Face à Jean-Luc Mélenchon, hier 23 février, Pujadas et sa clique ont exécuté tous les pas de leur danse habituelle : Poutine, Cuba et surtout, à toutes les sauces et jusqu’à l’écoeurement, Marine Le Pen. Que l’on soutienne ou non le candidat de la France Insoumise, chacun devrait s’inquiéter que France 2 se risque, pour l’abattre, à faire le jeu du Front National. Retour sur une sale soirée.
Hasard ou connivence, l’émission tombait au bon moment puisque Yannick Jadot venait d’annoncer au journal de 20h qu’il se
retirait de la campagne présidentielle au profit de Benoît Hamon,
concluant par un appel vibrant à Mélenchon : parlons-nous, rejoins la
grande aventure ! Sous-entendu : Mélenchon refuse de parler. Jadot se
mettait ainsi d’emblée au service de la stratégie du PS qui n’a bien sûr
jamais eu l’intention de faire alliance avec Mélenchon – on imagine
l’apoplexie des Valls, Cazeneuve et autres Cambadélis.
Depuis le début,
la mise en scène du rassemblement ne vise qu’à marginaliser Mélenchon en
le faisant passer pour un mégalomane irréductible. Pujadas et Salamé se
font les relais complaisants de cette stratégie mais Mélenchon s’en
tire bien : il lui suffit de souligner que c’est lui qui a fait à Hamon,
par écrit, une proposition précise à laquelle celui-ci n’a pas répondu.
Une lettre « un peu rude » s’empresse de commenter Pujadas.
Le coup ne
porte pas mais Pujadas prévient : « On en reparlera tout à l’heure, vous
verrez ». Il fait référence à l’intervention de Philippe Torreton,
proche de Jadot, dont il s’attend à ce qu’il redouble d’exhortations à
Mélenchon.
Torreton avait visiblement souscrit à la thèse médiatique selon
laquelle le problème réside dans l’égo surdimensionné de Mélenchon :
c’est pourquoi il avait prévu de lui lire une page de Giono sur
l’altruisme, trait caractéristique des grands hommes. Mais Torreton
n’est pas en service commandé : les explications de Mélenchon l’ont
convaincu. Puisque ce n’est pas lui qui empêche le rassemblement, il
devient inutile de l’y exhorter. Pujadas et Salamé ne l’entendent pas de
cette oreille et poussent Torreton à faire la besogne pour laquelle ils
l’ont invité avec une telle impudeur que le public éclate de rire. Un
coup dans l’eau pour les torpilleurs. Pas de panique, il reste deux
cartouches : le binôme Castro/Poutine et surtout l’atout maître, Marine Le Pen.
La séquence Castro/Poutine est introduite par un tour de
bonneteau si grossier qu’on peine à y croire. Mélenchon est invité à
choisir entre trois images : Castro, Poutine et Amnesty International.
S’il avait choisi la première, Pujadas l’aurait bien sûr tancé sur les
violations des droits de l’homme à Cuba. S’il avait choisi la deuxième,
sur leurs violations en Russie. Mais s’il choisit la troisième – ce
qu’il fait – cela revient au même, puisqu’Amnesty International défend
les droits de l’homme. Pujadas commence par accuser Mélenchon de n’avoir
pas d’intérêt pour les droits de l’homme, ce qui est quasi
diffamatoire. Mélenchon proteste et Pujadas d’enchaîner : pourquoi, dans
ce cas, ne condamne-t-il pas Poutine ? Bravo l’artiste ! Pour la
millième fois, Mélenchon expose sa conception des relations entre la
France et la Russie, condamnées à être des partenaires pour préserver
l’équilibre du continent.
C’est à François Lenglet qu’il reviendra d’ouvrir la séquence
lepéniste. Il arrive avec une paire de Nike pour développer un argument
proprement sidérant contre le programme économique de Mélenchon. Ce
dernier veut augmenter les salaires mais, la France ne produisant plus
rien, les Français n’achètent plus que des produits étrangers ; si l’on
augmente les salaires, on ne fera donc qu’augmenter les importations.
Jamais Shaddock n’a aussi bien tiré les conséquences de la
mondialisation ! Il faut, nous dit Lenglet, se faire une raison : pour
préserver la balance commerciale, les Français ne doivent pas acheter
davantage à l’étranger qu’ils ne produisent en France et comme il ne s’y
produit plus rien, ils ne doivent rien acheter. Il faut donc les
maintenir dans la pauvreté pour les en empêcher.
