mardi 21 février 2017

De quoi Macron est-il le nom? par Noël Mamère

Le projet d’En Marche est donc tout à fait nouveau dans la société française : créer un bloc social regroupant les groupes sociaux qui veulent s’insérer dans le flux de la mondialisation économique, financière, technologique, géopolitique du monde. 

Emmanuel Macron est la nouveauté de cette élection présidentielle. Il surprend, car il refuse de se plier à la logique des partis, comme à celle de la présentation de programmes. Pour lui, seul compte le projet et son  projet,  c’est son message ! Et comme le disait Mac Luhan, « le médium, c’est le message ». Et, dans ce cas, qui est le media ? Rien d’autre que lui-même, son image et son personnage. 

Mais alors, que représente-t-il et, surtout, qui ? En fait, cet OVNI politique n’a pas les mêmes gènes que François Bayrou, comme beaucoup le pensaient, à commencer par moi-même. Ce dernier est un notable centriste pur sucre issu de la démocratie chrétienne. Son ni droite ni gauche n’est autre qu’une sorte de centre droit flirtant avec le centre gauche. Il respecte le jeu traditionnel des partis, s’inscrit dans la lignée du MRP, du Centre Démocrate, de l’UDF, en cherchant à rassembler les classes moyennes dans une France polarisée entre une gauche représentant les intérêts des salariés et une droite défendant ceux du patronat.


Rien de tel chez Emmanuel Macron. Pour lui, la droite et la gauche relèvent toutes deux d’un cadre national dépassé ; Il surplombe la politique française du haut de son univers à lui : l’élite mondialisée et nomade. Il est l’expression d’un groupe social en extension, qui se vit dans le flux de la mondialisation, celui d’une hyper classe, qui vit ici et ailleurs, dont l’objectif premier n’est plus la possession de biens matériels, mais d’informations, de location de temps. Dans un tel univers, l’Etat compte peu, car ce n’est plus lui qui décide de la vie quotidienne des populations, hormis sous l’angle sécuritaire. Toutes les fonctions sociales, redistributives, culturelles de cet Etat sont considérées comme des vieilleries, appartenant au passé d’une illusion, l’Etat-Nation, né de la Révolution française.

Emmanuel Macron vit dans espace déterritorialisé, entièrement structuré par le marché. Dès lors, on comprend qu’il peut avoir des positions détachées sur l’Histoire coloniale d’un Empire disparu depuis 1962. La Guerre d’Algérie et la décolonisation n’ont pas structuré son histoire personnelle. Il peut en parler à la manière d’un commentateur hors-sol, qui considèrerait une période lointaine. Il se trouve que, si nous pouvons nous retrouver d’accord avec lui sur ce point - même s’il considérait les effets « positifs » de la colonisation il y a encore quelques semaines - cette vision non conformiste se heurte à une France où ces questions sont exacerbées, ravivant ainsi des expériences intimes, douloureuses chez les pieds noirs ou les harkis, ou encore chez les jeunes issus de l’immigration maghrébine. Cette France-là  ne vit pas dans le même monde que Monsieur Macron. 

Le projet d’En Marche est donc tout à fait nouveau dans la société française : créer un bloc social regroupant les groupes sociaux qui veulent s’insérer dans le flux de la mondialisation économique, financière, technologique, géopolitique du monde. 

Comme jacques Attali, le mentor  d’Emmanuel Macron, l’écrit depuis une trentaine d’années dans la plupart de ses ouvrages sur le futur,  ce bloc social est composé de sujets et d’objets nomades. Dans « une brève histoire de l’avenir », dans le  « dictionnaire du XXIème siècle », dans « une histoire de la modernité », comme dans « Lignes d’horizon »,  Jacques Attali  a abondamment décrit ce monde nouveau, empathique à souhait, mis en musique à chacun de ses meetings par le télévangéliste Macron.

Car il y a toujours des gagnants et des perdants dans cette société de l’empathie et de la fraternité : d’un côté, les sujets nomades, les maîtres, et de l’autre, les objets nomades que sont les précaires, ces migrants permanents… Et au milieu, l’immense majorité vivra dans le cocooning, c’est-à-dire des sédentaires, vivant à la fois dans les espérances d’un nomadisme de luxe et dans la hantise de basculer dans le nomadisme de la misère. 

Quand Emmanuel Macron en appelle à la jeunesse des banlieues, dont il pense que la seule aspiration est de devenir milliardaire, le leader d’En Marche ne fait qu’expliciter son projet de société : l’ubérisation, qu’il présente comme une chance et non comme un cauchemar. Voilà donc l’avenir qu’il propose à la société française : La marchandisation du monde dans tous les domaines, de la santé aux prisons, en passant par la culture, l’écologie, les retraites, le travail ; la privatisation du social, du mental, de l’environnemental. Plus besoin de transports en commun, on a les cars Macron, Uber et Blablacar. Plus besoin de petits commerces, Amazone et Ebay nous procurent livres, vêtements, meubles et tout ce dont nous avons besoin à domicile ; finies les industries hôtelières, Rbnb nous garantit un toit. Pourquoi faire appel à des artisans pour nous dépanner ou rénover notre habitation, puisque nous avons des plateformes spécifiques, telles  Hellocasa, Mesdépanneurs, Allomarcel ? Les plateformes numériques sont supposées faire office de lien social et politique. En Marche s’est organisé sur ce modèle, contribuant ainsi à « ubériser » la politique. Personne n’interroge à gauche cette vision de l’avenir. Parce que nous n’avons ni un  Jacques Ellul, ni un Walter Benjamin, ni un Herbert Marcuse ou un Guy Debord pour critiquer cet ersatz de civilisation qui se profile sous nos yeux.

On m’objectera que Trump, Erdogan, Poutine, Xi Jinping, représentent des Etats-nation revendiquant haut et fort leur souveraineté. Je n’en suis pas si sûr. En fait, tous ces chefs d’Etat autoritaires sont des forts en gueule qui veulent imposer un ordre dans des sociétés profondément divisées, fragmentées, menacées par la mondialisation. Ils jouent avec l’identité nationale mais ils sont l’expression de logiques qui s’organisent hors du cadre national. En effet, les multinationales ont besoin de gérants fiables pour garantir leurs parts de marché. Ni plus, ni moins. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’Emmanuel Macron est un défenseur acharné de l’Europe telle qu’elle est. Il ne veut ni de la renégociation des Traités, ni d’une Europe sociale et écologique. Dans ses meetings, il fait applaudir l’Europe de la Commission, sans vouloir changer le cadre de la concurrence libre et non faussée qui impose les travailleurs détachés, la baisse des salaires et le libre-échange avec le reste du monde.

Emmanuel Macron a compris avant tous les autres politiciens que la politique intérieure française n’existera plus en tant que telle, mais qu’elle dépendra de son interconnexion avec le marché mondial. De fait, comme il l’affirme, il est hors système car pour lui le « système » est cette cour de récréation bien française où l’on s’offusque du million d’euros de la famille Fillon sans se soucier des 80 milliards d’évasion fiscale des sociétés du CAC 40 ou des GAFA.

Au printemps 2016, des centaines de vidéos ont été produites par les internautes, sous la bannière « @Onvautmieuxqueça ». Accepterons-nous le choix entre un postfasciste assumé et un nomadisme déterritorialisé ou valons- nous mieux que ça ? Voilà l’enjeu, recouvert aujourd’hui par le bruit sondagier et médiatique.

 https://blogs.mediapart.fr/noel-mamere/blog/200217/de-quoi-macron-est-il-le-nom

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