mardi 14 juin 2011

Notre Dame des Landes : un projet à contre-courant de la modernité


Nous vous proposons ci-dessous la lecture d'un article de notre camarade Benoit Borrits, animateur de la commission économique des Alternatifs. Cet article est paru dans la lettre des élus Alternatifs et des acteurs locaux du mois de mai.


Historique du projet


Le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes remonte à 1974. Il s'agissait à l'époque de permettre le décollage et l'atterrissage du Concorde. A cet effet, le Conseil général a réservé 1225 hectares de terres agricoles dans une zone d'aménagement différé (ZAD). Paradoxalement, cette décision permettra de conserver à cette zone un caractère de bocage traditionnel protégé des excès du remembrement. Compte tenu du succès commercial de cet avion, ce projet sera abandonné très rapidement.


L'actuel aéroport de Nantes, dénommé Nantes-Atlantique, a été ouvert avant guerre. Situé aux abords de la ville, cet aéroport dessert actuellement 3 millions de passagers par an, ce qui en fait le 7ème aéroport de France par la fréquentation.


Le projet de Notre-Dame-des-Landes a été relancé au début des années 2000 par le Conseil Général de Loire-Atlantique et Nantes Métropole, dans l'objectif de créer un aéroport du Grand Ouest qui, outre Nantes, desservirait Rennes, Angers et l'ensemble de la Bretagne. Avec ce projet, ce sont 2000 hectares de terres agricoles qui sont condamnées à disparaître.


A la demande des associations, un débat public est lancé en 2003 qui a démontré la non-saturation de l'aéroport de Nantes-Atlantique. Malgré cela, l'Etat a décidé de maintenir le projet. Fin 2006, celui-ci est soumis à enquête publique. En avril 2007, la commission d'enquête émet, à 5 voix sur 7 un avis favorable tout en soulignant son caractère de «pari sur l'avenir» qui représente «un lourd tribut pour l'environnement, un lourd tribut pour l'agriculture». Le 9 février 2008, François Fillon, premier ministre, Jean-Louis Borloo, ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables signent le décret déclarant d'utilité publique les travaux nécessaires à la réalisation de l'aéroport. Un recours en annulation est déposé auprès du Conseil d'Etat par les opposants, lequel sera rejeté durant l'été 2009 sans aucune argumentation. Le 29 décembre 2010, l'Etat publie le décret approuvant la concession de service public passée entre Vinci et l'Etat pour un période de 55 ans comprenant la construction du nouvel aéroport de Notre-Dame-des-Landes, l'exploitation de l'aéroport de Nantes-Atlantique puis celle du nouvel aéroport.


La première opposition provient évidemment des villageois et agriculteurs de Notre-Dame-des-Landes, de Vigneux-de-Bretagne et des environs, qui se sont regroupés dans l'ACIPA (Association Citoyenne Intercommunale des populations concernées par le Projet d'Aéroport) et l'ADECA (Association Des Exploitants agricoles Concernés par le projet d'Aéroport). Ceux-ci ont réussi à réunir un large cercle de sympathisants allant au-delà des associations écologistes. Le réseau Reclaim The Fields a installé cinq nouveaux agriculteurs sur des terres en friche. A noter la présence dans la mobilisation de nombreux pilotes de Nantes-Atlantique, ainsi que les prises de position de 518 élu-e-s de tous bords qui se sont regroupé-e-s dans un Collectif d'Elu-es Doutant de la Pertinence de l'Aéroport (CEDPA).


La ligne de partage entre promoteurs et opposants de ce projet n'est nullement le traditionnel axe gauche-droite. Du côté des partisans, nous trouvons le PS mais aussi l'UMP et la fédération 44 du PCF. Du côté des opposants, si nous retrouvons les forces politiques développant un discours écologique (EELV, Les Alternatifs, le Parti de gauche, le NPA, les décroissants), mais aussi le Modem, Debout la République et de nombreux membres du PCF.


Eléments d'un débat


Les promoteurs du projet se sont réfugiés sur toute une série d'arguments pour justifier la nécessité et l'urgence de ce projet.