A cela, Mélenchon aurait pu répondre que 80% de l’économie
Française est dans son marché intérieur : on ne va pas au restaurant, ni
ne se coupe les cheveux, ni ne prend le train, ni ne va au cinéma en
Chine. L’augmentation des salaires permettrait donc principalement de
relancer l’économie française, d’autant plus que Mélenchon ne se
contenterait pas d’augmenter les salaires, il développerait une
politique d’investissement dirigée directement vers les TPE/PME : il
prend pour exemple le plan « zéro obstacle » pour les handicapés.
Certes, l’augmentation des salaires ferait également augmenter les
importations de certains produits, mais cette augmentation serait
compensée par la diminution d’autres importations, notamment
énergétiques, puisque la politique d’investissement de la France
Insoumise vise à augmenter l’indépendance énergétique de la France.
Lenglet n’y comprend rien. Navré, il agite sa paire de Nike et lève les
yeux au ciel. Enfin, à court d’arguments, il dégaine sa carte
maîtresse : un comparatif des programmes économiques de Le Pen et
Mélenchon qui sont, dit-il, identiques. Question puissante : « Comment
expliquez-vous ces similitudes ? »
Mélenchon tentera tant bien que mal de montrer que Le Pen s’est
contredite d’innombrables fois sur les questions économiques, ce qui
n’est pas surprenant. Le programme de Le Pen vise à accomplir une
improbable quadrature du cercle : emprunter des mesures à la gauche pour
séduire les classes populaires tout en conservant les mesures de droite
qui correspondent à son électorat naturel de commerçants et petits
patrons. Eh oui M. Lenglet, ce n’est pas difficile à comprendre : si les
programmes de Mélenchon et Le Pen se ressemblent superficiellement,
c’est parce que vous avez choisi dans le second ce qu’elle a copié sur
le premier. Ce que vous ne dites pas, c’est que Le Pen, prisonnière de
son électorat de droite, ne pourrait jamais annoncer qu’elle financera
ses mesures sociales par une révolution fiscale : elle est donc réduite à
dire qu’elle les financera par la suppression de l’aide médicale aux
étrangers, par leur exclusion des minima sociaux et l’exclusion de leurs
enfants des écoles. Or cela représente des sommes dérisoires comparées
aux dépenses qu’elle annonce. Dites-moi : quand avez-vous entendu pour
la dernière fois un journaliste pointer cette incohérence dans le
programme du Front National ? Pour moi – et je suis assez masochiste
pour regarder les interviews de Le Pen et Philippot – j’ai beau fouiller
dans ma mémoire, je n’en ai aucun souvenir.
Lenglet ne voulant rien comprendre, Mélenchon prend le problème
par un autre bout : Quand bien même Le Pen et lui auraient le même
programme économique, et alors ? La différence fondamentale entre Le Pen
et Mélenchon n’a jamais tenu à l’économie mais à la conception de la
République. L’une est l’héritière idéologique d’un pétainiste
tortionnaire de l’OAS et défend une vision ethniciste de la France
fondée sur un racisme qu’elle voile juste assez pour que ses partisans
le devinent mais que les journalistes ne l’en accusent pas. L’autre est
l’héritier de la conception politique de la nation née de Révolution
française, fondée sur l’universalité des droits humains. C’est ce que
finira par rappeler Mélenchon à un Lenglet qui ne semble trouver à cela
aucune importance. C’est que pour Lenglet comme pour toute la clique des
libéraux hallucinés qui règnent sur les radios et les télés, une seule
chose compte : êtes-vous pour le libre-échange ? Aller contre les lois
naturelles de la mondialisation, c’est un crime d’une telle gravité
qu’aucune différence éthique entre ceux qui les contestent n’a plus
d’importance à leurs yeux.
Une grossière inexactitude dans le parallèle établi par Lenglet
révéla son idologie dans toute sa pureté : selon lui, Mélenchon comme
Le Pen veulent faire racheter la dette de l’Etat
par la Banque de France. Mélenchon le corrige. C’est vrai de Le Pen qui
est décidée à sortir de l’euro ; pour sa part, il veut changer le
mandat de la Banque Centrale Européenne. Lenglet s’écrie : « C’est la
même chose ! » La Banque de France et la BCE, c’est la même chose ? Bien
sûr que non puisque changer le statut de la BCE doit permettre de
sauver l’Europe, tandis que se rabattre sur la Banque de France n’a de
sens que dans le contexte d’une sortie de
l’euro. C’est en quoi Mélenchon diffère de Le Pen : il a un plan A et un
plan B, elle n’a qu’un plan de sortie. C’était si absurde que j’ai mis
du temps à comprendre. En définitive, peu importe à Lenglet de quelle
banque on parle : ce qui lui fait pousser les hauts cris, c’est la planche à billets.
