L’article intitulé « Comment Nantes Révoltée donne le ton des manifs » paru dans Ouest-France le 3 mai 2016 a profondément choqué de nombreux acteurs du mouvement nantais de protestation contre la réforme du Code du travail (éd. Nantes, p. 9). Il a également courroucé les quelques observateurs qui, comme nous, le suivent avec assiduité, y compris en amont des manifestations elles-mêmes.
En effet, cet article très faiblement étayé par des
faits précis et vérifiés sombre clairement dans la diffamation à plusieurs
reprises.
Et plus particulièrement lorsqu’en contradiction flagrante avec sa
photographie d’illustration, il évoque les « chefs » qui se positionnent
systématiquement « trois rangs derrière les plus jeunes qu’ils laissent
s’énerver devant ». Ou pire encore, quand le soin de conclure est laissé
aux bonnes grâces d’« un policier » dont les propos se trouvent
retranscrits sans la moindre vérification journalistique de leur éventuelle
validité.
L’« analyse » (sic) du mouvement social en cours proposée
par ce policier anonyme va jusqu’à expliquer avec certitude que Nantes Révoltée
missionne ses « lieutenants » pour recruter « dans les lycées
des jeunes influençables » aux fins de les envoyer ensuite après formation
« en première ligne face aux forces de l’ordre ». Non seulement ces
propos sont inexacts et donc mensongers, mais leur reprise sans le moindre
contrôle conduit Ouest-France à postuler que la jeunesse qui manifeste
en ce moment serait une jeunesse manipulable et explicitement manipulée
localement par Nantes Révoltée. Ce qui est loin d’être démontré dans l’article
incriminé tant font défaut les constats et les preuves qui permettraient
d’attester sans contestation possible que Nantes Révoltée est bel et bien le
« bras armé de l’ultra gauche », tel que cela est d’ailleurs asséné à
la une de l’édition du 3 mai 2016.
En tant que sociologues de profession ayant suivi les onze manifestations qui se sont tenues à Nantes depuis deux mois au plus près des manifestants jeunes et moins jeunes, des syndicats et des dispositifs policiers, une telle présentation particulièrement erronée du rôle et des activités de Nantes Révoltée ne peut être admise sans réaction de notre part. L’usage d’une rhétorique du récit qui emprunte au registre militaire (« bras armé », « chefs »…) pour créer un effet de réalité propre à stigmatiser le groupe en le rejetant du côté de l’action clandestine et de la manipulation ne saurait à nos yeux suppléer l’absence d’un travail minimal d’enquête journalistique, au sens noble de l’expression.
En tant que sociologues de profession ayant suivi les onze manifestations qui se sont tenues à Nantes depuis deux mois au plus près des manifestants jeunes et moins jeunes, des syndicats et des dispositifs policiers, une telle présentation particulièrement erronée du rôle et des activités de Nantes Révoltée ne peut être admise sans réaction de notre part. L’usage d’une rhétorique du récit qui emprunte au registre militaire (« bras armé », « chefs »…) pour créer un effet de réalité propre à stigmatiser le groupe en le rejetant du côté de l’action clandestine et de la manipulation ne saurait à nos yeux suppléer l’absence d’un travail minimal d’enquête journalistique, au sens noble de l’expression.
Certes, nous ne
disposons pas à ce jour du temps de recul nécessaire pour être en mesure
d’opposer sur le champ une analyse sociologique rigoureuse fondée sur nos
propres observations collectivement réalisées. Nous n’ignorons pas non plus
qu’à la différence des sociologues qui bénéficient d’un temps long pour
développer et solidifier leurs interprétations, les journalistes sont
nécessairement soumis à l’urgence et au temps court du commentaire « à
chaud ».
Pour autant, au regard des contre-vérités identifiées, il nous
apparaît relever de notre devoir professionnel d’analystes du monde social
d’inviter la rédaction d’Ouest-France à davantage de mesure dans le
traitement de l’information et dans le contrôle éditorial des articles qu’elle
laisse paraître sur le thème des manifestations nantaises.
Plutôt que de
s’inscrire dans la perspective simplificatrice d’un improbable repérage des
chefs et des meneurs qui seraient responsables des débordements constatés
« en marge » de ces manifestations, un plus grand sérieux
journalistique ne devrait-il pas déontologiquement s’imposer ? En
commençant, par exemple, par se demander si le propre des groupes du type « anars »,
« autonomes » et autres « déters » qui se renouvellent à
Nantes depuis une trentaine d’années ne serait pas, justement, qu’ils n’ont pas
de « chefs » ni davantage de pratiques explicites et coordonnées de
recrutement ? Si tel était le cas, il y a en effet bien longtemps que la
police et la justice auraient identifié, interpellé et jugé ces
« chefs », preuves judiciaires accumulées à l’appui.
Quoi qu’il en
soit, pour un quotidien dont la devise est « Justice et Liberté », il
nous paraît tout à fait irresponsable d’avoir ainsi proposé aux Nantais une
explication particulièrement réductrice et partiale de la réalité sociale fort
complexe d’un mouvement protestataire multiforme tel celui qu’agrège
aujourd’hui Nantes-Révoltée et ses 20 900 sympathisants déclarés sur Facebook.
Ceci dans le prolongement d’une longue série historique de groupements du même
type qui prospéraient antérieurement dans l’agglomération nantaise alors même
que les fondateurs de Nantes Révoltée n’étaient pas encore nés.
Pour terminer, nous ne manquerons pas de remarquer que la photographie associée à l’article sur le thème sur l’extrême-droite nantaise, également paru en p. 9 de l’édition du 3 mai 2016, s’est attachée à présenter des visages efficacement « floutés ». Juste à côté, celle qui illustrait les propos tenus sur Nantes Révoltée laissait pour sa part apparaître le visage des participants des premiers rangs d’une récente manifestation sans la moindre correction d’image.
Pour terminer, nous ne manquerons pas de remarquer que la photographie associée à l’article sur le thème sur l’extrême-droite nantaise, également paru en p. 9 de l’édition du 3 mai 2016, s’est attachée à présenter des visages efficacement « floutés ». Juste à côté, celle qui illustrait les propos tenus sur Nantes Révoltée laissait pour sa part apparaître le visage des participants des premiers rangs d’une récente manifestation sans la moindre correction d’image.
Ce traitement ouvertement différencié n’a pas manqué, lui aussi, de choquer
profondément ni d’offrir une bien piètre image du métier de journaliste en
confortant de ce fait les représentations spontanées que s’en font nombre des
jeunes protestataires du moment.
Nantes, le 6 mai 2016
Collectif de sociologues nantais atterrés
Voir l’article sur : http://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/nantes-44000/comment-nantes-revoltee-donne-le-ton-des-manifs-4203268
Nantes, le 6 mai 2016
Collectif de sociologues nantais atterrés
Voir l’article sur : http://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/nantes-44000/comment-nantes-revoltee-donne-le-ton-des-manifs-4203268
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