mardi 10 mai 2016

Affaire Baupin : la violence sexiste est forte en politique. Elle fait partie du quotidien, par Clémentine Autain


Le mouvement de libération de la parole des femmes victimes de violences sexuelles est en marche. L’enquête de Mediapart, en partenariat avec France Inter, brise une nouvelle fois le silence avec la mise en cause du député Denis Baupin. Les huit témoignages de femmes ayant subi les assauts sexistes du député sont édifiants. Le caractère collectif de cette dénonciation permet une prise de conscience salutaire. 

"L’affaire Baupin" soulève la chape de plomb qui pèse sur la réalité, l’ampleur, les mécanismes du harcèlement et des agressions sexuelles. Elle révèle la prégnance du machisme dans le monde politique. Elle ouvre les yeux sur ce que toutes les femmes qui évoluent dans cet univers de pouvoir savent, connaissent, subissent. Ce n’est pas un hasard si le dernier roman à succès d’Olivier Adam, "La renverse", dépeint un climat politique délétère dans lequel s’imbriquent avidité de pouvoir et violence sexuelle, en toute impunité.
 

Paternalisme lubrique et sexualité prédatrice 

Il n’est pas question de suggérer ici que tous les hommes politiques harcèlent les femmes, que tous sont des violeurs en puissance mais d’affirmer que la domination masculine sévit avec force dans l’univers politique façonné historiquement, culturellement, par l’esprit viril et guerrier. Aussi le comportement de Denis Baupin décrit par ces huit témoignages est-il atypique par le caractère particulièrement répétitif et violent de ses agissements sexistes et en même temps typique du paternalisme lubrique et de la sexualité prédatrice qui se déploient avec aisance dans l’espace politique. 

Souvenons-nous des affres de DSK, et de l’omerta dont il a bénéficié au point d’imaginer collectivement sa candidature à la présidentielle. Souvenons-nous de Georges Tron et de sa passion pour les pieds des femmes, prétexte à agressions sexuelles. Chaque affaire fait office, au moment de sa révélation, de l’arbre qui cache la forêt. 

Ces histoires doivent être reliées entre elles et comprises à l’aune d’un contexte général. Il y a un an, un appel de 40 femmes journalistes dénonçait le sexisme de leurs interlocuteurs politiques. Plus récemment, c’est le ministre Michel Sapin qui fut accusé d’avoir tirer l’élastique du string d’une journaliste. Relier tous ces témoignages, ces faits, permet de saisir le caractère systémique de la violence sexiste en politique. 

"Ici, il y a la seule baisable de l’assemblée !" 

Ce que l’affaire Baupin met en lumière, après d’autres, c’est une scène politique qui fonctionne comme un terrain de chasse. La virilité exacerbée y nage en eau claire. 

J’ai en tête cette collègue qui me met en garde de ne pas monter seule dans l’ascenseur avec tel député-maire au risque de prendre une main aux fesses. Je repense à cet élu à la tribune d’une assemblée passant une matinée à classer les femmes de l’hémicycle en fonction de leur physique. Je revois ce sénateur demandant à la buvette, devant une dizaine de personnes, au sujet d’une jeune collaboratrice (en sa présence) : "elle mignonne, elle est bien servie au moins ?". Ou tel autre dirigeant politique qui, lors d’un grand dîner d’élus, choisit sa table en clamant : "ici, il y a la seule baisable de l’assemblée !". 

Des anecdotes, nous en avons toutes, nous nous les échangeons. Elles font partie du quotidien. Nous connaissons toutes les regards ostensibles, de bas en haut, en entrant dans une réunion ou avant de prendre la parole à la tribune : en quelques secondes, nous sommes installées à une place d’objet quand nous aspirons à être des sujets. 

Les normes sexistes créent un sentiment d'impunité 

La récurrence du rappel à l’ordre des sexes crée un climat, une ambiance sexiste dans laquelle chaque femme cherche le moyen d’évoluer le plus librement possible.

Certaines font mine de ne pas voir, baissent la tête ; d’autres se soumettent au jeu sexiste en cherchant à en tirer profit ; d’autres se révoltent ouvertement. Ce sont parfois les mêmes qui adoptent tantôt une méthode, tantôt une autre, plus ou moins consciemment. Les femmes peinent à trouver leur juste place dans ce monde politique, espace de guerre qui accroît le virilisme, dans lequel la quête de domination est un ressort puissant.

Je sais combien les caissières de supermarché ou les cadres supérieures de grandes entreprises subissent aussi ce type de comportement. Le monde politique amplifie ce phénomène parce que la quête de pouvoir, de domination, fonde symboliquement l’exercice de la politique et qu’il s’agit d’un lieu de représentation publique.


Le sentiment d’impunité de nombreux hommes qui harcèlent ou violentent n’est pas sans lien avec les normes sexistes en vigueur dans le monde politique.

Il est évidemment renforcé par le silence dans lequel se trouvent enfermées les femmes qui ont peur de parler parce que cela ne se fait pas, parce qu’elles redoutent d’être perçues comme faibles dans un monde où il faut être fort, parce qu’elles ne veulent pas entendre en terrible boomerang ce fameux : "elle l’a bien cherché".

Nous avons besoin de nommer ce qui se passe, de lutter contre le harcèlement et les agressions sexuelles par le recours à la justice, de prévenir par le biais d'une sensibilisation vis-à-vis de ces comportements d'une triste et grande banalité. Les partis politiques et les institutions, au lieu de pousser des cris d’orfraie à chaque affaire révélée, devraient se saisir sérieusement de ces enjeux.

Plus fondamentalement, nous avons besoin de comprendre ce qui se joue pour le déjouer.

En finir avec l’asymétrie des sexes

Combattre le sexisme en politique, comme ailleurs, ne signifie pas traquer les rapports de séduction, inviter au puritanisme ou porter plainte au moindre compliment.

Le mélange des registres est souvent avancé parce que normes de séduction et machisme sont imbriqués depuis longtemps, si longtemps, par les rôles traditionnellement imposés : les femmes, dominées, attendent le prince charmant ; les hommes, dominants, prennent l’initiative de la séduction.

Dans notre France où la gauloiserie fait office de patrimoine culturel, il n’est pas toujours simple de démêler les mots, les regards, les gestes. Les frontières à tracer nous apparaissent fort complexes. Et pourtant, le slogan féministe "quand je dis non, c’est non" n’a pas pris une ride : il indique une première limite.

La seconde a trait au respect de l’autre : les femmes ne sont pas des marchandises, à disposition de la libido masculine, mais des sujets à part entière. Comme l’écrit Leslie Kaplan dans "Mathias et la révolution", "l’égalité est la réciprocité de la liberté". Ce que nous voulons, c’est en finir avec l’asymétrie des sexes pour qu’advienne une société dans laquelle les relations humaines et sexuelles se jouent entre individus libres.

Ma conviction, c’est que la séduction n’en aura que plus de sens et de saveur.

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