"Nous ne sommes pas du côté de la loi, mais de celui de la révolte !" Asli Erdogan
mardi 24 mars 2015
Reconstruire une gauche en France, par Clémentine Autain
Combien faudra-t-il d’échecs électoraux cuisants et de désaffection populaire pour se mettre au travail, sérieusement, et faire du neuf à gauche ? Je le dis avec une bonne dose de colère car la responsabilité collective est engagée pour ne pas laisser la sidération, le cynisme ou la routine l’emporter. Oui, nous sommes au pied du mur. À la croisée historique des chemins. Car, contrairement à l’ambiance médiatique du premier tour des élections départementales, le PS et la gauche sont en déroute.
Deux ans et demi après la victoire de François Hollande, la gauche atteint l’un de ses plus bas niveaux historiques avec 36,4% des voix. Loin des 28% largement annoncés dimanches, le PS n’atteint pas 20% à l’échelle nationale si l’on enlève les binômes avec le Front de gauche, EE-LV et divers gauche.
Le Front de gauche est à la peine, même si ses alliances avec EELV permettent de belles percées. Avec 24%, le FN est bien le premier parti de France. Et l’UMP, avec l’UDI, tire les marrons du feu. Nous devons relever le défi de la reconstruction d’une gauche en France.
Nous sommes des millions
À l’instar des autres partis de tradition social-démocrate en Europe, le Parti socialiste mène une politique qui rompt chaque jour un peu plus avec les fondamentaux de la gauche. L’affaire est désormais entendue. Une photo parue dans Le Nouvel Observateur des proches collaborateurs de François Hollande incarne symboliquement la rupture de la direction du PS avec les catégories populaires, césure qui permet de donner 30 milliards aux grandes entreprises pendant que nos dimanches sont bradés ou nos hôpitaux asphyxiés par une nouvelle saignée budgétaire.
Le ministre de l’Économie a ainsi résumé le sens de la politique gouvernementale menée au nom de la gauche : « Les jeunes doivent rêver d’être milliardaires ». L’argent comme sésame de l’émancipation, il fallait oser. À droite, une vie réussie, c’est une Rolex à cinquante ans. Cherchez la différence. Comme le disent les Indignés espagnols, nos rêves ne rentrent pas dans leurs urnes.
Et notre quotidien ne peut continuer éternellement d’être malmené, d’alternances en alternances, par des politiques de régression sociale et écologique. Nous sommes des millions à ne plus rien attendre d’eux. Nous sommes des millions à en avoir assez de critiquer du matin au soir le PS et le gouvernement.
Nous sommes des millions à ne vouloir en aucune façon de la droite extrême à la place de cette gauche qui n’en est plus une. S’il existe des disponibilités dans le pays, c’est pour construire un autre cadre politique, neuf sur la forme et sur le fond, avec des propositions et une stratégie qui répondent aux aspirations et complexités de notre époque.
Faire du neuf pour conjurer le pire
Le FN cristallise le rejet du système et la recherche d’inédit. S’il est dangereux, c’est qu’il détourne les colères populaires en ressentiment et promeut un projet anti-démocratique et liberticide.
La droite extrême promet repli nationaliste, rejet de l’autre, contrôle social, autoritarisme. C’est une voie de division du peuple en fonction des origines, mais aussi, par un jeu d’opposition, les personnes qui rament socialement – en gros entre les smicards et ceux qui touchent le RSA, qualifiés d’assistés, quand les plus riches sont épargnés de leurs critiques. La voie des conservatismes et de la guerre des identités est compatible avec les intérêts des rentiers. Le peuple mérite un dessein fédérateur et émancipateur. Il nous faut, vite, créer le cadre qui permette d’ouvrir cette perspective.
Car, comme je l’ai entendu dire mille fois lors de la campagne des départementales dans la bouche d’habitants de tous horizons, qui exprimaient à chaque coin de rue leur écœurement et leur déception profonde vis-à-vis des politiques : « Il faut que ça change. » Mais face à ce mot d’ordre populaire implicite – « il faut que ça change » –, c’est une course de vitesse avec l’extrême droite qui est engagée. C’est dans la durée que nous devons gagner. Nous le pouvons.
La France a dans son histoire les ressorts pour que perdure une gauche. La France a dans sa réalité contemporaine les ressorts, fussent-ils aujourd’hui terriblement atomisés, de l’esprit critique et du combat contre les oppressions. Et nous restons l’arme au pied.
Pourquoi n’arrivons-nous pas à capter ces énergies disponibles, à exprimer dans des termes, des formes contemporaines, un projet de transformation social et écologique à même de damner le pion à la droite dure et de battre en brèche la résignation à gauche ?
Nous payons le prix fort des échecs du XXe siècle, d’une espérance communiste qui s’est fracassée sur la réalité des expériences de type soviétique.
Nous pâtissons d’une social-démocratie qui, au pouvoir partout en Europe ces dernières décennies, n’a pas fait la démonstration de sa capacité à apporter du progrès humain véritable : le compromis permanent avec la logique du capitalisme s’est mué en accompagnement du néolibéralisme. Si nous ne changeons pas d’attitude et de méthode, le pire est devant nous. Nous devons le conjurer.
Du social et de l’écologie pour vivre mieux
Le temps est venu de regarder nos difficultés en face et d’en finir avec les tactiques de courte vue, les guerres sans fin d’appareils ou d’égos dans ce concours de nains politiques dont nous avons le secret depuis quelques années. Nous mourrons de ce manque d’unité et d’audace, d’un entre soi qui nous met à distance de la société.
Les germes d’une alternative de gauche ne cessent pourtant de s’exprimer. Ce sont les militants d’Attac qui s’en prennent aux banques, les Fralib qui créent leur coopérative, les citoyens qui font leur propre expertise à Notre-Dame-des-Landes, les salariées du Royal Monceau qui arrachent une augmentation de salaire, les féministes qui mettent des barbes ou les écolos qui s’en prennent au barrage de Sivens. C’est le succès planétaire du Capital au XXIe siècle de Thomas Piketty ou les "best seller" si politiques et critiques de Virginie Despentes, Lola Lafon ou Olivier Adam.
De façon moins visible, il y a aussi dans le développement de l’habitat partagé ou des Amap, l’expression d’une volonté de partage. Que l’économie circulaire ou collaborative se développe raconte bel et bien un désir de commun.
Bien sûr, nous n’avons pas en France l’équivalent des mobilisations sociales de la Grèce ou de l’Espagne. Les situations sont fort différentes. Mais nous ne sommes pas sans atouts. Les axes d’une gauche rénovée, sociale et écologique, sont désormais sur la table, fruit de nos discussions depuis des années.
Les bougés dans l’espace proprement politique traduisent également le tremblement de terre en court. Les militants d’EE-LV ont choisi de quitter le gouvernement. Des dirigeants socialistes mènent la fronde. Après des décennies d’Union de la gauche, des députés communistes ont refusé de voter la confiance au gouvernement. Comment ne pas y voir les germes d’une nouvelle force ? C’est à partir de nos fondamentaux qu’un renouveau est possible.
Qu’est-ce qui rassemble à gauche historiquement ? Une visée, celle de l’émancipation humaine, de la libération de toutes les formes d’oppression, de domination, d’aliénation. Un état d’esprit, public. Une valeur cardinale, l’égalité. Une logique, celle des biens communs contre les lois du marché. Une méthode, la démocratie. Un horizon, la paix.
Ces ciments de gauche constituent potentiellement des réponses neuves aux crises que nous traversons.
Une gauche conséquente, c’est un changement de logique
Nous peinons cependant à dégager des messages simples, clairs et fédérateurs qui expriment le sens en positif de notre visée.
La contestation du capital est vécue comme un vœu pieu. La transition écologique apparaît comme une punition, un enjeu secondaire. Les combats contre le sexisme et le racisme sont perçus comme le nid de nos conflits internes.
La VIe République ne parle pas (encore) au grand nombre, comme si la proposition était hors sol. Et pourtant, l’émancipation passe par la contestation de la loi du profit, la préservation de l’écosystème, le recul des inégalités fondées sur le genre ou la couleur de peau et la démocratie.
Il nous faut chercher et trouver la voie collective pour que nos messages soient façonnés et appropriés par le grand nombre. Ma conviction, c’est qu’il faut réussir à énoncer un objectif global positif qui créé du lien entre tous nos combats émancipateurs et qui réponde aux préoccupations de nos concitoyens.
Face aux logiques économiques et de civilisation mortifères, nous défendons la vie. Face au sens perdu, nous posons la question des finalités humaines à l’organisation sociale.
Une gauche conséquente, c’est un changement de logique. L’activité sociale et économique doit être tournée vers la satisfaction des besoins et non vers les impératifs de rendement du capital à court terme. Elle doit être au service de l’émancipation individuelle et collective.
L’objectif vital de préservation de la planète est l’occasion de poser des enjeux vitaux sur le sens de notre économie, sur la définition des besoins, sur la part du nécessaire et de l’accessoire.
Assumons la rupture du lien cher à la pensée dominante entre le plus et le mieux pour remplacer le productivisme et le consumérisme par le vivre ensemble, le vivre mieux. Ainsi, nous pourrons mener le changement de modère de développement nécessaire à la préservation de l’écosystème comme à la libération de nos désirs.
L’objectif vital de sortir le grand nombre du chômage et de la précarité doit être l’occasion de refonder le socle des droits et protections.
En changeant radicalement de perspective, nous pouvons retrouver non pas la croissance perdue des années soixante mais le chemin du progrès humain. Ce que nous visons, en quelques mots, c’est la vie bonne. Il en va de la dignité et de la liberté de chacune et de chacun : notre objectif, c’est de créer les conditions que tous et toutes nous puissions avoir un toit, bien manger, se soigner à temps, accéder à l’éducation, à la culture, à la mobilité. Pour y parvenir, nous défendons l’égalité et la mise en commun.
Loin de la règle d’or, nous voulons partager les richesses, les savoirs, les temps de la vie.
Investir dans l’humain
Depuis les événements de janvier dernier, que l’on ait ou non manifesté, une question s’impose : celle du vivre ensemble.
Alors qu’ils sont aujourd’hui délaissés, des secteurs tels que l’éducation, la culture, la recherche ou la santé devraient faire l’objet d’un engagement public sans précédent, et non de baisses sans fin de dotations budgétaires.
Oui, il faut aider nos écoles, créer un service public de la petite enfance et un autre du quatrième âge. Il faut lutter contre les inégalités sociales et territoriales par des politiques de péréquations fiscales inédites. Il faut étendre les droits et protections en lieu et place du démantèlement continu des acquis sociaux.
Il faut soutenir le monde associatif là où les coupes sombres des budgets publics l’amène à l’un des plus grands plans de licenciement en prévision dans notre pays – 500.000 emplois en voie de suppression.
Dans le bâtiment, les besoins pour sortir de la précarité énergétique sont aussi gigantesques. Investissons !
En matière de transport, déployons un effort exemplaire dans la recherche pour inventer des modes de transports individuels propres et des façons de consommer sans consumer la planète.
Dans les domaines de la santé ou de la justice, chacun sait que les moyens font cruellement défauts pour répondre aux nécessités nouvelles. Investissons !
Dans une dynamique sociale et économique tournée vers la vie bonne, se trouve le cœur de la relance de l’activité économique. Associée à une sécurisation des droits, la lutte contre le chômage passe par cet investissement collectif utile.
Ce changement radical de perspective part de l’observation que l’austérité est un dogme et un désastre. Elle accroît les inégalités et plonge nos pays dans la récession, sans pour autant régler le problème qu’elle est censée résoudre puisque les dettes publiques sont en hausse perpétuelle.
Recomposer et fédérer
À la loi du profit et de la concurrence généralisée, il faut opposer la démocratie, la coopération, le bien commun. À la casse des protections issues du CNR, il faut opposer l’extension des droits.
Au capitalisme vert, il faut opposer la sortie du productivisme et du consumérisme, seule à même de répondre aux défis environnementaux et de participer d’une perspective sociale émancipatrice.
À la gouvernance, il faut opposer la démocratie. Pour que ce projet soit façonné, approprié, porté par le grand nombre, un cadre inédit doit être bâti. Il en va de l’implication populaire dans la fabrication politique d’une gauche digne de ce nom.
Nous avons besoin d’un grand sursaut, de l’annonce d’un rassemblement jamais vu, de la mise sur pied d’une organisation neuve – qui ne signifie pas parti unique à l’ancienne mais cadre organisé commun à plusieurs sensibilités politiques existantes et surtout ouvert au mouvement social, au monde culturel, aux dynamiques citoyennes. Nous avons besoin de modalités de fonctionnement plus collaboratives que pyramidales et d’incarner cette gauche nouvelle par de nouveaux visages partout en France. Nous avons besoin d’un signal.
Nous aimerions qu’il vienne d’une grande mobilisation populaire. Il est souhaitable en attendant qu’il vienne d’une prise de conscience salvatrice dans l’espace politique. Loin des rêves de grands maroquins inutiles dans un gouvernement qui répète à l’envi qu’il ne changera pas de cap, loin de la culture étroite d’un petit jardin électoral, loin des batailles picrocholines entre "ennemis" d’une même famille politique, il faudrait qu’un vent de conviction et de responsabilité historique souffle à EELV, parmi les frondeurs du PS, au Front de gauche, au NPA.
Lors de premier tour des départementales, ce qui a créé de la dynamique et des scores remarquables, ce sont les alliances unissant Front de gauche, EELV, socialistes dissidents et mouvement citoyen. Prenons-en de la graine. L’élan, l’impulsion doit être à la mesure du désastre politique actuel. Avons-nous le choix ?
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