Aveu de Robert Ménard sur ses statistiques ethniques, psychodrame familial à la tête du FN : l’extrême droite reste l’extrême droite, mais on attend encore que quelque chose succède à l’indignation, la sidération ou la complaisance.
La séquence du 1er mai a marqué une étape dans l’évolution de l’extrême droite française. Sidérés par ce qu’ils relatent comme une ascension irrésistible vers le pouvoir, avec des photos de Marine Le Pen toujours plus souriante et des interviews d’elle toujours plus complaisantes (« Madame Le Pen, estimez-vous avoir réussi votre 1er mai ? », interrogeait, béat, un grand journaliste peu soucieux de traquer l’idéologie frontiste), les grands médias ont dépeint en long et en large une saga familiale dramaturgique, aux relents psychologiques.
Les mots ont changé, pas l’idéologie
Du fond du discours de Marine Le Pen, il n’a pas été question. Or, si la fille s’est dégagée du père, si elle a réussi à donner un visage ripoliné au FN, à se dissocier des outrances négationnistes et racistes les plus inadmissibles de Jean-Marie Le Pen pour la France d’aujourd’hui, la filiation politique reste intacte. La suspension du père du FN parfait la stratégie de Marine Le Pen qui espère ainsi marquer une rupture à même de la propulser à l’Élysée. Et puis, l’extrême droite aime la discipline et le culte du chef. Marine Le Pen ne déroge pas à la règle. En sanctionnant son père, elle s’est affirmée comme leader suprême du FN. Il n’y a pas de place pour deux chefs à l’extrême droite. Ce sera donc elle. Quelle différence ?
Oui, les mots ont ici et là changé, les croix gammées et les crânes rasés sont mis de côté au profit de profils politiques plus classiques, plus technos, à l’instar de l’énarque Florian Philippot. Mais le cœur idéologique reste intact. L’ennemi de l’intérieur reste là : il n’est plus le juif des grandes heures antisémites du FN, mais le musulman qui envahit le pays. La glorification d’une France éternelle, blanche et chrétienne, est intacte. La préférence nationale, qui est en réalité une préférence raciale, demeure l’alpha et l’oméga du récit frontiste.
Robert Ménard, qui n’est pas au FN mais l’un de ses plus fidèles représentants, maintenant maire de Béziers, vient d’en donner une triste illustration. Sur le plateau de Mots croisés lundi soir, il avoue sans fard avoir compté les élèves prétendus musulmans pour arriver au chiffre précis de 61% dans les classes de Béziers. Un enfant dont le nom est à consonance maghrébine se trouve comptabilisé comme musulman.
Guerre des identités
La stigmatisation bat son plein, l’affront juridique et politique est de taille de la part d’un maire qui s’agenouille devant une stèle de l’OAS et supprime le remboursement de la cantine scolaire aux enfants de chômeurs. Si cette borne dépassée a soulevé une large vague d’indignation et de colère, elle doit nous alerter sur les limites profondes de la mutation tant vantée du FN.
Le projet de l’extrême droite demeure. Il repose sur la guerre des identités. Le FN s’emploie ainsi à diviser le peuple : dans une même cage d’escalier, un ouvrier blanc au SMIC qui en bave doit en vouloir à son voisin de palier qui, issu de l’immigration, touche le RSA. Il n’est pas question pour l’extrême droite de pointer l’inégale attribution des richesses, de dénoncer les fortunes gagnées par les rentiers qui exploitent le travail du grand nombre, mais de dresser une partie des catégories populaires contre une autre, en fonction de l’origine, de l’identité. Avec une méthode : l’autorité, en lieu et place de la démocratie.
C’est ainsi qu’aux élections départementales, la deuxième proposition du FN, après la préférence nationale, était d’en finir avec les fraudeurs du RSA. Que les deux tiers de ceux qui ont droit à ce minimum social ne le touchent pas – par méconnaissance du dispositif et difficultés à affronter les mécanismes administratifs – ne révolte pas l’extrême droite. Que l’idéologie dominante, et François Hollande avec, valide comme une évidence la jonction entre les milieux populaires et l’extrême droite en dit long sur les impensés de fond et l’abandon des milieux populaires par les élites.
Refuser l’ordre du jour frontiste
Mais après tout, quand Laurent Wauquiez de l’UMP parle de « cancer de l’assistanat » et qu’Emmanuel Macron du PS explique que s’il était chômeur, il se battrait pour trouver un emploi, comment imaginer une opposition conséquente et ferme à la construction idéologique du FN ? Quand les Unes des grands hebdomadaires comme L’Express ou Le Pointsur "L’islam, cette menace" se succèdent, tel un nouveau marronnier, qu’un député UMP parle d’une « cinquième colonne, organisation destinée à combattre notre pays de l’intérieur », comment s’étonner que le FN joue ensuite sur du velours pour avancer ses thèses xénophobes ?
Dans un sondage Ipsos de 2014, on apprend ainsi que les Français estiment à 23% le nombre de musulmans en France. D’après différentes enquêtes sociologiques, le juste chiffre se situe autour de 8%. L’obsession à l’égard des musulmans a gagné les esprits dans notre pays. Elle tend à se substituer aux préoccupations liées à l’égalité, valeur à laquelle pourtant les Français se montrent attachés. Elle a pris le pas sur la conflictualité sociale, les antagonismes de classe.
Il ne suffit pas de s’indigner sur les plus ignobles faits et déclarations de l’extrême droite, il faut s’attaquer au cœur de l’idéologie frontiste, refuser l’imposition de ses thèmes de prédilection, offrir une autre vision des maux de la société et des façons de vivre mieux, de renouer avec la fierté populaire. Mais pour cela, encore faudrait-il sortir de la médiocrité politique et de la sidération face aux percées frontistes.
Clémentine Autain. Publié sur le site de Regards.
http://www.regards.fr/je-vois-rouge-par-clementine/article/le-front-nati...
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