lundi 13 février 2017

Justice pour Théo, par Noël Mamère

Le temps des émeutes est-il revenu ? Quelle que soit l’importance du geste que représente la visite du Président de la République au chevet de Théo, violé par la matraque d’un policier, il ressemble fort à une tentative d’enrayer une extension des révoltes dans les quartiers populaires. Cette visite restera comme le symbole de la totale incapacité de la gauche de gouvernement à réduire le fossé grandissant entre les habitants des quartiers populaires et l’Etat. 

Douze ans après la révolte des banlieues, suite à la mort de Zyed et Bouna, à Clichy-sous-Bois, non seulement rien n‘a changé dans les cités mais un affrontement permanent s’est instauré entre la jeunesse et les policiers. Les scènes de guérilla urbaine sont maintenant devenues monnaie courante. 


Mais ce qui s’est passé avec Théo, survenu quelques mois après la mort d’Adama Traoré, n’est pas une simple bavure policière de plus. Elle cristallise l’humiliation subie par des des dizaines de milliers de jeunes qui se voient interpeller plusieurs fois par semaine, sinon plusieurs fois par jour, pour le simple fait d’être noirs ou arabes, comme le confirme l’enquête conduite par le Défenseur des Droits sur un échantillon de cinq mille personnes. 

Ces contrôles d’identité musclés transforment les territoires en zones d’occupation où une police mal formée, sans objectifs réels, sans lien social avec la population, considère le jeune comme un ennemi intérieur potentiel. 

Quand on entend un représentant de syndicat de policier considérer par exemple que « Bamboula » n’est pas une injure, on comprend le ressentiment des jeunes. Quand le viol caractérisé est requalifié par le parquet comme un « accident », comment ne pas comprendre le sentiment d’injustice et de « deux poids, deux mesures » ? 

Cette situation est la conséquence des démissions successives des gouvernements en place depuis plus de trente ans. Pas seulement en raison de l’abandon de la police de proximité en 2002, par Nicolas Sarkozy. Ce sont des dizaines de lois sur la « sécurité intérieure », l’immigration, l’Etat d’urgence, qui ont transformé les quartiers populaires en des camps retranchés. Cet état d’exception permanent se conjugue avec l’absurde politique de prohibition du cannabis qui crée les conditions d’une économie souterraine maffieuse. 

La montée continue du chômage, atteignant 50 % de la population dans certains quartiers, s’ajoute à la destruction programmée du tissu associatif et à l’abandon des services publics. Peu à peu se crée un espace de relégation profitant aux dealers, aux intégristes, aux sectes évangéliques. 

La confrontation entre des habitants et des policiers qui ont le même âge, tourne au règlement de comptes entre bandes rivales, les policiers étant vécus comme des cow-boys, arrivant à toute vitesse dans leurs voitures pour gazer et humilier les jeunes par des contrôles au faciès sans objet, lesquels s’engagent à leur tour dans une confrontation violente. 

Cet engrenage inexorable n’est pas propre à la France. Elle est quotidienne aux Etats-Unis, entre les policiers blancs et les jeunes noirs et se traduit par des assassinats filmés pour les réseaux sociaux. 

Cette fuite en avant vient d’atteindre une nouvelle étape : A l’Assemblée nationale, le jour où Bernard Cazeneuve s’apitoyait sur le sort de Théo et louait sa modération, la majorité parlementaire et la droite s’apprêtaient à voter une loi scélérate instaurant, de fait, un véritable permis de tuer pour les policiers, confortant ainsi une demande ancienne de cette corporation en faveur de la présomption de légitime défense. On n’a pas vu de députés socialistes, frondeurs, Hollandais, Vallsistes ou autre, s’opposer à ce texte qui aura des conséquences dans les mois qui viennent. 

Le viol de Théo, comme l’agression mortelle contre Adama Traoré, placent les banlieues au coeur de la campagne présidentielle, qui ne fait que commencer. Les réactions des candidats le montrent : Marine Le Pen défend la police par principe, attaquant « les racailles » des cités, qui seraient les seules responsables des conflits urbains. Fillon est à peu près sur la même ligne mais, étant devenu lui-même, « à l’insu de son plein gré », un délinquant de l’élite, il est inaudible. 

Quant à la gauche de gouvernement, c’est silence radio. Comme si, après le renoncement à sa promesse d’un récépissé pour réguler les contrôles d’identité et l’épisode de la déchéance de nationalité, elle était tétanisée. 

Son bilan est désastreux : les pratiques discriminatoires se sont renforcées, les bavures policières sont transformées en système, cautionné par un discours de guerre… Et l’une des dernières lois de cette majorité aura été d’aligner les capacités de riposte de la police sur celles de la gendarmerie ! 

Jamais le décalage entre les discours grandiloquents sur « la République », l’égalité, la citoyenneté et la réalité n’aura connu une telle distorsion. Les « citoyens » en question sont réduits à des populations de seconde zone ; pas de travail, pas d’avenir, un horizon bouché, des quartiers enclavés. 

Comment l’humiliation, « la Hogra » en arabe, mot utilisé par les tunisiens lors du déclenchement du cycle des révolutions arabes, ne se transformerait-elle pas en haine contre tous les symboles de l’autorité, qui n’est plus que de l’autoritarisme ? 

Nous sommes tous concernés par ce qui s’est passé à Aulnay-sous-Bois, parce que le climat instauré depuis les années Sarkozy, prolongé par les années Valls, a transformé le rapport entre la police et la loi. Ce n’est plus la police qui s’adapte à la loi mais la loi qui s’adapte à la police. 

Les jeunes des quartiers ne sont plus les seuls visés, comme l’ont montré la mort de Rémi Fraisse, à Sivens, ou les violences policières répétées dans les manifestations contre la loi Travail. Nous n’avons pas seulement besoin de mesures évidentes, comme la suppression des armes telles que le Taser, le Flash-Ball ou les grenades de désencerclement, et des pratiques telles que les clés ou le placage ventral. 

La dissolution de la BAC ou des Brigades spécialisées de terrain et la restauration de la police de proximité ne suffiront pas. Nous avons besoin d’un projet d’émancipation pour la jeunesse et pour les quartiers populaires, fondé sur une véritable lutte contre les discriminations au niveau de la vie quotidienne ( à l’embauche, dans le logement, dans les lieux de loisirs), sur une politique de discrimination positive pour l’école, un revenu pour tous les jeunes de 18 à 25 ans. 

Mais il faut surtout libérer les énergies démocratiques dans les quartiers. « Pas sans nous », disent leurs habitants, qui n’ont pas de représentants, où le clientélisme sert de viatique pour les rapports avec les municipalités, où n’existe aucune politique d’évaluation des financements. 

Dans les conseils municipaux sont représentés ceux qui votent dans les centre-ville, les quartiers périphériques étant abandonnés à leur sort. Les habitants des quartiers populaires doivent donc s’approprier le pouvoir local dont ils sont exclus. 

L’affaire Théo nous le rappelle : dans les banlieues, le parti de l’indifférence peut vite devenir le parti de l’indignation et celui de la révolte généralisée. Les jeunes manifestants clamaient à Bobigny « Justice pour Théo, pas de justice, pas de paix ». Ils criaient leur soif de dignité et de reconnaissance. Ne pas entendre ce cri venu d’en bas transformera cette révolte en guerre sociale d’un nouveau genre. 

En finir avec l’arbitraire de proximité dans les quartiers est la première condition de la paix civile.

https://blogs.mediapart.fr/noel-mamere/blog/130217/justice-pour-theo

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