vendredi 27 mai 2016

« Valls veut substituer la question de l’identité à la question sociale ». Entretien avec Clémentine Autain




Depuis plusieurs mois, une polémique oppose Manuel Valls à Clémentine Autain, porte-parole du mouvement de gauche radicale Ensemble, à propos de l’islamologue suisse Tariq Ramadan. Actuellement en visite en Israël et dans les territoires palestiniens, le premier ministre est revenu dimanche 22 mai sur le sujet, dénonçant, dans une interview à Radio J, « l’islamo-gauchisme », « ces capitulations, ces ambiguïtés avec les Indigènes de la République, les discussions avec Mme Clémentine Autain et Tariq Ramadan, ambiguïtés entretenues qui forment le terreau de la violence et de la radicalisation ». A la suite de ces propos, la conseillère régionale d’Ile-de-France a menacé, «sans excuse » de la part de M. Valls, de porter plainte . Elle s’explique.
 
Non seulement Manuel Valls ne s’est pas excusé dimanche, mais il a fait état dans la soirée, sur BFM-TV, de « conversationsétranges » entre M. Ramadan et vous. Allez-vous porter plainte ?

Clémentine Autain : Je consulte pour savoir si le propos peut être qualifié juridiquement de diffamatoire. Mais l’essentiel est de nature politique. Depuis quelques mois, Manuel Valls, mais aussi Jean-Marie Le Guen [secrétaire d’Etat aux relations avec le Parlement], ont jugé utile de me cibler personnellement pour m’affubler de qualificatifs aussi idiots qu’infondés comme « islamo-gauchiste ». L’enjeu est de nous disqualifier, mon mouvement et moi, sans autre forme de débat démocratique.

Comment comprenez-vous ce terme d’« islamo-gauchisme » ?

C’est à eux qu’il faut le demander. Qu’est-ce que cela veut dire ? Que je suis de gauche ? Oui. Que je me bats contre le rejet des musulmans ? Oui. Et alors ? Où est le problème ? 

Quelles sont vos relations avec Tariq Ramadan ? Comment le qualifiez-vous ?

Je l’ai dit et redit, je n’ai jamais rencontré Tariq Ramadan et n’ai jamais partagé de tribune avec lui. Ce dernier défend des idéaux réactionnaires qui ne sont pas les miens. Cette affaire est un prétexte. Que des hauts responsables politiques, jusqu’au premier ministre, puissent raconter n’importe quoi, mentir et escamoter les termes d’un débat qui devrait être sérieux et exigeant, ce n’est pas à la hauteur.

Pourquoi en décembre 2015 le site d’Ensemble a-t-il relayé un meeting auquel participait M. Ramadan ?

Il s’agissait d’un meeting contre l’état d’urgence dans lequel intervenaient des journalistes du Monde diplomatique, des représentants d’organisations des droits de l’homme et qui avait un objectif parfaitement juste. Ensemble n’a pas souhaité y participer, car, justement, il y avait Tariq Ramadan. Pour autant, dans la salle et à la tribune, nous estimions que nous y comptions de nombreux alliés et c’est pourquoi nous avons mis cette information sur notre site Internet.

Que répondez-vous à M. Valls quand il parle à votre sujet de »capitulations» et d’»ambiguïtés entretenues qui forment le terreau de la violence et de la radicalisation» ?

S’il y a bien une « capitulation » intellectuelle à gauche, elle est au gouvernement, et s’il y a bien des « ambiguïtés », elles sont du côté de l’Etat. Ce dernier tient un prétendu « discours de fermeté » et dans le même temps nourrit Daech[l’organisation Etat islamique] dans ses choix de politique internationale. Le premier ministre prétend chercher la voie de la paix dans le conflit israélo-palestinien en affirmant que la reconnaissance d’un Etat palestinien n’est pas automatique. Il soutient Benyamin Nétanyahou [premier ministre israélien] au moment où un ministre pourtant de droite quitte son gouvernement parce qu’un représentant d’extrême droite, raciste patenté, y entre. 

Je lui pose la question : qui renforce le wahhabisme saoudien et qatari aujourd’hui ? Qui arme les dictateurs du Moyen-Orient ? Qui verse de l’huile sur le feu en menant une guerre secrète en Libye ? Qui préfère soutenir Erdogan[président turc] que les kurdes laïques ?  Ce n’est pas moi. Qui protège les exonérations exorbitantes des capitalistes qataris ? Qui a remis la Légion d’honneur à un prince héritier d’Arabie saoudite ? Recevoir des leçons de morale de responsables politiques qui participent à ces politiques, ça ne m’impressionne pas. 

Comment expliquez-vous ces propos ? 

Manuel Valls a perdu son sang-froid et tente une opération qui est assez claire : il veut substituer la question de l’identité à la question sociale. C’est une manière pour lui d’essayer de masquer l’inanité de sa politique par un tour de passe-passe qui consiste à cliver à l’intérieur de la gauche sur cette question. Se rend-il compte, ce faisant, qu’il épouse l’agenda de l’extrême droite ? Polariser le débat autour de la question de l’identité, c’est un piège inouï pour la gauche.

Nous, nous combattons les replis identitaires que nourrissent les discours et la politique du premier ministre. Je comprends que, ma famille politique et moi, nous lui faisions peur dans ce moment politique où la révolte gronde dans le pays et où nous sommes au bord de la grève générale. Je sollicite un débat public avec Manuel Valls. Où il veut, quand il veut. Pour avoir un vrai débat, non pas à coups de polémiques, d’injures, de mots fourre-tout qui ne veulent rien dire, mais pour aller au fond des divergences.

Propos recueillis par Raphaëlle Besse Desmoulières. Publié sur le site du Monde.fr

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