Les 11 et 12 avril dernier s’est tenu, à Paris et à l’initiative d’Ensemble !, un séminaire sur la réduction du Temps de
Travail. Les actes de ces deux journées seront publiés en juin prochain. Mais d’ores
et déjà nous vous invitons à lire la contribution de notre camarade Aline
Chitelman.
« Mon entrée est celle d'une autre société dans une
perspective sexuée
La réduction du temps de travail induit-elle à elle seule la
réduction des inégalités femmes/hommes dans la société actuelle? Ou ne constitue-
t’elle qu'un levier parmi d'autres ? Et dans ce cas, quelles pistes de
solutions devons-nous envisager?
Retour sur la partie historique : les acquis
successifs, la journée de 8h, la semaine de 40h puis de 35h, les congés payés,
la retraite à 60 ans, aucun de ces acquis n'a remis en cause la division sexuée
du travail, ni la prise en charge des enfants, des personnes handicapées et des
personnes âgées par les femmes. Ils n'ont pas remis en cause les rôles sociaux.
L'essentiel des tâches ménagères, l'essentiel du souci d'organisation de la vie
familiale et du lien intergénérationnel repose sur elles.
Pourquoi en irait-il autrement avec une nouvelle phase de
réduction du temps de travail ?
La subsistance du patriarcat (double journée de travail) de
l'exploitation salariale (division sexuée du travail et surexploitation), de
l'oppression des femmes (inégalités, violences) ce triptyque reste
malheureusement d'actualité.
Il faut donc partir de cette
réalité et adopter une perspective sexuée dans toute notre analyse : où se
nichent les inégalités, par quels dispositifs sont-elles rendues possibles,
comment y remédier ?
1er constat : parler des salariés en général n'a guère
de sens, parce que la place des femmes et des hommes dans le monde du travail
n'est pas la même.
Les inégalités salariales se nichent à la fois dans la
concentration du travail des femmes dans 12 familles professionnelles sur 86
(52% des femmes salariées), et dans la nature de ces « choix »
professionnels (secrétariat et services administratifs, vente, soin, éducation
et nettoyage). Nous visons là le rôle du système éducatif, son contenu, son
environnement, sa responsabilité dans la transmission d'une approche égalitaire
de la place des filles et des garçons dans la société et dans celle de l'orientation
professionnelle.
Les inégalités se nichent ensuite dans la sous-évaluation
des qualifications de ces métiers. Il en résulte la non application du principe
«à travail de valeur égale, salaire égal». Il reste toujours globalement 27%
d'écart de salaires F/H. Nous visons là la responsabilité des syndicats à
imposer une révision des grilles de classifications des métiers à dominante
féminine et leur revalorisation qui devrait bénéficier à toutes et tous car
elle permettra à terme de favoriser la mixité de ces emplois.
Elles se nichent enfin dans un temps de travail
réduit : 30% de femmes à temps partiel contre 7% d'hommes, 80% du temps
partiel occupé par les femmes. Pour celles-ci l'enjeu de la RTT n'est pas la
réduction du temps de travail, mais l'accroissement de celui-ci. La définition
même de ce qui doit être compris dans le temps de travail, (temps de
déplacement pour le travail fractionné, temps d'habillement) en prend d'autant
plus d'importance. Nous visons là un enjeu directement politique : qui
décide du droit du travail, des principes auxquels il doit se conformer et des
moyens à accorder pour son application.
On ne peut en outre sous-estimer les difficultés propres aux
femmes immigrées ou d'origine étrangère, qui, ne maîtrisant pas bien la langue,
et pour qui, avoir un emploi, quel qu'il soit, revêt une importance vitale,
sont particulièrement exposées à l'exploitation éhontée de patrons
négriers.
2ème constat : la problématique du niveau de salaire ou
de revenu (si on inclut la prise en compte des espaces de gratuité) est d'une
extrême acuité pour les femmes. La RTT certes, mais avec quel revenu ?
Parlons de la féminoparentalité, par exemple. Pour les femmes élevant seules
leurs enfants, un changement de société incluant des services publics renforcés
et aux tarifs accessibles reste la condition de leur indépendance. Pour les femmes vivant la précarité et un
temps de travail très fractionné, comme les caissières, voire avec des
employeurs multiples, comme les aides à domicile, les salariées du nettoyage,
une RTT qui ne leur permettrait pas de vivre décemment ne leur permettrait pas
non plus de relever la tête et de trouver l'énergie de lutter pour de
meilleures conditions de travail.
3ème constat : le temps libéré n'implique pas la même utilisation
par les femmes et par les hommes. Si libérer du temps signifie pour elles avoir
plus de temps pour garder leurs enfants à domicile, peut-on parler de temps
libre ? Le ménage est-il vécu comme
une tâche aussi créatrice que le bricolage ? Si les tâches ne sont pas
mieux partagées dans les couples, à qui va vraiment profiter ce temps
libre ? Gardons toujours en tête qu'il y a le but d'une mesure, et son
effet réel sur la vie de tous les jours.
Pour parler de la RTT,
choisir l'appellation « temps libéré » plutôt que celle de
« temps de loisirs » est sans doute plus réaliste.
Changer la vie
L'enjeu est bien de réintroduire de la qualité de vie,
réintroduire de l'humain là où seule l'économie compte, mettre en place des
mécanismes sur lesquels la population ait prise.
Pour que l'égalité F/H progresse, il ne peut y avoir qu'une
seule méthode : toujours nous poser la question, au moment de faire des
propositions, qu'est-ce qu'elles vont avoir comme conséquence pour les
femmes ?
L'utilisation du temps libéré dans les entreprises par la
RTT, la mise en œuvre de mesures d'autogestion, d'intervention sur le contenu
du travail permet-elles aux femmes salariées de s'investir à égalité ?
Leur parole est-elle écoutée ? Les difficultés de conciliation des différents
temps de vie entendue ?. Souvenons nous de la lute des LIP, et des
difficultés exprimées par les femmes à se faire entendre et à être reconnues
comme des militantes à part entière.
Dans la vie sociale peuvent-elles participer à égalité à la
définition des besoins, en proposant des projets, en les élaborant et en
suivant leur réalisation. L'introduction des usages partagés correspond-il à un
besoin ? Si oui, sur quel type de biens ? Comment peuvent-ils
permettre un plus dans l'auto-organisation, rajouter à la convivialité ?
Il est courant de regretter que les citoyennes et les citoyens ne s'impliquent
que ponctuellement, sur des sujets précis, en général parce qu'elles et ils
veulent maîtriser la durée de leur investissement propre. Mais après tout, on
peut aussi voir ça comme un enrichissement personnel de ses centres d'intérêt,
passer à autre chose sans que cela nuise à l'intérêt collectif.
Dans nos chartes municipales, nous avons beaucoup insisté
sur l'implication de chacun dans la définition des projets et le contrôle des
budgets locaux, sur la nécessité de formation que cela suppose au préalable,
sur la mise en place de lieux d'échanges et de décisions impliquant la mise à
disposition de budgets participatifs. Voilà une bonne utilisation du temps
libéré, pour faire avancer ses envies et voir le bout de leur réalisation.
Si chacun et chacune prend sa part d'engagement parce qu'il
ou elle dispose du temps pour le faire, si chacune et chacun se sait respecté,
la vie pourra être plus belle. "
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