reste excellent.
C’est un tremplin, à nous de sauter.
Sauter de joie, d’abord. Faut qu’on rie, faut qu’on danse, parce qu’on n’entraînera pas le peuple derrière nous avec des mines sinistres d’éternels vaincus, avec la liste de toutes les calamités à venir.
*
Peut-être est-il trop tôt.
Peut-être ne peut-on pas se livrer à cela à chaud.
Tant pis, je m’y avance.
Pour vous dire mon sentiment quant à la conquête, directement, du pouvoir suprême, alors que nous ne disposons quasiment d’aucun « bastion » : pourrait-on vraiment « diriger » ? Je renverrais, là, à mon entretien avec Antonio Gramsci :
Gramsci : La bourgeoisie s’est assurée le consentement d’énormes masses de citoyens, elle est à la direction intellectuelle et morale de nos pays, pas seulement de l’Etat, mais des médias, des universités, des mairies… L’Etat est une tranchée avancée, mais derrière se trouvent mille bastions et ensemble ils constituent une robuste forteresse. Vous pouvez prendre le palais de l’Elysée, mais rien ne changera dans le pays, car derrière les « bastions de la bourgeoisie » demeureront.
F.E. : Mais c’est quoi, ces bastions ?
A.G. : Ce sont les journaux, les magasins, les voitures, tout un mode de vie et de pensée, les aspirations, la morale, les coutumes, répandus par la classe bourgeoise, entrés dans les esprits et dans les mœurs, et que la majorité des citoyens ont fait leurs. Dès lors, des crises peuvent survenir, des krachs financiers, mais cette société civile résiste à ces irruptions catastrophiques. Comme le roseau dans votre fable, elle plie mais ne rompt pas.
Voilà pourquoi, dans les Etats à direction libérale, il faut remplacer la guerre de mouvement par une guerre de positions, il faut abandonner la stratégie bolchévique au profit d’une stratégie nouvelle qui se fonderait non plus sur la conquête pure et simple du pouvoir, de la seule « tranchée avancée », mais qui, en vue de cette « tranchée avancée », s’empare d’abord de la société civile, de ces « bastions ».
En d’autres termes, une classe doit être dirigeante avant d’être dominante.
F.E. : C’est quoi le distinguo ?
A.G. : Eh bien, la domination, c’est l’exercice du pouvoir gouvernemental, une coercition exercée par l’Etat. La direction, elle, s’ancre beaucoup plus profondément dans la société civile, elle se base sur un large consentement, et garantit une stabilité au pouvoir, à la domination.
Les intellectuels sont, en quelque sorte, les officiers dans cette guerre de tranchée. Car comment la classe dominante s’assure-t-elle l’adhésion des gouvernés ? Comment la philosophie de cette classe dominante est-elle promue au rang de sens commun ? Comment obtient-elle le consentement des classes subalternes ? Et comment ces classes subalternes pourront-elles renverser l’ordre ancien ? Les intellectuels, le travail intellectuel, jouent, dans cette bataille, un rôle de premier ordre.
Au fond, Jean-Luc Mélenchon et son équipe, durant cette campagne, ont avant tout fourni un immense travail intellectuel. Ils ont préparé des esprits. Ils nous ont ouvert la voie pour, d’abord, reprendre quelques bastions, acclimater l’opinion à des idées neuves, « Constituante », « transition écologique », « Plan B », qui avec des efforts formeront un autre « sens commun ».
En quelques mois, notre gauche a avancé d’un pas de géant, prête demain à « diriger ».
Continuons sur ce chemin !
http://www.francoisruffin.fr/et-maintenant-que-cent-bastiens-s-epanouissent
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire