mardi 4 novembre 2014

Burkina : révolte ou Révolution ? , par Christian Darceaux*


Bien imprudent aujourd’hui (3 novembre à 10 heures), qui se hasarderait à pronostiquer l’issue des évènements actuels au Burkina Faso. Çà grenouille dans les coulisses : envoyés spéciaux de l’ONU, de l’UA, de l’UE…Les hôtels de luxe et les résidences diplomatiques sont occupé(e)s. Les politiciens, pour beaucoup vieux chevaux de retour, magouillent. Les hommes et femmes providentielles se bousculent au portillon. La plupart s’affairent pour déminer le terrain et assurer une continuité sans bouleversements essentiels d’orientation. Faire semblant de tout changer pour que rien ne change, selon la célèbre formule du « Guépard » 

Et pourtant on est tenté de dire que la réponse à la question est Révolution. La jeunesse burkinabè, artisan courageux, parfois héroïque, du départ de Compaoré, revendique ce terme. Le respect que l’on doit à son action vaut bien qu’on le lui accorde. On pouvait entendre, entre autres choses, dans la rue, après la prise de l’Assemblée Nationale « C’est notre prise de la Bastille, à nous. ». Et encore « Tom Sank (Thomas Sankara) peut enfin reposer en paix ». 


Au-delà, c’est un symbole. Comme l’emprisonnement et la décapitation de Louis Capet ont brisé des prisons mentales à l’époque, la confrontation avec celui qui faisait beaucoup d’efforts pour se donner des allures de vieux sage indéboulonnable (ça compte en Afrique !!!), sa fuite piteuse, sont un signal d’espoir donné à tout un continent. Plus d’une vingtaine d’élections présidentielles doivent se dérouler en Afrique dans les trois ans à venir. Et pour plusieurs d’entre elles, la tentation est grande, pour les dirigeants actuels, d’un coup d’Etat constitutionnel, comme s’y est essayé Compaoré, pour s’assurer un pouvoir à vie, à la façon des monarques d’avant 89. La riposte burkinabè va peut-être les faire réfléchir à deux fois. 

Rappel du contexte: Blaise Compaoré était au pouvoir depuis octobre 1987, après l’assassinat de Thomas Sankara, le leader révolutionnaire. On soupçonne fortement son implication dans ce drame. En tout cas le crime lui a profité !!! 

Après déjà deux tripatouillages constitutionnels qui lui ont permis de rester au pouvoir, il s’apprêtait à en commettre un troisième. Ce caudillo, depuis 27 années, d’une « démocrature », gouvernait avec une main de fer qu’il tentait de camoufler sous un gant de velours d’apparence démocratique. Plusieurs assassinats d’acteurs de la vie démocratique burkinabè, qui le gênaient, ont eu lieu. Le plus symbolique est celui du journaliste Norbert Zongo, qui avait déjà fait vaciller son pouvoir. 

Corruption, népotisme régnaient, détruisant peu à peu le tissu social d’un pays qui méritait de moins en moins l’appellation de « Patrie des Hommes Intègres » (traduction de « Burkina Faso »). La croissance importante, basée principalement sur l’extractivisme de l’or et la culture du coton OGM de Monsanto, profitait surtout à un petit nombre qui étalait une richesse insolente. Une classe moyenne émergente, parfois (souvent?) corrompue, en tout cas dans sa majorité avide de consommation à l’occidentale, s’accommodait assez bien de la situation. 

Coiffant parfois, avec la bénédiction de la France et de l’Occident, la casquette de médiateur dans les conflits régionaux, il est difficile d’oublier que son nom est cité comme acteur de premier plan dans les terribles guerres du Libéria et de Sierra Léone. Il s’est dit, au procès de Charles Taylor par exemple, qu’il trempait dans le trafic des armes et des diamants. Il a soutenu la prise de pouvoir d’Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire, « son bon ami, son frère » déclarait encore celui-ci, il y a quelques jours. Les « Forces Nouvelles » du Nord de la RCI, peuvent le remercier de son aide, lors de la rébellion armée, sous l’œil bienveillant et complice des gouvernants français. C’est sans doute pourquoi Compaoré a cherché refuge chez son complice. 

Alors, si aujourd’hui, ces Tartuffe qui nous gouvernent appellent au respect de la Constitution, au calme, cela ne pourra faire oublier les louanges décernées par Ségolène Royale, Laurent Fabius et consorts au Président déchu. Cela ne pourra dissimuler leur silence « diplomatique », quand chacun savait que le coup d’Etat constitutionnel envisagé était honni par la majorité de la population. 

