C'est avec beaucoup de tristesse que nous avons appris le décès de François Delapierre.
Pour beaucoup d'entre nous la rencontre avec François a commencé à la fin des années quatre vingt, des ses premiers engagements dans les luttes lycéennes , le combat antiraciste ou le syndicalisme étudiant.
Dès cette époque un engagement profond et déterminé animait notre ami tant par son goût du débat et des idées que par ses capacités d'organisation. Acteur de la résistance au libéralisme et du combat pour l'émancipation, il était à la fois un intellectuel engagé et en même temps ne rechignait pas aux tâches militantes.
Nous sommes retrouvés dans tous les grands combats de ces trente dernières années. Du soutien aux luttes à la fondation et construction du Front de gauche dont chacun sait la part qu'il a prise dans la campagne présidentielle de jean Luc Mélenchon.
Nous perdons un camarade et un ami. Nos pensées vont en ce moment vers ses proches, ses amis, ses camarades du Parti de gauche.
Ensemble!
François Delapierre, athlète de l’idée, lutteur infatigable
Avertissement : Les funérailles de François Delapierre auront lieu jeudi 25 juin à 10h30 au cimetière Père Lachaise. Elles sont ouvertes à tous ceux qui veulent lui rendre hommage une dernière fois.
Avec
François c’est un compagnon de plus de vingt années de combat politique qui s’en
va trop tôt, à 44 ans à peine. Une partie de ma vie s’éteint et ma peine est
immense comme pour tous mes camarades. Je sais qu’elle est aussi partagée par
énormément de gens qui n’étaient pas adhérents du Parti de Gauche et par
centaines les messages d’affections ne cessent d’affluer via les réseaux
sociaux, vers le site du PG où un communiqué d’hommage rédigé par Jean-Luc Mélenchon a été publié, vers
les pages Facebook de ses proches, vers le blog de Raquel Garrido qui eut très vite la force de rédiger un texte
présentant l’apport de François à nos actes collectifs, etc. Sur twitter le nom
François Delapierre fut parmi les
plus partagés de la journée. Beaucoup de responsables les plus divers, et avouons le les
plus surprenants, lui ont rendu hommage et la presse y a consacré plusieurs
sujets. François, homme de conviction mais ô combien pudique et si peu
démonstratif pour afficher ses sentiments quand il s’agissait de politique,
aurait peut être été étonné de découvrir l'ampleur d'une telle émotion et tristesse, que je
veux croire sincère, à l’annonce de sa disparition. Je devine le sourire de
ricanement qui aurait pu s’afficher au coin de ses lèvres. Mais il aurait du
s’y résoudre : nous étions très nombreux à l’aimer, à le respecter et à
l’admirer même. C’était mon cas, je me suis souvent défini comme un "delapierriste". Rarement un homme aura joué un rôle aussi
déterminant dans mes choix politiques personnels depuis au moins quinze ans.
C’était aussi un de mes plus chers copains avec lequel j’aimais beaucoup rire.
Son humour pince sans rire était ravageur.
Mais,
je ne veux pas me l'accaparer et
François joua également un rôle important dans l’engagement politique de
milliers d'autres personnes. Aussi après les premiers communiqués,
nécessairement
brefs, envoyés dans les heures qui suivirent son décès afin que
l’annonce de sa
disparition se propage, il me semble utile, nécessaire même, que ceux
qui ont bien
connu François racontent, par des témoignages personnels, ce qu’il fut
avec le
plus de précisions possibles afin que sa mémoire se perpétue et que le
combat
qui anima la très grande majorité de sa vie consciente continue. Cette
tâche
est dans le but de transmettre, ce qui fut une obsession permanente de
François quelle que soit l'organisation ou le collectif dans lequel il
était engagé. Oui, il fut un grand transmetteur, un pont entre les
militants, un pédagogue de nos idées. Et c’est
peut être là une des premières façons de le définir.