Aéroport de Nantes-Atlantique surchargé


Les collectivités locales soutenant le projet argumentent qu'avec 4 millions de passagers par an, seuil qui devrait être atteint à l'horizon de 7 ans, l'aéroport de Nantes-Atlantique serait surchargé et inadapté. Dans la réalité, avec une piste de 2,9km, l'aéroport actuel pourrait aisément absorber une fréquentation trois fois supérieure comme en témoignent les aéroports de Genève ou de Gatwick (Londres). La seule surcharge concerne les équipements aéroportuaires. L'essentiel de la croissance concerne les vols charter et les compagnies low-cost. Le parking est effectivement rapidement plein mais celui-ci ne comporte pas d'étage : rien n'interdit donc de doubler ou tripler sa capacité sans avoir à déménager l'aéroport. De même, dans l'hypothèse d'une augmentation du trafic aérien, rien n'interdit de prolonger l'aérogare pour créer des rampes d'accès additionnelles. Une simple visite de Nantes-Atlantique permet de comprendre aisément que cet aéroport est plutôt calme comparé à Orly, Roissy, Nice ou même Lyon Saint-Exupéry.


Le bruit et la sécurité


Le positionnement de la piste de Nantes-Atlantique suppose le survol de Nantes. De ce point de vue, les promoteurs du projet font valoir que le déménagement de cet aéroport épargnera des nuisances à l'agglomération de Nantes. Sur la question du bruit, les dernières habitations de l'agglomération se situent à 1,6 km de l'extrémité de la piste : cet aéroport n'est donc pas enclavé dans la ville comme cela a parfois été suggéré. De plus, le trafic est loin d'être incessant comme cela peut être le cas dans les grandes capitales et les habitations concernées ont déjà été insonorisées suite au combat des riverains. A noter qu'aucune association de riverains de Nantes-atlantique ne s'est prononcée en faveur du déménagement à Notre-Dame-des-Landes.


En matière de sécurité, on classe les aéroports en trois catégories de A à C. La catégorie C nécessite une formation spéciale des pilotes pour pouvoir atterrir. Il se trouve que l'aéroport de Nantes-Atlantique est classé en catégorie A, celle qui ne pose aucun problème particulier.


Si le survol de Nantes est néanmoins discutable, il est bon de savoir qu'une autre piste orientée à 90° par rapport à l'existante pourrait être réalisée (elle existait durant la guerre) sans aucune démolition de bâtiment, la zone aéroportuaire étant suffisamment grande. Une telle solution permettrait d'éviter le survol de toute agglomération. Plutôt que de reconstruire un nouvel aéroport, pourquoi cette solution, plus économe, n'est-elle pas envisagée ?


L'écologie


Nous atteignons ici le comble de la tartuferie politique. Le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes se veut un projet écologique avec un bâtiment à basse consommation et à énergie positive. Le concessionnaire, Vinci, prévoit un éco-musée en bordure d'aérogare, un système d'AMAP destiné aux salariés dans lequel les agriculteurs locaux pourront écouler la production... Dans la vidéo de promotion du projet Vinci, même les guichets de l'aérogare ont été peints en vert !


Pourtant aucune comptabilisation des émissions grises de gaz à effet de serre (celles issues de la construction de ce nouvel aéroport) n'a été réalisée. Pire, cet aéroport se situera à une vingtaine de kilomètres de l'agglomération et aucun moyen de transport ferroviaire n'est prévu (sauf dans la fiction vidéo de Vinci). Ce sont des déplacements routiers incessants de salariés et d'usagers qui sont donc à prévoir, déplacements fortement générateurs d'émission de gaz à effet de serre.


Enfin, ce projet aboutit à la perte irrémédiable de 2 000 hectares de terres agricoles dans un bocage exceptionnel. Une telle décision pourrait sembler en contradiction avec les dispositions du Grenelle de l'environnement qui gèle toute construction d'infrastructure routière ou aéroportuaire au nom de la préservation des terres. Là encore, les collectivités territoriales favorables au projet ont un joker absolument inouï : ce n'est pas une « construction » d'aéroport mais d'un « déplacement ». Mais alors, pourquoi donc changer le nom de l'aéroport de Nantes qui deviendra celui du Grand Ouest ? On pourrait aussi penser que l'espace de Nantes-Atlantique sera récupéré pour une autre utilisation. Et bien non : Airbus, présent sur place, continuera d'utiliser la piste pour des essais !


Augmentation du trafic aérien ?


La seule justification plausible pour défendre le «déplacement» de cet aéroport est donc une prévision d'augmentation. Le business plan de Vinci prévoit ainsi que le cap des 9 millions de passagers sera atteint en 2051.


