Hervé Kempf (Reporterre)
jeudi 19 juin 2014
La ministre
de l'écologie, Ségolène Royal, a présenté mercredi 19 juin les grandes
lignes du projet de transition énergétique - mais pas le texte lui-même.
Reporterre le publie ce jour. Derrière les mots creux de la ministre, une réalité émerge : EDF reste maître, pour l’essentiel de la politique énergétique du pays.
Le projet a été présenté à la presse par la ministre de l’Ecologie
Ségolène Royal, mais seulement sous la forme d’un dossier de presse. Les
parlementaires eux-mêmes n’ont pas le texte. Jean-Paul Chanteguet,
président de la Commission du développement durable de l’Assemblée
nationale, s’en est étonné dans un communiqué : « Une
conférence de presse ne peut remplacer un projet de loi. Le président
de la commission du développement durable attend donc avec impatience le
dépôt sur le bureau de l’Assemblée nationale de ce texte ».
Reporterre est heureux d’offrir à la représentation nationale le texte du projet.
On peut regrouper les mesures qu’il préconise en quatre volets : l’annonce de grands objectifs énergétiques, les mesures d’économies d’énergie, la position du nucléaire, les énergies renouvelables
Les grands objectifs
Réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % en 2030 par rapport à 2020 ;
diminuer de 30 % notre consommation d’énergies fossiles en 2030 ;
ramener la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % en 2025 ;
porter en 2030 la part des énergies renouvelables à 40 % de l’électricité produite ;
diviser par deux la consommation finale d’énergie d’ici 2050.
Étrangement, ces objectifs paraissent en retrait de la loi sur l’énergie de… 2005, qui fixait comme objectif la diminution de « 3 % par an en moyenne les émissions de gaz à effet de serre de la France » et « une division par quatre ou cinq de ces émissions pour les pays développés ».
De surcroît, Mme Royal a refusé de répondre à la question posée par Reporterre sur l’évolution de la consommation d’électricité, prétendant qu’il s’agissait d’une querelle de chiffres. On verra qu’il n’en est rien, et que cet enjeu est crucial.
Les économies d’énergie
Ce point est mis en avant avec force, et plusieurs dispositifs sont prévus pour « accélerer la rénovation thermique des logements » :
allègement fiscal de 30 % pour les travaux de rénovation énergétiques engagés d’ici fin 2015 ;
n’ont pas le texte. Jean-Paul Chanteguet, président de la Commission du développement durable de l’Assemblée nationale, s’en est étonné dans un comm
relance de l’éco-prêt à taux zéro ;
mécanisme de « tiers financeur » pour faire l’avance du coût des travaux aux particuliers.
Mais si ces dispositions paraissent un pas dans le bon sens, elles sont insuffisantes. Les professionnels de la Coalition France pour l’efficacité énergétique ne cachaient pas, au téléphone, leur surprise devant le texte du projet de loi, qualifié de « catastrophique pour l’efficacité énergétique ». Les motifs de mécontentement émanent de diverses dispositions techniques dispersées dans le texte, et par lesquelles les professionnels se sentent oubliés.
Deux préoccupations émergent :
le projet met l’accent sur la rénovation des logements, alors que les possibilités d’économies dans le tertiaire, qui seraient très importantes et moins coûteuses, sont oubliées ;
il donne la main sur l’accès au réseau à ERDF, la filiale d’EDF, alors que le coût en est jugé exagéré (générant des recettes indues pour EDF) et que les conditions de son fonctionnement font l’objet d’un vif contentieux, encore marqué par une décision récente de la Cour administrative d’appel de Nancy.
En résumé, les professionnels de l’économie d’énergie jugent que le texte donne beaucoup trop de pouvoir à EDF tant dans le contrôle des réseaux (et des prix) qu’en aval dans la mise en oeuvre des mesures. Dans un courriel dont Reporterre a pu avoir connaissance, ils soulignent que cette situation comporte le risque de « la disparition sur le sol national d’un outil industriel ».
Par ailleurs, le projet de loi contient une disposition étonnante dans son article 8 : la possibilité de sanctionner les personnes qui refuseraient le compteur électrique Linky, promu par EDF - un compteur jugé dangereux pour son atteinte potentielle à la liberté, et dont l’efficacité pour économiser l’énergie est loin d’être prouvée.
L’énergie nucléaire
Mme Royal refusait de répondre à la question sur la consommation d’électricité pour une bonne raison : dans l’esprit des nucléaristes et de leurs alliés au gouvernement, on pourrait avoir une baisse de la consommation globale d’énergie et une part plus importante des renouvelables sans baisser la valeur absolue du parc nucléaire - dont on annonce qu’il restera « plafonné » à 62 gigawatts, soit à sa valeur actuelle. La condition pour permettre ce maintien du parc est l’augmentation de la consommation d’électricité.
Et celle-ci est fortement soutenue par le texte de Mme Royal, qui promeut la voiture électrique par nombre de dispositions extraordinaires - alors que les transports en commun sont absents du texte.