Commençons
par
le début. Je crois (mais la mémoire est parfois faite de nuages que
nous peinons
à traverser les yeux grands ouverts) avoir rencontré François la
première fois
de ma vie en 1991, à l’occasion d’un congrès de l’UNEF-ID, le syndicat
étudiant, dont il sera membre du Bureau national. Avec d’autres, il y
animait une tendance du nom Tendance Sursaut Ou Déclin (TSOD). Derrière ce nom étrange, des
militants liés au courant du PS dit « Gauche
Socialiste » et à l’association SOS
Racisme, comme Yann Galut ou Pascal Cherki, se regroupaient contre
la direction du syndicat, présidée en ce temps là par Christophe
Borgel, elle aussi PS mais proche de Jean-Christophe
Cambadélis. En cette époque, pour ma part, j’étais un des dirigeants
nationaux de l’organisation trotskyste PCI, décrite parfois dans la presse sous
le nom de lambertiste et n’étions pas dans la même tendance que François. Nous y étions même hostiles. Je le
confesse, pour le lambertiste que j’étais, ces confrontations internes entre
militants PS m’intéressaient peu, même si des choix stratégiques de
circonstances nous avaient amené à faire tendance commune avec des jeunes chevènementistes
d’alors comme Laurent Baumel et même
des fabiusiens ! Sans doute que la Guerre du Golfe, et quelques manœuvres
incompréhensibles, avaient justifié ses choix d’alliances assez baroques. Passons.
Mais François Delapierre avait
retenu mon attention par la qualité de son intervention méthodique faite à la
tribune de ce Congrès qui se tenait à la Mutualité. Plus de 20 ans plus tard, j’ai
oublié ce qu’il avait dit, mais la vérité est qu’il me fit forte impression. Il
n’avait pas encore 21 ans (François est né le 4 novembre 1970), mais avait déjà
une expérience militante non négligeable perceptible qui transpirait de ses paroles. Son
engagement politique avait débuté au lycée, à l’occasion du grand mouvement lycéen
et étudiant pour l’abrogation de la loi Devaquet en novembre et décembre 1986. C’est
aussi un point commun avec moi. La direction de SOS Racisme, qui était alors
une association à l’audience de masse significative, incomparable avec
aujourd’hui, décida de construire un syndicat lycéen la Fédération Indépendante et Démocratique des Lycéens (la
FIDL) dont
François fut un des premiers Présidents élu lors d’un Congrès en 1988
(On m'a assuré que c'est F. Hocquard qui fut le premier président de la
FIDL en 1987). En 1991 donc,
il était déjà un militant chevronné ayant exercé des responsabilités. Il
gardera toujours un intérêt particulier pour les questions liées à la
jeunesse et à la question étudiante et fera ces dernières années de
nombreuses conférences sur le sort que réserve le nouvel âge du
capitalisme aux étudiants s'endettent pour décrocher un diplôme.
La bombe supérieure: l'explosion politique et... par lepartidegauche Durant ces années de jeunesse, ce qui m’avait frappé lors de notre première discussion, c’est qu’il était déjà un intellectuel de haute tenue. Surprise pour moi, il était même marxiste et se revendiquait comme tel. Et sa connaissance du marxisme dépassait déjà largement la mienne alors que je considérais, certes avec prétention, ma formation lambertiste en GER comme la plus performante. J'en fus un peu vexé vu qu'il était plus jeune que moi. Non seulement il avait une bonne connaissance d’ouvrages classiques de Karl Marx à Léon Trotsky comme Le coup d’état de Louis Napoléon Bonaparte La Révolution permanente ou Leur morale et la nôtre. Mais il fut par exemple le premier à me parler du philosophe et sociologue marxiste Georg Luckacs et particulièrement son Histoire et conscience de classe ou à me donner le goût de lire Antonio Gramsci, ce que je fis plus tard.
Deux années plus tard à force d'essayer de faire en sorte que l’association retrouve
les voies d’un militantisme de terrain et d’une indépendance par rapport aux
pouvoirs publics, François Delapierre
jette l’éponge par lassitude et devant ce qu'il considère comme un
échec. Cette prise de distance avec l’association antiraciste, toutefois
pas avec ses militants qu'il appréciait toujours, est
surtout un début de prise de distance avec Julien
Dray. Je m'arrête sur ce point. Il faudrait pour faire une
biographie politique précise de François raconter les relations très
fortes qu'eurent François et Julien durant de longues années. Je ne le
ferai pas car je n'en ai pas été le témoin direct. Il est toutefois
indiscutable que Julien Dray joua un rôle important au début de l'engagement de François qui participa à la naissance de Questions Socialistes, premier regroupement des proches de Julien Dray dans le PS (avec notamment Harlem Désir, Isabelle Thomas, Frédéric Hocquard ou Patricia Philippe.
Cette dernière fut aussi quelqu'un de très important dans la vie
personnelle de François durant de longues années).
