Les débats sur la crise grecque et sur la crise ouverte de l’Union Européenne ont suscité de très nombreux commentaires et de très nombreuses analyses. Ce débat va se prolonger d’autant que l’évolution, en Grèce et en Europe, est loin d’être achevée. Voici dix pistes de réflexions lapidaires sur le débat en cours.
1. La bataille de Grèce s’est terminée par une défaite de ceux qui refusaient les plans austéritaires.
Une défaite et une reddition pour Syriza qui avait défendu cette
position. Une défaite qui va peser lourd, d’abord pour le peuple grec.
Cette bataille a donné lieu à une démonstration de force du pouvoir
financier. Elle lui a permis de montrer sa puissance et sa capacité à
humilier tous ceux qui lui résistent. C’est un avertissement pour tous
ceux qui pensent pouvoir passer outre aux oukases.
Pour autant, la guerre n’est pas terminée, ni en Grèce, ni ailleurs. Que peut-on déjà apprendre de cette bataille.
La question de la dette est la question cruciale. C’est à partir de
là que se différencient les choix possibles. Faut-il ou non suspendre
unilatéralement le remboursement de la dette. La question s’est posée
deux fois, à des moments décisifs ; il est possible qu’elle se repose à
nouveau.
Au départ, le choix de Syriza semblait aller dans ce sens. C’était
un des cinq points du programme à partir duquel ce parti avait gagné les
élections. Et, l’importance de la place donnée à la Commission pour la
vérité sur la dette publique paraissait le confirmer. Cette position,
conforme au rejet des mesures austéritaires, nécessitait un programme
radical qui comprenait notamment la nationalisation des banques et une
réforme fiscale de grande ampleur, la réquisition de la banque centrale
pour couper sa subordination à la Banque Centrale Européenne.
Le gouvernement grec n’a pas suivi ce plan. Il a préféré ouvrir la
négociation sur des mémorandums (nouveaux crédits contre réformes
austéritaires) plutôt que de l’ouvrir sur un moratoire de renégociation
des dettes. Le gouvernement a estimé que les risques étaient trop grands
compte tenu de la violence des réactions de l’Eurogroupe.
Le deuxième moment décisif a été juste après le succès du non au
référendum. Une nouvelle fenêtre d’opportunité avec la légitimité donnée
par le résultat aurait permis de remettre en avant le plan fondé sur la
suspension des remboursements. Là encore le gouvernement a préféré la
négociation sur les mémorandums plutôt que la rupture. Là encore, c’est
l’importance des risques qui a pesé sur le choix du gouvernement.
Une troisième manche est possible. Car la dette n’est pas seulement
illégitime, illégale et odieuse, elle reste toujours insoutenable.
Compte tenu de la capitulation sur les mesures austéritaires, elle est
très mal engagée et un redressement sera très difficile.
2. La bataille de Grèce est un épisode d’une guerre mondiale prolongée.
Nous sommes en fait dans une guerre mondiale prolongée. Cette
guerre a commencé avec la victoire du capitalisme financier et des
politiques néolibérales, à la fin des années 70. La gestion de la crise
de la dette, provoquée par les pouvoirs financiers et politiques, et les
programmes d’ajustement structurels en ont été les vecteurs principaux.
Les plans d’austérité en sont une des déclinaisons.
Il s’agit d’une offensive pour le rétablissement de l’hégémonie
impérialiste par rapport aux succès de la révolution de la
décolonisation. Elle a combiné les coups d’état économiques et
financiers, les interventions militaires et de redoutables offensives
idéologiques et culturelles.
Un militant africain écrivait récemment : « ce qui arrive à la
Grèce est lamentable et dramatique pour le peuple grec ; peut-être que
les européens comprendront un peu mieux ce que nous vivons depuis
quarante ans ».
Ce n’est pas par hasard que le CADTM, Comité pour l’Annulation de
la Dette du Tiers Monde, qui lutte de manière remarquable et avec
opiniâtreté, depuis 1989, se retrouve en position centrale dans la lutte
contre l’austérité à partir des outils forgés dans ces batailles, et
notamment des comités d’audit citoyen des dettes. Rappelons qu’en 1989,
la campagne « ça suffat comme ci ! » mettait en avant le mot d’ordre
toujours actuel « Dette, apartheid, colonies ; ça suffat comme ci ! »
3. Le rapport de forces écrasant été déterminant dans cette bataille.
Affirmer la volonté de sortir de l’austérité est un casus belli,
une déclaration de guerre insupportable pour les pouvoirs dominants.
Tous les moyens sont bons pour abattre ceux qui s’y risquent, encore
plus quand ils le claironnent.
Face à un tel rapport de forces, la délégation grecque pouvait-elle
gagner ? Il faut se demander : gagner quoi ? Gagner de meilleures
conditions à court terme était déjà difficile. Gagner tout, c’est-à-dire
gagner l’abandon des programmes anti-austéritaires, était beaucoup
moins probable. Gagner tout, c’est-à-dire obtenir la défaite de la
troïka au bénéfice de tous, était encore moins probable compte tenu du
rapport de forces et de la possibilité financière de détruire la finance
et l’économie grecque.
C’est pourquoi l’analyse de la défaite en termes de : « on aurait
pu gagner mais certains des chefs ont trahi » n’est pas vraisemblable et
n’avance pas beaucoup. D’une manière générale, la réflexion en termes
de trahison a l’avantage d’éviter l’interrogation sur la situation et
les responsabilités. Elle n’est jamais suffisante. La désillusion la
plus forte vient d’ailleurs de ceux qui ont délégué au gouvernement grec
la possibilité de gagner pour eux, de mettre à bas la troïka.
Le rapport de forces a joué doublement. Il a pesé sur le choix du
gouvernement grec pour la négociation sur le mémorandum. Une fois ce
choix confirmé, il a réduit à très peu de choses les marges de manœuvre
dans la négociation.
Y-a-t-il eu des erreurs et le gouvernement grec aurait-il pu
obtenir plus ? Probablement oui. Pouvait-il obtenir tout ? Probablement
non. Mais il aurait pu obtenir de mettre plus en évidence la remise en
cause des programmes austéritaires et la question de la dette. La
question est surtout importante pour la suite en Grèce et en Europe.
Pour y répondre, il faut se poser la question des prochaines étapes.
On arrive à la lancinante question du plan B. Nombreux sont ceux
qui pensent que Syriza a perdu parce qu’il n’avait pas de plan B. Bien
sûr qu’il faut un plan B, et même plusieurs. Il aurait peut-être permis
de mieux négocier, mais il ne donnait pas l’assurance de gagner.
Malheureusement, il ne suffit pas d’un plan B pour gagner. Un plan B
n’annule pas le rapport de forces ! Ceci n’annule pas les critiques qui
soulignent que l’absence explicite d’un plan B a été voulue comme une
preuve de bonne foi dans la négociation et une concession qui a
certainement coûté cher. Si on appelle plan B le choix de la rupture, on
n’est plus dans un plan B de négociation, on est dans une orientation
stratégique alternative. La question est de savoir comment s’y préparer
pour la mener.
4. Si le rapport de forces était aussi défavorable, fallait-il engager la bataille ?
Face à un rapport de forces aussi défavorable, fallait-il y aller ?
Pour gagner les élections, fallait-il entretenir des illusions en
laissant croire qu’il était possible d’en finir avec les plans
austéritaires ?
L’idée qu’il vaut mieux ne pas y aller quand le rapport est trop
défavorable n’est pas la plus intéressante. Les plus grandes défaites
viennent des batailles qu’on ne mène pas.
Souvent, la bataille permet des avantages, même avec une défaite.
Elle peut permettre d’obtenir des concessions par rapport à
l’acceptation du plan imposé sans bataille. En laissant ouverte la
discussion sur ce qui aurait pu être obtenu d’autre ; discussion qui
n’avait pas vraiment été ouverte avant.