L’Etat n’a pas non plus voulu reprendre la main sur les décisions d’EDF, dont il détient pourtant 84 % des actions. Pour assurer la baisse de la part du nucléaire dans la production d’électricité (qui n’induit pas mécaniquement, donc, la diminution du parc nucléaire), on passera par un système compliqué de Programmation pluriannuelle de l’énergie, qu’EDF devra respecter, notamment parce que le représentant de l’Etat au conseil d’administration y aura un droit de veto (comme si, avec 84 % des parts, il ne l’avait pas déjà !). Ce système satisfait les députés EELV Denis Baupin et Ronan Dantec, comme ils l’ont indiqué à la presse mercredi après-midi, mais pas Michèle Rivasi, députée Verte au Parlement européen, qui écrit dans un communiqué que « le projet de loi actuel ne peut satisfaire les écologistes sur le nucléaire ».
Au demeurant, Mme Royal a été claire : « Nous ne sortirons pas du nucléaire, ce n’est pas le choix qui est fait. C’est grâce à l’énergie nucléaire aujourd’hui, à la sécurité qu’elle apporte, que nous pouvons accélérer et faire sereinement la transition énergétique ».
En fait, comme le juge dans un communiqué Delphine Batho, ex-ministre de l’Ecologie qui avait été limogée en 2013 sous la pression des lobbies, « on assiste à un enterrement de première classe : celui de l’engagement important pris par François Hollande concernant la diversification du bouquet énergétique et la reprise en main par l’Etat de la politique nucléaire (…). Le nucléaire est en fait la clef de voûte de la politique énergétique de la France. Si on ne change rien au sur le nucléaire, cela veut dire que l’on ne change rien de la politique énergétique ».
Les énergies renouvelables
Un grand coup de pouce sera donnée aux énergies renouvelables, notamment par une simplification des procédures, afin d’accélérer la réalisation de parcs éoliens ou solaires.
Des appels d’offre et des moyens importants viseront aussi des parcs solaires, des éoliennes offshore, des hydroliennes, etc. La réalisation de méthaniseurs sera vivement encouragée.
Problème : la logique du gigantisme et du soutien aux grands groupes prédomine, mais pas celle d’une énergie relocalisée. 20 % du capital des projets devront cependant être proposés aux habitants et aux collectivités locales.
Ainsi, le soutien aux méthaniseurs, sans limite de taille, favorise des opérations telles que celle de la ferme-usine des Mille vaches, où le gigantisme agricole est soutenu par les tarifs attractifs de rachat de l’énergie. De surcroît, les agro-carburants sont censés avoir une part plus importante, alors que leur impact écologique et agricole est vivement contesté.
La partie n’est pas tout à fait jouée
Le projet de loi va être soumis au Conseil économique, social et environnemental, puis au Conseil d’Etat, avant d’être validé par le gouvernement fin juilet ou début août. Il irait ensuite en discussion parlementaire à l’automne. Les députés réussiront-ils à infléchir le texte ?
Reporterre est heureux d’offrir à la représentation nationale le texte du projet.
On peut regrouper les mesures qu’il préconise en quatre volets : l’annonce de grands objectifs énergétiques, les mesures d’économies d’énergie, la position du nucléaire, les énergies renouvelables
Les grands objectifs
Réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % en 2030 par rapport à 2020 ;
diminuer de 30 % notre consommation d’énergies fossiles en 2030 ;
ramener la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % en 2025 ;
porter en 2030 la part des énergies renouvelables à 40 % de l’électricité produite ;
diviser par deux la consommation finale d’énergie d’ici 2050.
Étrangement, ces objectifs paraissent en retrait de la loi sur l’énergie de… 2005, qui fixait comme objectif la diminution de « 3 % par an en moyenne les émissions de gaz à effet de serre de la France » et « une division par quatre ou cinq de ces émissions pour les pays développés ».
De surcroît, Mme Royal a refusé de répondre à la question posée par Reporterre sur l’évolution de la consommation d’électricité, prétendant qu’il s’agissait d’une querelle de chiffres. On verra qu’il n’en est rien, et que cet enjeu est crucial.
Les économies d’énergie
Ce point est mis en avant avec force, et plusieurs dispositifs sont prévus pour « accélerer la rénovation thermique des logements » :
allègement fiscal de 30 % pour les travaux de rénovation énergétiques engagés d’ici fin 2015 ;
n’ont pas le texte. Jean-Paul Chanteguet, président de la Commission du développement durable de l’Assemblée nationale, s’en est étonné dans un comm
relance de l’éco-prêt à taux zéro ;
mécanisme de « tiers financeur » pour faire l’avance du coût des travaux aux particuliers.
Mais si ces dispositions paraissent un pas dans le bon sens, elles sont insuffisantes. Les professionnels de la Coalition France pour l’efficacité énergétique ne cachaient pas, au téléphone, leur surprise devant le texte du projet de loi, qualifié de « catastrophique pour l’efficacité énergétique ». Les motifs de mécontentement émanent de diverses dispositions techniques dispersées dans le texte, et par lesquelles les professionnels se sentent oubliés.
