Entre violences, insuffisance de moyens et dispositifs inadaptés, les autorités maintiennent les migrants dans une extrême précarité dont les mineurs sont les premières victimes.
Ce vendredi 27 janvier, devant le centre humanitaire de la Chapelle destiné aux hommes migrants primo-arrivants, ils sont quelques-uns à venir dans la rue chercher un petit-déjeuner proposé par le collectif Solidarité migrants Wilson sous des températures avoisinant les moins trois degrés.
La semaine dernière, une vidéo avait tournée sur les réseaux sociaux, provoquant la colère des collectifs de soutien, où l’on voyait une trentaine de migrants tentant désespérément d’ouvrir de force les portes du centre.
Paris sans campement ?
« Ça se passe un peu mieux maintenant », expliquent plusieurs bénévoles. « Depuis l’activation du plan grand froid, de nouvelles places sont ouvertes : dans la bulle pour un accueil nocturne d’urgence, en hôtel et une soixantaine dans un autre espace », explique Ivan, coordinateur d’Utopia 56 Paris, l’association sous convention avec Emmaus notamment en charge de la gestion extérieure du centre, de l’accompagnement des personnes vers les hôpitaux et les hôtels.
Ce dernier espace ouvert en dernière minute, confie une bénévole, est cependant très précaire. « Les personnes finissent par revenir », ajoute-t-elle.
Interrogés sur les violences policières devant le centre ou dans la rue, notamment pour empêcher la reconstitution de campements, les différents bénévoles s’accordent à dire que le récent communiqué de Médecin sans frontières alertant sur les violences régulières a momentanément refroidi les ardeurs policières aux alentours du centre.
Un autre témoignage publié par un parent d’élève révélera cependant l’évacuation particulièrement violente d’un groupe de migrants devant l’école Pajol, le même jour.
Conséquences du manque d’ouverture de nouveaux espaces et de la volonté affichée par la mairie d’un Paris sans campements, des regroupements plus cachés se sont répartis aux alentours du centre, endroits que certains réfugiés pointent vaguement du doigt comme pour en protéger l’emplacement. Ils sont par ailleurs quelques-uns à faire cercle sur les bouches d’aération entre les deux voies rapides du boulevard Ney. « Ils se relayent pour attendre et dormir ici car c’est l’un des deux endroits où il fait chaud », explique Priscille, du collectif Solidarité migrants Wilson.
Des dizaines de mineurs sans protection
Parmi les réfugiés présents ce vendredi matin, Ali, originaire d’Afghanistan, est à Paris depuis un mois et demi. Ce dernier a les traits tirés mais vient de passer sa deuxième nuit en hôtel grâce à Utopia 56. « Je ne rentre pas à l’intérieur », confie-t-il à propos du centre humanitaire. Du haut de ses seize ans, il ne peut solliciter une demande d’hébergement puisqu’il n’est pas majeur. « Les mineurs sont réorientés vers le Dispositif d’évaluation mineurs isolés étrangers géré par la Croix-Rouge, qui refuse cependant près de 80% des demandes des personnes mineures. On en a actuellement douze à l’hôtel qui ont été refusés. Avec d’autres associations comme l’ADJIE, on essaye de faire des recours », explique Ivan.
Il y a une semaine, l’ADJIE, collectif qui assure une permanence d’Accompagnement et de défense des jeunes isolés étrangers, avait publié un communiqué dénonçant notamment le refus de la Croix-Rouge sous l’égide du département de Paris de « mettre à l’abri et de protéger des dizaines de mineurs non accompagnés qui sollicitent une protection au titre de l’enfance en danger ».
À sa permanence près de Jaurès ce lundi soir, ils sont environ une cinquantaine à attendre d’être pris en charge. Beaucoup dorment à la rue, dans des squats ou chez des particuliers puisqu’ils ne peuvent bénéficier des structures d’accueil souvent bondées réservées aux majeurs.