La bataille a permis deux autres avancées. D’abord, elle a montré
la volonté de résistance active. Elle a ouvert une séquence encore
incomplète mais très prometteuse : on n’accepte pas, on résiste, on veut
bien négocier, mais on consulte le peuple. Ensuite, elle a contribué à
dévoiler la nature des politiques et la nature des institutions, de l’UE
et du FMI. Elle a rendu plus visible la nature du système, du
capitalisme européen et mondial sous ses différentes facettes. La
bataille de Grèce ouvre dans de meilleures conditions une nouvelle phase
de la bataille de l’Europe.
Pour revenir au rapport de forces défavorable et même écrasant, il
faut tenir compte de ce rapport de forces pour définir les objectifs de
la bataille et la manière de la mener. Et surtout, il faut inscrire la
bataille dans une perspective stratégique en anticipant les prochaines
batailles et les prochaines étapes.
C’est la question qui est posée aujourd’hui à Syriza et à ses
différents courants. Avec une interrogation majeure : quelles sont les
attentes et les possibilités d’engagement du peuple grec après cette
première bataille ? C’est ce que le débat politique en Grèce va
éclairer.
5. La violence de l’agression met à jour de fortes contradictions
La violence de l’agression a été croissante. Au départ, il fallait
faire rentrer la Grèce et la prendre comme exemple de la règle. Le
peuple grec résiste ! Il faut le réduire, l’obliger à accepter la règle,
le prendre comme exemple de l’inutilité de résister, l’humilier et
l’écraser.
Mais cette violence a montré, à contrario, que la puissance
considérable n’était pas suffisante pour se faire obéir sans résistance.
La menace de la table rase financière a dévoilé la nature des rapports
et a mis à jour de nombreuses contradictions dans le camp des dominants.
La négociation avec la Grèce a montré des contradictions entre les
gouvernements européens et les peuples européens et combien la question
de l’austérité était sensible. Elle a montré la peur de la contagion que
pouvait susciter une issue positive pour le peuple grec. Elle a montré
les contradictions entre les capitalismes européens sur la conduite de
l’Europe ; entre l’Europe du Nord qui suit la roideur allemande,
l’Europe du Sud rétive à l’austérité, l’Europe de l’Est qui joue les bas
salaires, la Grande Bretagne occupée à la définanciarisation. Elle a
montré les contradictions entre les gouvernements européens sur l’avenir
de l’Europe. Elle a montré que derrière le partage des rôles dans la
négociation, les divergences entre la France et l’Allemagne sont réelles
sur les équilibres budgétaires. Elle a montré le désaccord sur la dette
entre l’Allemagne et le FMI. Elle a montré les divergences en Allemagne
sur son rôle futur. Elle a montré que les politiques financières et
monétaires ne suffisent pas à définir une politique européenne.
La crise ouverte en 2008 avec la crise financière commencée avec
les subprimes a démontré que le système capitaliste est en crise et
qu’il n’en est pas sorti. Après quelques hésitations autour des
propositions sur une réforme du capitalisme appelée green new deal, le
capitalisme financier a repris le contrôle et raidi ses positions. Pour
autant la crise n’est pas résolue et les mouvements de contestation qui
se sont manifesté à partir de 2011 n’ont pas faibli, même s’ils n’ont
pas encore réussi à modifier le rapport de forces. Dans la bataille
contre les plans austéritaires et les politiques néolibérale, la
question de la dette publique est centrale au niveau mondial. Une
campagne internationale pour la reconsidération et l’annulation des
dettes publiques peut trouver des formes renouvelées.
6. L’irruption de la question démocratique
La démocratie est à la fois un élément de la bataille et une
question stratégique centrale de longue période. Syriza a joué le jeu
démocratique en appuyant ses demandes sur la légitimité démocratique des
élections et en décidant d’organiser un référendum. Ils ont de ce point
de vue marqué un point en démontrant le peu de cas pour les financiers
et l’Union Européenne de toute procédure démocratique. On le savait déjà
mais la grossièreté de la réponse de la Commission explicitant qu’il
n’y avait là pas de place pour la démocratie peut peser dans l’avenir.
