mardi 24 mars 2015

Le Front national élargit son emprise, par Guillaume Liégard


Le premier tour des départementales marque le franchissement d’un cap pour le FN : il étend sa base électorale en même temps que sa capacité à agir dans les territoires. Avec la complicité active du PS et de l’UMP, qui croient habiles de jouer avec ce feu. 

L’annonce des résultats du premier tour des élections départementales a comme souvent donné lieu à de curieux plaidoyer pro domo. Les premières estimations à peine connues, le premier ministre annonçait déjà un « score honorable » pour le Parti socialiste quand le tandem UMP-UDI se rengorgeait d’être la première force politique du pays. Pour un peu, on nous annonçait la déroute du Front national qui n’a obtenu "que" 25,11%. Désir inavoué de se rassurer à bon compte ou cécité politique préoccupante, dans les deux cas les propos sont atterrants. Chaque élection ayant ses caractéristiques propres, locales ou nationales, à scrutin majoritaire ou à la proportionnelle, il est d’usage de comparer d’abord des élections de même nature. 


En 2011, lors des précédentes cantonales, le score du Front national avait été alors commenté comme « une forte poussée », il est vrai que le parti de Marine Le Pen avait alors obtenu 15,18%. À l’époque, cela paraissait beaucoup, mais c’est de la préhistoire. La progression atteint donc plus de dix points en l’espace de quatre ans alors même que la participation est passée de 44,3% à 50,2%. 

Aux élections départementales, le FN égale le sommet des élections européennes, un quart des suffrages. Pire, dans un type d’élection beaucoup moins favorable pour lui, le parti d’extrême droite gagne près de 700.000 voix avec une participation de six points supérieure à juin 2014. 

Une double tendance à la vampirisation 

De manière schématique, le Front national dispose de deux électorats assez distincts, même si une tendance à l’homogénéisation s’opère année après année. 

Au Sud, en particulier le long de l’arc méditerranéen, un électorat sociologiquement marqué par le poids des artisans et petits commerçants et politiquement par la guerre d’Algérie. En résumé, un électorat historiquement à droite, voire très à droite. 

Dans le quart Nord-Est, c’est au contraire sur les ruines de ce que fut la France industrielle que le FN fait son miel : bassin minier du Nord-Pas-de-Calais ou petites entreprises de la sidérurgie en Picardie par exemple. Dans ces régions, c’est au sein d’une classe ouvrière sacrifiée sur l’autel de la mondialisation que le parti de Marine Le Pen engrange ses plus fortes progressions au détriment de l’ensemble des partis de gauche. Par extension et dans un processus de nationalisation du vote frontiste, la première place du FN en Lot-et-Garonne (27,05%) relève du premier cas quand celle dans les Côtes-d’Armor (impensable il y a encore peu) appartient au second. 

Les départementales, après les européennes du printemps dernier, font apparaître une double tendance relativement inquiétante. 

Au Sud, c’est la droite parlementaire qui est littéralement vampirisée par le Front national. Si l’on excepte les deux départements de l’extrême Sud-Est, Var et Alpes-Maritimes, ainsi que le Vaucluse (où l’alliance UMP-UDI dépasse les 30%), partout ailleurs le FN surclasse la droite parlementaire de 10 à 20%. 

À l’inverse, dans le Nord de la France, c’est la gauche et singulièrement le Parti socialiste qui voit ses bastions réduits aux acquêts : dans le Pas-de-Calais, fief s’il en est, le FN a obtenu 35,63% quand le PS plafonne à 16,7%. Dans le Nord les résultats sont du même acabit avec 31,85% pour le FN et moins de 20% pour les socialistes, dans l’Aisne, autre département dirigé par le PS, les résultats de dimanche soir donnent 38,67% au parti de Marine Le Pen contre moins de 25% à une gauche pourtant unie dans presque tous les cantons. 

Un enracinement qui aura des conséquences 

Un an après les municipales, il est déjà possible d’apprécier les effets électoraux dans les quelques villes emportées par le parti de Marine Le Pen. Dans les onze communes de plus de mille habitants qui se sont choisies un maire Front National, celui-ci est en progression (voir le détail ici). Au cours des douze derniers mois, ces mairies ont pourtant souvent été au cœur d’une actualité peu reluisante (Robert Ménard à Béziers en particulier). Rien n’y fait, selon un sondage IFOP, 73% des habitants concernés se disent satisfaits de leur maire frontiste et cela se voit au fond des urnes. À Mantes-la-Ville, par exemple, le frontiste Cyril Nauth – qui avait obtenu 21,65% au premier tour de l’élection municipale et qui n’avait gagné au second tour que de 61 voix (30,26%) dans une quadrangulaire – obtient cette fois-ci 37,21% dans sa commune. Au Pontet dans le Vaucluse, le Maire FN, dont l’élection a été invalidée, avait obtenu 34,65% au premier tour des municipales et l’avait emporté de 7 voix avec 42,62% dans une triangulaire. Dimanche 22 Mars, il a obtenu 58,24% dans sa commune et 53,70% sur l’ensemble du canton : élu dès le premier tour. 

Le Front national ne disposait jusqu’à ces élections que d’un seul conseiller général. À l’issue du second tour de dimanche prochain, nul doute qu’il disposera de plusieurs dizaines d’élus. Ramené aux 4.000 conseillers départementaux, cela peut apparaître comme encore marginal. Mais la capacité, dans quelques départements, de peser sur le cours des décisions est réelle – surtout s’il s’avère qu’il n’existe pas de majorité stable, comme c’est fort probable dans l’Aisne ou le Vaucluse. 

Le scénario d’une catastrophe annoncée 

L’échelon départemental est en effet décisif pour développer un maillage fin de la société française. Il ne faut pas oublier que c’est par le biais du conseil départemental que transite l’essentiel de l’aide sociale dans ce pays : l’attribution du RSA, par exemple, dépend du conseil départemental, il en va de même des allocations handicap et vieillesse. L’échelon départemental représente donc un élément clef des politiques clientélistes dont ont usé et abusé PS et UMP depuis des années. 

Tout à leurs petits calculs pour 2017, UMP et PS contribuent à banaliser les résultats du Front national. Sarkozy avec son FNPS a donné, s’il en était encore besoin, de nouveaux gages de respectabilité en mettant ces deux formations politiques dans le même sac. Surtout, revenu à ses amours buissonnières, il en vient désormais à doubler le FN sur sa droite. En se prononçant par exemple pour la suppression des menus sans porc, il a réussi à aller plus loin que Marine Le Pen. 

De son côté, le Parti socialiste n’a de cesse d’agiter l’épouvantail du Front national tout en le renforçant à chaque nouvelle loi votée. L’objectif est clair, éradiquer toutes les candidatures sur sa gauche et accréditer l’idée que, rassemblée derrière lui et à ses conditions, la gauche pourrait devancer Marine Le Pen à l’élection présidentielle. 

Ce schéma, s’il devait se poursuivre, est celui d’une catastrophe annoncée. Le sursaut ne peut venir que d’un changement radical de politique économique et sociale et de l’émergence d’une alternative politique. 

Quitte à disparaître au second tour de 2017 ? La réponse est oui. 

Guillaume Liégard. 

Publié sur le site de Regards.

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