Extrême opacité
D’autres ont eu plus de chance, comme Faza et son cousin, originaires de Guinée, arrivés début janvier, seize ans tous les deux. Refusés à l’enregistrement de leur protection en tant que mineur par le DEMIE après un premier entretien de quinze minutes sans recevoir de décision administrative de non-admission, ils ont dû se tourner à nouveau vers Utopia 56, rencontré devant le centre humanitaire, pour trouver une place en hôtel. Ils y sont restés deux semaines avant d’être finalement hébergés par la mère d’une bénévole.
Après trois tentatives et trois refus, bien qu’il disposait d’extraits de naissance, Faza doit cette fois-ci en passer par le tribunal des enfants pour contourner l’obstruction. Corentin Bailleul, qui l’accompagne, explique : « Le DEMIE est l’unique point d’entrée. Mais comme Faza, ils sont nombreux à se voir refuser l’accès au dispositif alors même qu’ils n’ont pas été mis à l’abri et que leur minorité n’a pas été évaluée.
Quand ils ont la chance d’être évalués, 75% d’entre eux ne sont pas admis. Même en cas d’avis positif du DEMIE, il y a parfois un refus d’admission au niveau du département de Paris. Une partie des avis positifs se transforment alors en décisions négatives » – d’où le chiffre surprenant de 75% de refus. Il revient ensuite à l’ADJIE de saisir le juge des enfants qui accorde en général une protection à 50% d’entre eux.
Alors comment expliquer ce nombre de refus ? Les divers accompagnants de l’ADJIE évoquent l’extrême opacité qui règne autour de ces procédures, qu’il s’agisse du DEMIE ou du Département de Paris, une opacité qui inquiète de nombreuses associations.
Des vérités à taire
Contacté ce lundi, Renaud Mandel, salarié à la Croix-Rouge et délégué syndical, revient d’un déplacement à Châlons-en-Champagne où une éducatrice salariée par l’association La Sauvegarde de la Marne s’est vue mise à pied après avoir témoigné à un journal au lendemain du suicide d’un jeune qui s’était jeté du huitième étage dans un hôtel social [1].
Travailleur social depuis quinze ans, ce drame le plus récent et le musellement des travailleurs sociaux confrontés à des situations de plus en plus extrêmes est, selon lui, une situation inédite et très inquiétante. Il fait également état de ses difficultés avec le DEMIE parisien. Depuis mi-décembre, l’élu et syndicaliste devait s’y rendre pour discuter avec les salariés afin qu’ils puissent s’exprimer sur leurs conditions de travail. Il essuie successivement deux refus, du chef de service puis de la directrice.
Or les conséquences directes de cette opacité et de la non ou mauvaise prise en charge de ces "présumés" mineurs, officiellement en raison du manque d’espace, sont souvent dramatiques. Plusieurs centaines auraient ainsi disparu depuis le démantèlement calaisien.
De même, la clandestinité parisienne à laquelle beaucoup se voient réduits limite considérablement la visibilité de leurs situations. Les réseaux de passeurs « qui ont, pour certains, migré du Nord vers Paris » confie Ivan d’Utopia 56, profitent parfois de ces fragilités [2].
Une situation qui ne ferait que s’aggraver alors que les pouvoirs publics, en période électorale, continuent d’étouffer les scandales qui se succèdent. A en croire différents collectifs et bénévoles, ils seraient nombreux à non seulement arriver à Paris ou retourner à Calais. On me parle « d’une centaine par jour, majeurs et mineurs » confie Ivan.
Notes
[1] « Il y a actuellement 73 jeunes et 4 éducateurs dans un hôtel social où les jeunes sont mélangés à des adultes en situations précaires, souvent alcoolisés. Les conditions d’hygiènes sont terribles. Il n’y a personne le week-end. La police peut entrer dans leurs chambres. Les jeunes ont peur, notamment de se voir expulser et de recevoir une obligation de quitter le territoire français », témoigne Renaud Mandel.
[2] Plusieurs membres associatifs évoquent des cas d’abus notamment sexuels émanant de particuliers qui proposent un hébergement aux mineurs en échange de services d’une autre nature. D’autres parlent de proxénétisme.
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