Consulter le peuple, faire appel au peuple, cette initiative de
Syriza qu’un gouvernement grec précédent avait menacé de faire sans
aller jusqu’au bout aurait pu changer la donne. Les contradictions mises
à jour n’étaient pas seulement celles des pouvoirs financiers, il y en
avait aussi au niveau du peuple. Le peuple voulait deux choses
contradictoires : sortir de l’austérité, ne pas sortir de l’Euro. Le
gouvernement voyait bien que c’était contradictoire et que le chemin
possible était quasiment impossible. Mais il a consulté là-dessus dans
la continuité des élections et aussi parce que poser la question de la
sortie de l’Euro, donnait peu de chances de gagner le référendum.
Il y avait une autre opportunité, c’était d’utiliser la légitimité
du référendum pour rompre la négociation, quitte à se faire imposer un
grexit qui aurait peut-être mis en difficulté la troïka. Ce n’est pas ce
qui a été choisi et qui a divisé Syriza. Plusieurs raisons ont pesé
dans ce sens. D’abord les risques pour le peuple grec d’une guerre
financière totale à travers la destruction du système financier et
bancaire grec. Ensuite, le fait que les mesures pour faire face au
grexit n’avaient pas été préparées. La discussion sur le choix du
gouvernement grec nous concerne tous. Pour l’instant, cette discussion
relève beaucoup du débat politique grec.
Il y a une discussion plus fondamentale sur le processus
démocratique. Il y a eu, à un moment, juste après le référendum une
opportunité historique, une bifurcation possible. Compte tenu de la
nature contradictoire de la réponse au référendum, il n’était pas
illégitime de durcir, voire d’interrompre la négociation plutôt que de
l’accélérer et de capituler. Il y avait certes des risques, mais aussi
des opportunités. Dans un moment de décision historique, la consultation
démocratique, dans ses formes classiques, ne donne pas toujours une
réponse suffisante.
La discussion sur une orientation stratégique alternative, même si
elle a été très courte, a été beaucoup plus riche juste après le
référendum. Parmi les nombreuses propositions, retenons celles de Yannis
Varoufakis (reconversion de la dette en cours par une monnaie fiscale
complémentaire, décote sur les obligations détenues par la BCE,
réquisition de la Banque de Grèce) et celles, répétées, de Eric
Toussaint (moratoire de la dette, création d’une monnaie complémentaire
électronique, réquisition de la Banque Centrale Grecque, nationalisation
des banques, réforme fiscale d’ampleur, mesures sociales de relance).
Ces propositions sont relayées par Thomas Coutrot et Bruno Théret qui
précisent que pour éviter les risques de panique bancaire et de coup
d’état financier par un exode massif des capitaux, il faut une adhésion
populaire. C’est sur un programme de mesures précises et sur les risques
de l’affrontement que doivent porter les consultations démocratiques.
La bataille de Grèce ouvre aujourd’hui de nouvelles possibilités
pour d’autres situations. La consultation portant sur un programme de
sortie d’austérité en acceptant les risques de ruptures et en
définissant les premières mesures d’un projet de transition. Une
consultation sur le refus des programmes austéritaires, au risque de
sortir de l’Euro, peut devenir beaucoup plus « entendable » dans
plusieurs pays européens
7. La crise grecque ouvre une nouvelle étape de la crise de l’Union Européenne
La crise grecque ouvre une nouvelle étape de la crise de l’Union Européenne. Elle en dévoile les mécanismes et la nature.
L’Union Européenne est une partie avancée du néolibéralisme. La
discussion porte sur son évolution. Laissons la discussion sur sa nature
intrinsèque. Son évolution est-elle le résultat de la révolution
néolibérale de la fin des années 1970, ou est-elle immuable depuis sa
création ? La discussion n’est pas sans intérêt mais elle n’est pas
fondamentale. L’Union Européenne est d’une certaine manière la pointe
avancée, l’avant-garde institutionnelle du capitalisme financier. Celle
qui règlemente et légifère dans l’intérêt du capitalisme financier.