Deux préoccupations émergent :
le projet met l’accent sur la rénovation des logements, alors que les possibilités d’économies dans le tertiaire, qui seraient très importantes et moins coûteuses, sont oubliées ;
il donne la main sur l’accès au réseau à ERDF, la filiale d’EDF, alors que le coût en est jugé exagéré (générant des recettes indues pour EDF) et que les conditions de son fonctionnement font l’objet d’un vif contentieux, encore marqué par une décision récente de la Cour administrative d’appel de Nancy.
En résumé, les professionnels de l’économie d’énergie jugent que le texte donne beaucoup trop de pouvoir à EDF tant dans le contrôle des réseaux (et des prix) qu’en aval dans la mise en oeuvre des mesures. Dans un courriel dont Reporterre a pu avoir connaissance, ils soulignent que cette situation comporte le risque de « la disparition sur le sol national d’un outil industriel ».
Par ailleurs, le projet de loi contient une disposition étonnante dans son article 8 : la possibilité de sanctionner les personnes qui refuseraient le compteur électrique Linky, promu par EDF - un compteur jugé dangereux pour son atteinte potentielle à la liberté, et dont l’efficacité pour économiser l’énergie est loin d’être prouvée.
L’énergie nucléaire
Mme Royal refusait de répondre à la question sur la consommation d’électricité pour une bonne raison : dans l’esprit des nucléaristes et de leurs alliés au gouvernement, on pourrait avoir une baisse de la consommation globale d’énergie et une part plus importante des renouvelables sans baisser la valeur absolue du parc nucléaire - dont on annonce qu’il restera « plafonné » à 62 gigawatts, soit à sa valeur actuelle. La condition pour permettre ce maintien du parc est l’augmentation de la consommation d’électricité.
Et celle-ci est fortement soutenue par le texte de Mme Royal, qui promeut la voiture électrique par nombre de dispositions extraordinaires - alors que les transports en commun sont absents du texte.
L’Etat n’a pas non plus voulu reprendre la main sur les décisions d’EDF, dont il détient pourtant 84 % des actions. Pour assurer la baisse de la part du nucléaire dans la production d’électricité (qui n’induit pas mécaniquement, donc, la diminution du parc nucléaire), on passera par un système compliqué de Programmation pluriannuelle de l’énergie, qu’EDF devra respecter, notamment parce que le représentant de l’Etat au conseil d’administration y aura un droit de veto (comme si, avec 84 % des parts, il ne l’avait pas déjà !). Ce système satisfait les députés EELV Denis Baupin et Ronan Dantec, comme ils l’ont indiqué à la presse mercredi après-midi, mais pas Michèle Rivasi, députée Verte au Parlement européen, qui écrit dans un communiqué que « le projet de loi actuel ne peut satisfaire les écologistes sur le nucléaire ».
Au demeurant, Mme Royal a été claire : « Nous ne sortirons pas du nucléaire, ce n’est pas le choix qui est fait. C’est grâce à l’énergie nucléaire aujourd’hui, à la sécurité qu’elle apporte, que nous pouvons accélérer et faire sereinement la transition énergétique ».
En fait, comme le juge dans un communiqué Delphine Batho, ex-ministre de l’Ecologie qui avait été limogée en 2013 sous la pression des lobbies, « on assiste à un enterrement de première classe : celui de l’engagement important pris par François Hollande concernant la diversification du bouquet énergétique et la reprise en main par l’Etat de la politique nucléaire (…). Le nucléaire est en fait la clef de voûte de la politique énergétique de la France. Si on ne change rien au sur le nucléaire, cela veut dire que l’on ne change rien de la politique énergétique ».
Les énergies renouvelables
Un grand coup de pouce sera donnée aux énergies renouvelables, notamment par une simplification des procédures, afin d’accélérer la réalisation de parcs éoliens ou solaires.
Des appels d’offre et des moyens importants viseront aussi des parcs solaires, des éoliennes offshore, des hydroliennes, etc. La réalisation de méthaniseurs sera vivement encouragée.
Problème : la logique du gigantisme et du soutien aux grands groupes prédomine, mais pas celle d’une énergie relocalisée. 20 % du capital des projets devront cependant être proposés aux habitants et aux collectivités locales.
Ainsi, le soutien aux méthaniseurs, sans limite de taille, favorise des opérations telles que celle de la ferme-usine des Mille vaches, où le gigantisme agricole est soutenu par les tarifs attractifs de rachat de l’énergie. De surcroît, les agro-carburants sont censés avoir une part plus importante, alors que leur impact écologique et agricole est vivement contesté.
La partie n’est pas tout à fait jouée
Le projet de loi va être soumis au Conseil économique, social et environnemental, puis au Conseil d’Etat, avant d’être validé par le gouvernement fin juilet ou début août. Il irait ensuite en discussion parlementaire à l’automne. Les députés réussiront-ils à infléchir le texte ?
Source et photo : Hervé Kempf Reporterre
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