Au-delà du choix de société induit par ce projet, beaucoup d'éléments sont de nature à douter d'un triplement du nombre de passagers en quarante ans, ne serait-ce que la proximité du pic pétrolier, moment où la production de pétrole commencera à décroitre du fait de l'épuisement des réserves existantes. Pour de nombreux experts, nous aurions déjà atteint ce pic en 2010. D'autres le situent dans les cinq prochaines années et personne ne s'aventure au-delà de dix ans. Anticipant l'épuisement total des réserves de pétrole, ce pic aura pour effet une augmentation forte du prix des carburants. L'Organisation de l'Aviation Civile Internationale (OACI) prévoyait une augmentation annuelle du trafic aérien de 1,8% à 3,2% avec un baril à 90 dollars. Qu'en est-il avec un baril à 150 dollars ? Cette augmentation future des prix du carburant est tellement évidente que les compagnies aériennes achètent celui-ci avec 5 ans d'avance sur des contrats à terme. Il y a quinze ans, les carburants représentaient 10% des coûts des compagnies aériennes. Aujourd'hui plus de 30%. Inutile de dire que les compagnies à bas coût et les charters seront les premiers à souffrir de cette évolution, c'est-à-dire justement les segments qui fondent la croissance actuelle de Nantes-Atlantique.


Au final, qui va payer ?


En sus de la construction d'une route de desserte pour le nouvel aéroport qui coûtera 81 M€, l'Etat et les collectivités territoriales apportent une subvention de 165 M€ pour équilibrer et garantir un taux de rendement de 12% pour les fonds propres apportés par Vinci:


L'Etat a confié à Vinci la construction et l'exploitation de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes dans un contrat de concession de service public. Ces contrats ne sont pas nouveaux et datent du XIXe siècle;: ils ont notamment permis de construire les chemins de fer et le métro parisien. Dans ce cadre, le contractant prenait le risque de l'exploitation et l'histoire nous a montré des faillites retentissantes (par exemple, la compagnie parisienne du Nord-Sud). Si formellement, le contrat entre Vinci et l'Etat est une convention de concession de service public, son article 81 permet au contractant de sortir si «le bouleversement de l'équilibre économique de la concession se prolonge ou est de nature à se prolonger nécessairement plus de douze mois». En clair si les chiffres, essentiellement conditionnés par l'évolution du nombre de passagers, ne permettent pas à Vinci une rentabilité de 12% sur ces fonds propres, l'Etat devra lui rembourser le montant des fonds apportés par les actionnaires et les prêts bancaires associés, ce qui peut représenter une somme avoisinant les 300 millions d'euros.


Nous avons ici un contrat bâtard, qui pourrait s'apparenter à un Partenariat Public-Privé (PPP) dans lequel l'Etat s'engage sur une longue durée à payer des loyers : ici l'Etat garantit un plan d'affaires qui assure à Vinci un rendement financier. Cependant et à la différence du PPP, si ce plan d'affaires n'est pas tenu, l'Etat est immédiatement endetté: une forme nouvelle de hors-bilan pour les comptes publics ? Non seulement, ce projet a détruit 2000 hectares de terres cultivables mais il faudrait en plus que les générations futures payent la note?


Un projet à contre-courant de la modernité


Le montage de ce contrat est le témoin le plus accusateur de l'incertitude de ce projet et donc de son côté mégalo-maniaque décalé des réalités. Si l'évolution du trafic aérien était si évidente, Vinci, à l'image de ses prédécesseurs du siècle dernier, se serait engagé, au moins de façon partielle : il n'en est rien. C'est sans doute ce qui explique que les opposants se situent bien au-delà des cercles écologiques traditionnels.


A l'heure où la priorité doit être donnée à l'agriculture de proximité et à la protection des terres agricoles, ce projet condamne irrémédiablement 2000 hectares supplémentaires. A l'heure où les émissions de gaz à effet de serre doivent être réduits d'urgence, la construction et le transport induit par ce projet les augmentent. Pire, ce projet n'est tenable économiquement que si le transport aérien est multiplié par trois en l'espace de quarante ans. Dans le contexte de la nécessaire reconversion écologique de nos modes de production et de consommation, ce projet doit être considéré pour ce qu'il est: un projet issu du passé imposé en plein XXIe siècle.
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8, 9 et 10 juillet 2011 : Tous ensemble à Notre-Dame-des-Landes pour un autre choix de société ! Pas de nouvel aéroport, ni à Nantes, ni ailleurs !


La coordination des opposants au projet d'aéroport, composée de 35 associations et mouvements politiques et le CEDPA se sont constitués le 19 février 2011 en un Collectif national pour l'abandon du projet d'aéroport, dans la perspective de l'élection présidentielle de 2012.


Le collectif national rappelle que ce projet d'aéroport va à l'encontre du Grenelle de l'environnement et du défi de ce siècle : lutter contre le réchauffement climatique et rendre une justice sociale en octroyant les fonds de ce projet pour la santé, l'éducation...


http://ete-2011-resistance-ndl.blogspot.com

- Benoit Borrits publie également un long article "Aéroport, un plan béton" dans le numéro de juin du mensuel Regards, dans tous les bons kiosques.

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