En adoptant l’Euro, en corsetant la zone euro, elle a instauré une
monnaie unique à partir de l’idée d’une monnaie commune. L’Euro qui
aurait pu contester ou concurrencer le dollar comme monnaie
internationale est devenu le moyen de contrôler et de mettre au pas
chacun des pays européen. La crise économique et financière se traduit
par une crise sociale majeure et se prolonge dans une crise
démocratique.
Le mouvement social européen n’a pas joué un véritable rôle dans la
crise grecque. Il y a eu des pétitions mais pas de véritable
mobilisation. On ne peut pas parler d’unité du mouvement social européen
autour de la définition d’un projet alternatif européen. La
différenciation de la mondialisation entre les régions du monde concerne
aussi l’Europe. La crise européenne s’inscrit dans la crise globale. La
crise européenne est spécifique sur le plan économique et sur le plan
géopolitique. En Europe même, plus largement qu’au niveau de l’Union
Européenne, les situations se différencient suivant les régions
européennes. La convergence au niveau du mouvement social européen est,
de ce fait, très difficile.
La différenciation des situations pèse sur la définition d’une
position stratégique commune des mouvements sociaux et citoyens en
Europe. L’ambition est de définir un projet européen alternatif qui se
dégagerait du projet européen dominant et de ses impasses et qui
traduirait en termes politiques et culturels l’unité du mouvement social
européen. Pour l’instant, le mouvement social européen est confronté à
trois défis principaux : l’alliance avec le précariat, la rupture de
l’alliance entre les compétents et les actionnaires, la lutte contre le
racisme et la xénophobie. Il s’agit de trois défis mondiaux qui prennent
des formes spécifiques dans chaque région du monde, notamment en
Europe.
Une campagne européenne de longue durée pourrait adopter plusieurs
déclinaisons : Nous ne voulons pas de cette Europe là ! Nous voulons une
Europe sociale et démocratique ! Nous ne voulons pas de cette Union
Européenne ! Nous n’obéirons pas à cette Union Européenne ! Nous ne
voulons pas de cet Euro ! Nous voulons transformer l’Euro en monnaie
commune !
8. La place des mouvements dans les affrontements
La bataille de Grèce a vu l’affrontement entre le pouvoir financier
représenté par la troïka et Syriza représentant le gouvernement grec.
Ni les mouvements grecs, ni le mouvement européen n’ont réussi à
inverser la tendance dans le court terme.
Faut-il alors considérer que les mouvements sociaux ne sont pas des
acteurs directs du changement. Effectivement, ils ne suffiront pas à
assurer seuls, à court terme, une rupture et la mise en œuvre d’une
transition. Certes, les mouvements sociaux sont insuffisants ; ils ne
sont acteurs du changement que quand ils s’inscrivent dans un processus.
Les mouvements sont les forces anti systémiques qui combinent sous
des formes diverses, les positions de classe et les alliances entre les
couches sociales et les catégories qui composent la société. La démarche
qui caractérise le mouvement altermondialiste est de partir des
mouvements sociaux et citoyens, de leur diversité et de leurs
convergences.
Le mouvement altermondialiste est en mutation. Le processus des
forums sociaux mondiaux ne le résume pas. Il doit d’ailleurs être
repensé. Dans la dernière période, trois types de mouvements forment le
processus : les mouvements traditionnels, redéfinis par les années 70,
(mouvement ouvrier, mouvement paysan, mouvements des femmes, …) ; les
mouvements qui ont été visibles dans le processus des forums sociaux à
partir de l’évolution des anciens mouvements et des mouvements qui sont
devenus plus visibles (comme les peuples indigènes, l’écologie,
l’extractivisme, …) ; les nouveaux mouvements à partir de 2011
(indignés, occupy, taksim, carrés rouges, …).