Les militaires français, influents au sommet de l’Etat lui savaient sans doute gré d’accueillir en dehors de tout traité, le COS (Commandement des opérations spéciales) avec plus d’une centaine d’hommes basés à proximité de Ouagadougou (uniquement dépendants de Hollande, c’est peu connu !). Les USA, pour leur part, avaient fait connaître assez clairement leur désapprobation. Ils ont pourtant une base de drones au Burkina et l’aéroport de Ouagadougou leur sert parfois pour l’atterrissage d’avions militaires. Tout cela bien évidemment au nom de la sacro sainte lutte contre le terrorisme. 

Il n’y avait pas le risque au sein du gouvernement français de commettre la même bourde que Michèle Alliot Marie lors des soulèvements tunisiens. Nos instructeurs sévissent déjà dans les camps d’instruction des forces de répression burkinabè, comme il est connu que des membres de ces dernières viennent se former régulièrement en France. Cela fait partie, paraît-il, de l’Aide Publique au Développement (APD). Et quand les crédits de l’APD sont rabotés, la part consacrée à cette catégorie est épargnée ! 

Où en est-on ? 

Le coup de poker criminel de Compaoré, encouragé par le silence de la France, qui a les yeux de Chimène pour son allié sahélien, a échoué. 

La détermination et le courage de la jeunesse burkinabè surtout ont amené sa fuite et son refuge piteux chez son ami Ouattara. Il faut souligner à ce propos que les militaires et les policiers dans leur ensemble, peut être eux aussi gagnés par le ras le bol général, ont fait preuve d’une certaine modération. Ils n’ont pas déclenché pas le bain de sang qui était à craindre, quand les manifestants désarmés ont pris d’assaut l’Assemblée Nationale à Ouagadougou ou l’Hôtel de Ville à Bobo Dioulasso, symboles de pouvoirs serviles et corrompus. On déplore quand même, semble-il, entre vingt et trente morts et une centaine de blessés. Certaines des victimes ont été tuées ou blessées par des familiers de Compaoré défendant leurs privilèges ! 

A l’heure où ces lignes sont écrites, un seul militaire, le Lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida se présentait comme chef de la transition, désigné à l’unanimité par ses pairs. Pendant un temps, le Général Traoré, chef d’Etat Major nommé à l’époque par Compaoré avait aussi prétendu à ce rôle. Zida avait déclaré devant la foule, avec à ses côtés des représentants du « Balai citoyen » et d’autres mouvements très dynamiques, acteurs du renversement de Compaoré, que la transition serait la plus courte possible et que les « forces vives » y seraient associées. C’est positif. Ce qui peut inquiéter davantage, c’est le rôle que prétendent s’attribuer les militaires. C’est aussi, accessoirement, que ce Zida était le second dans la hiérarchie du régiment de Sécurité Présidentielle, donc, normalement, un fidèle parmi les fidèles. 

L’opposition politique, dont beaucoup de dirigeants ont gouverné avec Compaoré et sont des zélateurs du libéralisme (anciens cadres d’Aréva Afrique, de la Banque Mondiale ou de l’OMC !) affirme, avec raison, ne pas vouloir être mise à l’écart. Un meeting s’est déroulé Dimanche 2 novembre appelé par les partis de l’opposition et les mouvements de la société civile pour affirmer leur refus qu’un coup d’Etat militaire succède à la tentative de coup d’Etat constitutionnel, leur volonté d’une transition civile. Incertitude donc. Et la plus grande confusion règne quand où ces lignes sont écrites. N’empêche… Si le bonapartisme a succédé à 1789, la Révolution avait bien eu lieu. Le 30 octobre 2014 marquera de façon indélébile le refus populaire des présidences à vie et l’éruption décisive de la jeunesse sur la scène politique. 

Il faut souligner à ce propos le rôle primordial joué par le « Balai Citoyen », mouvement regroupant essentiellement des jeunes, dans la mobilisation avant ces journées historiques. Avec comme figures de proue populaires, deux chanteurs, l’un de rap, l’autre de reggae, Smokey et Sam’s K le Jah, ce mouvement a très tôt fait entendre son refus catégorique de la présidence à vie et des tripatouillages. Mais il a su mener aussi des luttes concrètes contre les coupures d’électricité, le mauvais fonctionnement de certains hôpitaux ou la corruption. Son mot d’ordre « Notre force est notre nombre » s’est illustré avec éclat ces derniers jours et le peuple burkinabè a d’ores et déjà remporté une grande victoire dont il sera bien difficile de le déposséder totalement. Il refuse de s’inscrire dans le champ politique mais assume un héritage sankariste. 

à suivre

Christian Darceaux, militant d'Ensemble, vit au Burkina depuis plusieurs années.

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