Mais à la fin des
années 90 cette complicité entre les deux n'est plus. Néanmoins, on m'a
raconté dans la soirée que Julien a rendu un hommage émouvant à François
au CN du PS qui s'est tenu hier, preuve que pour lui aussi François fut
une des rencontre importante de sa vie et que le temps n'avait pas
effacé ce souvenir très vif.
La fin des années 90 est pourtant celle d'un tournant pour François et d'une
rencontre intellectuelle avec un homme qui jouera désormais un rôle majeur dans la vie de
François et réciproquement : Jean-Luc
Mélenchon. Il faut pour être exact dire qu’ils se connaissaient déjà depuis
des années, puisque Jean-Luc avait tôt repéré cette « tête bien faite » à l’intelligence vive. Entre François
et Jean-Luc une solide complicité se noue en quelques mois. Les deux intellectuels se frottent
désormais l’un à l’autre pour faire des étincelles. Chacun des deux tirent le
plus grand profit de l’autre pour conceptualiser nos nouvelles tâches. Quand en
avril 2000 Jean-Luc Mélenchon
devient Ministre délégué à l’Enseignement professionnel, François rejoint immédiatement
son cabinet où il met en place une équipe prospective qui sera utile au
Ministre. Recruté en quelque sorte par François, j’ai l’honneur de faire partie
de cette petite cohorte. A partir de cette époque également, il devient le
rédacteur en chef du journal hebdomadaire A
Gauche. Ses éditoriaux, rédigés au rasoir font mouche chaque semaine. De la
sorte, il propose un fil à plomb politique aux dizaines de milliers d’abonnés
qui sont les militants et sympathisants de notre mouvance. Ainsi, il a dû rédiger
et publier près d’un petit millier d’éditos sur l’actualité sociale, politique,
économique et internationale, qu’il pourrait être utile de compiler à l’avenir
pour démontrer la clairvoyance et la hauteur de sa pensée. Et puis François
avait une plume, mordante et synthétique.
Jusqu'au bout, même très affaibli par la maladie il continuera à rédiger les éditos de A Gauche , aidé par Laurent, Matthias et aussi la fidèle Christiane Chombeau.
Sa
contribution intellectuelle ne faiblissait jamais. En 2013 toujours, à la rentrée il
publiera un étonnant Délinquance, les
coupables sont à l’intérieur (éditions Bruno Leprince) qui sera une
contribution majeure pour une réflexion républicaine sur le rôle de la police
et pour dénoncer les dérives actuelles voulues par Nicolas Sarkozy et continuée
par Manuel Valls.
Cet ouvrage est sans doute celui qu'il eut plus de temps de travailler,
de fignoler et il restera comme une référence. Sans prévenir, François
avait pris la décision de fouiller cette question sensible et, là encore
le temps d'un été, il avait produit cette œuvre. Je regrette finalement
que ce travail n'est pas été davantage valorisé alors que le thème de
la sécurité est omniprésent dans notre vie politico-médiatique.
Ce
portrait
très personnel et rapide de François, qui déforme nécessairement les
faits et leur enchainement, ne serait pas complet si
j’oubliai de rappeler qu'il était aussi un grand mélomane, et que la
musique l'a accompagné jusqu'au bout. Il était aussi un passionné de
l'Asie. A partir du
début des années 2000 , il eut un coup de foudre pour la Chine où il
se rendit plusieurs fois. Il fut aussi invité en Corée du Sud. Et puis
bien sûr, comme nous tous, il s'intéressait à
l’Amérique Latine et le Venezuela. Fin 2012, je me souviens d’un voyage
avec
lui à Caracas où nous avions participé à une série de Conférences sur la
situation internationale et les dégâts de l’impérialisme sur la planète.
Sa
curiosité sur ce qu’il se déroulait là bas était sans limite.
François
laisse donc aux vivants la trace de son exceptionnelle intelligence politique.
A ceux qui restent d’en être digne.
Au
terme de ce petit récit non exhaustif, qui ne parle que des facettes
personnelles de "mon" François, mais il y en avait beaucoup d'autres, je
pense une nouvelle fois à Charlotte, magnifique de dignité ces derniers
temps, à ses deux petites filles qui n'auront pas assez connu leur
père, à ses parents et à ses deux sœurs Emmanuelle et Laurence qui
l'aimaient tant.
Salut François, je pleure et je t’embrasse et nous sommes très nombreux à en faire autant.
Alexis Corbière (blog)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire