lundi 30 mai 2016

Loi Travail : panique au sommet, par Guillaume Liégard


Devant la persistance du mouvement contre la loi travail, la condescendance le cède à un franc mépris de classe, et à un affolement palpable. Médias de garde, Medef, majorité et opposition ont compris que la contestation était proche d’une victoire. 

Hier encore, ils affichaient leur morgue et leur arrogance. Vous refusiez la loi travail ? Une lubie liée à une altération du jugement, on allait donc vous ré-ex-pli-quer la modernité, le réel. Le Français moyen (tellement moyen, c’est aberrant à la fin), souillé, déformé par des décennies d’égalitarisme absurde se révèle souvent un peu benêt. Et après tout, la pédagogie c’est aussi la répétition, alors éditorialistes, représentants du gouvernement et "économistes" officiels en tout genre se sont relayés jusqu’à la nausée pour expliquer tous les charmes cachés de cette loi El Khomri injustement incomprise. 


Dans les cercles du pouvoir, on ne se reconnaissait qu’une seule faute, le manque de pédagogie. Mais oui bien sûr, puisque cette loi est bonne et même la seule possible, seul le manque d’information et un caractère obtus pouvaient susciter un éventuel rejet, il fallait donc revenir cent fois sur le métier – même si c’est agaçant, à la fin, d’être en butte à une population aussi intellectuellement limitée. On serre les rangs 

Avec la grève des raffineries, le blocage des dépôts d’essence, les grèves à répétition qui ne faiblissent pas, changement de ton : fini le temps du mépris, place au déluge de haine. C’est que le mouvement social, loin de se contenter d’un baroud d’honneur, a la possibilité de gagner. Et là, ça ne rigole plus. 

Tout le monde serre les rangs derrière le gouvernement. Après les modifications apportées à la première mouture du projet de loi, Pierre Gattaz – en partenaire utile au gouvernement – avait fait le dégoûté, agité la menace de quitter la table des négociations sur l’Unedic. C’était le 19 avril : le patron du Medef fustigeait alors « une loi vidée de son sens » et annonçait que les patrons avaient atteint « leur point de rupture ». C’est pourtant le même qui, le 27 mai sur Europe 1, suppliait le gouvernement « de ne surtout pas toucher à l’article 2 », « de résister à l’intimidation » syndicale car voyez-vous, « il ne faut absolument pas céder » (voir le verbatim). 

De son côté, François Fillon expliquait le 29 mai, doctement et en toute cohérence, que la loi travail, « il n’y a plus grand-chose dedans mais son retrait serait une catastrophe ». Avant d’ajouter que la CGT « est sortie du cadre démocratique et républicain », bref on est au bord de la dissolution de la principale confédération syndicale. 

Terrorisme, sabotages et guerre civile 

Mais c’est surtout du côté des médias que le changement est le plus net. Jusque ici, avec la plus grande application, ces derniers avaient focalisé toute leur attention sur les violences, les casseurs. À se demander, parfois, s’il y avait encore des manifestations ou des grévistes. 

Manifestement, cela n’a pas suffi, et donc depuis quelques jours c’est en treillis et munis de casques lourds qu’ils occupent les antennes, un peu comme ces journalistes "embedded" (intégré) de la guerre du Golfe. Tout y passe, et le vocabulaire est un peu étrange, surtout après les attentats de 2015 (une collection de perles à lire ici ou encore là) : « La radicalisation de la CGT pose incontestablement un problème », nous déclare Manuel Valls. Pour d’autres, ce sera « les Français pris en otages », le « terrorisme social » – d’autant qu’en temps de guerre « le sabotage » (allons-y carrément) est passible de la cour martiale. 

Mention spéciale à Jean-Michel Apathie qui, dans un tweet tout en finesse d’analyse, écrit : « La CGT veut étendre le mouvement aux centrales nucléaires et à l’électricité. Prochaine étape, la guerre civile ? L’appel aux armes ? » 

Pas de doute, ils sont en guerre de classe. 

Fébrilité maximale 

Autre grande moment de déontologie journalistique, le choix par France 2 des "Français normaux" chargés de porter la contradiction à Jean-Luc Mélenchon : dans l’ordre d’apparition, un petit boulanger (juste dix-sept salariés comme l’écrasante majorité des boulangeries sans doute), qui se révèle être le fournisseur de l’Élysée, puis une représentante des Jeunes agriculteurs, qui non seulement nie les liens organiques avec la FNSEA (tiens, de vrais casseurs de préfectures, eux), mais vient du monde de la finance et a trouvé le moyen d’être prise en photo avec Manuel Valls et Stéphane Le Foll, en toute indépendance bien sûr. 

Le ton hargneux de ces derniers jours n’est pas sans rappeler la dernière ligne droite du référendum contre le TCE en 2005. Tant mieux, c’est le signe que la victoire est possible, qu’elle est à portée de main. 

La fébrilité au sein du gouvernement atteint son comble : sortie de route d’Emmanuel Macron à Lunel, lapsus sur la nécessité « d’apprivoiser euh approvisionner les français » de Manuel Valls ou le désormais célèbre « Bruno relou » de Stéphane Le Foll. 

Au sein même de la direction socialiste, la cacophonie règne et nombreux sont ceux qui ne veulent pas mourir sur la croix pour Manuel Valls. Tout dépend désormais de la mobilisation sociale de ces prochains jours. Plus que jamais, on ne lâche rien.

www.regards.fr

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