Ces mouvements renouvellent l’altermondialisme. Ils montrent que la
contre-offensive de l’oligarchie dominante ne s’est pas imposée, même
si elle a marqué des points. Elle montre aussi que la seule réponse des
peuples n’est pas dans la droitisation des positions. Certes, la montée
des courants fascistes, d’extrême droite et populistes réactionnaires
est sensible. Elle prend d’ailleurs des formes différentes avec le
néo-conservatisme libertarien aux Etats-Unis, les diverses formes de
national-socialisme en Europe, le jihadisme armé au Moyen-Orient, le
hindouisme extrême. Dans plusieurs des nouveaux mouvements, la gauche
classique est battue en brèche et des courants de droite paraissent
quelquefois imposer leurs points de vue. Mais, il s’agit bien de
mouvements de contestation de l’ordre dominant. On le retrouve dans les
mots d’ordre explicités depuis Tunis et complétés par les autres
mouvements. Il s’agit d’abord du refus de la misère sociale et des
inégalités, du respect des libertés, de la dignité, du rejet des formes
de domination, de la liaison entre urgence écologique et urgence
sociale. D’un mouvement à l’autre, il y a eu des affinements sur la
dénonciation de la corruption ; sur la revendication d’une « démocratie
réelle » ; sur les contraintes écologiques, l’accaparement des terres et
le contrôle des matières premières.
9. L’affrontement s’inscrit dans l’espace des partis et des gouvernements
La crise grecque montre que l’espace national est l’espace de
l’affrontement, mais que l’affrontement ne peut s’y restreindre. Il
s’élargit à l’espace capitaliste mondial et à l’espace de l’Union
Européenne en Europe. La discussion porte sur les rapports entre les
mouvements, les partis et les gouvernements.
Les nouveaux mouvements sont spontanés, radicaux, hétérogènes.
Certains affirment que ces mouvements ont échoué parce qu’ils n’auraient
pas de perspective ou de stratégie et qu’ils ne se sont pas dotés
d’organisation. Cette critique mérite d’être approfondie. Elle n’est pas
suffisante quand on sait que le plus vieux de ces mouvement a quatre
ans. Les mouvements ne rejettent pas toutes les formes d’organisation ;
ils en expérimentent des nouvelles. Celles-ci ont démontré leur intérêt
dans l’organisation des mobilisations, la réactivité aux situations et
l’expression de nouveaux impératifs. La question des formes
d’organisation par rapport au pouvoir est à l’ordre du jour.
On aurait pu espérer que ce qui se passe avec Syriza, Podemos ou le
Parti des gens ordinaires à New Delhi, soit le début d’une nouvelle
étape. La montée en puissance d’organisations politiques qui se réfèrent
aux nouveaux mouvements et qui en sont, en partie, issues. Des
organisations politiques qui se donnent comme objectif d’arracher le
politique au financier et qui refusent l’idée qu’il n’y a pas
d’alternatives. Ce ne sont pas encore complètement des nouvelles formes
d’organisation politique, mais elles assument que les partis doivent
prendre leur part dans la réinvention du politique.
Par rapport à Syriza, ne passons pas de l’enthousiasme au grand
découragement. Regardons ce qui est en jeu. On ne peut pas considérer
qu’il n’y a donc pas besoin de partis, même si l’autonomie des
mouvements par rapport aux partis est à reconfirmer. Pas plus qu’il ne
paraît intéressant de considérer que celui-ci n’était pas le bon et
qu’arrivera bien un parti d’avant-garde qui lui réussira à s’imposer.
Syriza est né de la gauche radicale relativement classique qui a su
tirer des leçons des mouvements des indignés. Il a su aussi lier des
formes de mobilisation avec une élaboration qui a tiré des leçons de la
chute du soviétisme en 1989 et de l’évolution catastrophique de la
social-démocratie existante.
Une prochaine bataille est possible en Espagne à partir de Podemos.
Podemos est plus directement issu du mouvement des indignés. Il a
montré sa capacité à s’inscrire dans le local et à passer des alliances
assez larges. Podemos va bénéficier de la bataille de Grèce et des
limites de ce premier affrontement. Essayons déjà de ne pas l’étouffer
par notre impatience, et comme certains s’y essayent déjà, à prévoir les
futures trahisons.