Le diable de Lenglet, c’est la création monétaire qui permettrait
l’investissement public, libérerait les Etats de la tutelle des marchés
et provoquerait peut-être même une légère inflation qui aurait pour
saine conséquence de réduire la valeur réelle de la dette – mais aussi
du capital, au service duquel s’exprime M. Lenglet.
Après Lenglet, entre en scène Karim Rissouli dont la
détermination à promouvoir Le Pen fut évidente lorsque Mélenchon fut
confronté à madame Valérie Gloriant, restauratrice qui dit avoir fait
faillite à cause des migrants. Le choix de cette française lambda ne
devait rien au hasard puisqu’elle était déjà apparue à la télévision
dans un reportage sur les électeurs frontistes. Malheureusement, madame
Gloriant, ayant raconté son histoire, omet l’essentiel ! Cela ne va pas.
Karim Rissouli prend donc sur lui de le révéler : de parents
communistes, madame Gloriant s’apprête à voter Le Pen.
Il faut mesurer tout ce que la pression exercée par Karim
Rissouli a de choquant. Il fut un temps, le Front national était un
parti tabou, pour l’excellente raison que c’est un parti fasciste. Ceux
qui votaient pour lui n’osaient guère s’en vanter et cette autocensure
réduisait la capacité du Front national à s’étendre. Il restait un peu
de cette pudeur à Mme Gloriant qui le dit elle-même : son cœur n’est pas
avec le Front national. Elle avait envie d’interpeller Mélenchon mais
n’était pas venue faire la promotion de Le Pen. Mais Karim Rissouli s’en
charge : allons, dites-le que vous votez Le Pen ! N’ayez pas honte !
C’est humain, trop humain, dans les circonstances catastrophiques où
nous vivons ! Qui n’en ferait pas autant à votre place ? M. Rissouli,
chacun a droit à ses convictions, quelles que soient ses origines. Je ne
devrais donc pas vous le dire mais il faut que ça sorte : je trouve
désolant de voir un Arabe passer les plats au Front National. Savez-vous
que depuis le Brexit, les racistes Anglais se croient tout permis et
cassent du Pakistanais au coin des rues? Imaginez-vous ce qui attend les
Français d’origine maghrébine si Le Pen l’emportait?
Je veux bien croire que ni Karim Rissouli, ni Léa Salamé, ni
David Pujadas ne votent pour le Front national. Je comprends bien que le
but de l’émission était de torpiller Mélenchon – Karim Rissouli lui
refera pour conclure le petit numéro du rassemblement que Mélenchon
qualifiera à juste titre de comédie. Il faut refermer le cercle de la
raison : Fillon, Macron et Hamon – car tout le monde sait bien qu’Hamon
ne renégociera pas les traités européens et qu’ayant ainsi échoué à se
donner les marges de manœuvre nécessaires à une politique écologique et
sociale, il finira en piteux avatar de François Hollande. En un sens,
qu’une telle énergie soit déployée contre le candidat de la France
Insoumise est plutôt bon signe. Mais en utilisant le Front national
comme arme contre Mélenchon, Pujadas et sa clique jouent un jeu
dangereux : ils contribuent à l’invisibilisation de son fascisme et à la
banalisation du racisme et du repli nationaliste qu’ils prétendent
combattre.
Et tout ça pour sauver l’Europe du libre-échange ! Mais ils ne
se rendent pas compte que l’Europe qu’ils défendent est, sauf
transformation profonde, indéfendable. Le Brexit ne leur a pas fait
comprendre que plus personne n’accepte de se rendre à la fatalité de la
mondialisation malheureuse. Ils ne réalisent pas qu’il n’y a plus
aujourd’hui, à plus ou moins long terme, que deux possibilités : voir
l’Europe radicalement refondée par la gauche ou la voir dissoute par
l’extrême droite. Si la seconde est si prêt de l’emporter, leur
aveuglement en est une cause majeure.
https://blogs.mediapart.fr/olivier-tonneau/blog/240217/conjurer-melenchon-par-le-pen-le-jeu-dangereux-de-pujadas-et-sa-clique
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