Il y aura d’autres batailles. Il y aura possiblement et
probablement d’autres défaites. Mais il y aura aussi des résistances et
des avancées, à partir des leçons tirées des défaites.
10. Le débat est ouvert sur les perspectives stratégiques
Le capitalisme a marqué des points et démontré sa capacité à
s’adapter. Il a mené une bataille idéologique majeure, contre la valeur
d’égalité, et a réussi à accentuer une droitisation des sociétés et à
attiser les racismes et les xénophobies. Il a surtout réussi à mettre au
service de la finance les extraordinaires découvertes scientifiques et
technologiques, particulièrement dans le numérique et les
biotechnologies. Il affine ses stratégies militaires et perfectionne à
l’infini les moyens qui s’inscrivent dans un état de guerre perpétuelle.
Il gagne du temps pour préserver les privilèges de l’oligarchie tout en
préparant pour l’avenir une mutation des rapports sociaux capitalistes.
Le mouvement social aussi est en recomposition. Les mouvements
affirment un refus et recherchent de nouvelles propositions. Ils
n’opposent pas à la complexité des situations des réponses simplistes.
Les rapports de production n’ont pas changé de nature, mais il faut
prendre en compte les mutations scientifiques et culturelles. Les modes
de pensée sont bouleversés par la révolution écologique. La révolution
majeure des droits des femmes, au-delà des réactions violentes qui la
rejettent, commence à peine un bouleversement incroyable des sociétés.
La géopolitique est marquée par le chamboulement du monde. C’est la
réinvention de la démocratie qui est au cœur des mutations et des
interrogations. La démocratie économique et sociale reste un préalable.
Elle est à inventer. Il est clair que la démocratie ne se résume pas au
marché, mais il apparaît aussi que l’Etat ne suffit pas à définir le
contraire du marché et à garantir la démocratie. Le rejet de la
corruption va au-delà de la corruption financière ; il s’agit de la
corruption politique. Elle est visible dans les politiques imposées et
dans le mélange des intérêts. La subordination du politique au financier
annule le politique. La démocratie culturelle et politique nécessite la
réinvention du politique.
Il y a des occasions de rupture qu’il faut saisir. Mais, on ne
gagne pas d’un coup, par surprise. La rupture se fait dans le temps long
; le temps que s’accumulent les nouveaux paradigmes. Rappelons-nous par
exemple qu’après l’écrasement de La Commune, en 1871, il a fallu
quarante ans pour que le mouvement social se recompose et inverse la
tendance. Il a su tirer les leçons de la défaite et renouveler sa pensée
dans la Première internationale. Il a su reconnaître la montée des
ouvriers de la grande industrie. Nous sommes dans la période des
quarante à cinquante ans qui suivent la réussite de la contre-offensive
néolibérale. A partir de 2008, avec la confirmation de la crise ouverte
de la mondialisation capitaliste et 2011, avec les nouvelles
insurrections populaires, une période de rupture s’amorce.
Nous sommes dans une période de bouleversements et de très fortes contradictions. Probablement dans le temps d’un changement de période dans lequel cohabitent les anciennes tendances et s’amorcent de nouvelles. La citation de Gramsci est d’une grande actualité « le vieux monde se meurt ; le nouveau monde tarde à apparaître, et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ». Il faut à la fois lutter contre les monstres et construire le nouveau monde. Il n’y a pas de fatalité, ni dans le succès, ni dans l’échec.
Nous sommes dans une période de bouleversements et de très fortes contradictions. Probablement dans le temps d’un changement de période dans lequel cohabitent les anciennes tendances et s’amorcent de nouvelles. La citation de Gramsci est d’une grande actualité « le vieux monde se meurt ; le nouveau monde tarde à apparaître, et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ». Il faut à la fois lutter contre les monstres et construire le nouveau monde. Il n’y a pas de fatalité, ni dans le succès, ni dans l’échec.
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