"Nous ne sommes pas du côté de la loi, mais de celui de la révolte !" Asli Erdogan
jeudi 17 décembre 2015
Néo-républicanisme vs. extrême droite : un clivage mortel pour la gauche, par Philippe Marlière
L’échec social et économique de Hollande et Valls ne les déroute pas de leur objectif politique : marginaliser la gauche sociale et faire du PS un rempart centriste contre le FN. En attendant que Valls accomplisse son projet de république autoritaire.
Le Front national est le vainqueur des élections régionales : il a encore progressé en termes de voix, triplé le nombre de ses élus et repoussé vers le haut le fameux "plafond de verre" qui le prédestine, en théorie, à demeurer un parti d’opposition ad eternam. Le parti d’extrême droite n’a certes pas remporté de régions, mais il n’a été battu que grâce à la fusion des votes de droite et d’une partie des voix de gauche. Ce ne sont ni l’appel à un "front républicain" des caciques de Solférino, ni le profil détestable des candidats Les Républicains qui ont découragé ce vote d’autodéfense. C’est un réflexe populaire anti-FN qui a terrassé le clan Le Pen. Tout, sauf le parti héritier de Vichy et de l’Algérie française, a estimé une large majorité de Français !
Hollande-Valls : la stratégie du "rempart centriste"
Des médias proches du pouvoir et des élus socialistes plastronnent depuis dimanche, fort satisfaits de la tournure des événements. Les plus cyniques – ou imbéciles – ont salué le "génie tactique" de l’hôte de l’Élysée : il est vrai que les Républicains de Sarkozy, outre l’hémorragie de votes vers le FN, n’ont pas remporté le nombre de régions escompté.
Quant au Front de gauche, il a une fois de plus fait la démonstration de son incapacité à influencer de quelque manière que ce soit le pouvoir socialiste.
Si le gouvernement traitait des causes premières de la désaffection politique – l’insécurité sociale et économique des classes populaires et moyennes après trois années d’augmentation du chômage et des inégalités –, il pourrait espérer redresser la barre. Il n’en sera rien car François Hollande et Manuel Valls vont continuer dans la voie qui a dramatiquement échoué. Hollande et Valls n’étant pas des acteurs politiques irrationnels, il faut trouver une explication autre que celle d’un entêtement dans l’erreur. En réalité, l’exécutif a une feuille de route qu’il poursuit pour le moment avec succès.
Ce plan ambitionne de remodeler la carte politique : dans ce nouveau paysage, la gauche sociale serait groupusculaire et une partie de la droite sarkozyste serait aspirée par un FN conquérant. Cette nouvelle configuration permettrait à Hollande et à Valls d’apparaître comme un rempart centriste et modéré face au "péril de l’extrême droite".
Ce scénario laisserait espérer à Hollande une qualification pour le deuxième tour de l’élection présidentielle contre Marine Le Pen. De son côté, Valls met ainsi en œuvre une stratégie qui vise à faire imploser le PS, marginaliser la gauche et neutraliser la droite pour construire un parti centriste avec des pans de la droite parlementaire.
En ce sens, il n’est pas fortuit que Julien Dray – et d’autres – ait annoncé, dès le soir-même du second tour, que le PS allait changer de nom. Le néo-républicanisme vallsien Pour Valls, le dogmatique, beaucoup plus que pour Hollande, le cynique, l’objectif à moyen terme est de faire apparaitre un nouveau clivage en remplacement du clivage gauche-droite.
Ce nouveau clivage appelons-le : néo-républicanisme vs. extrême droite. Ce néo-républicanisme est un ventre mou politique dont le point névralgique est constitué par un parti d’extrême centre, à l’instar du Parti démocrate italien de Matteo Renzi.
Dans ce panorama, la gauche radicale serait insignifiante puisque l’opposition ne passerait plus par la lutte des classes (qu’assure le clivage gauche-droite), mais par la défense interclassiste et œcuménique de la "république", de la "démocratie" et des "droits humains" contre le FN.
Il faut noter que la république de Valls n’est ni celle politiquement libérale des révolutionnaires de 1789, ni la Sociale des premiers socialistes. Non, c’est la république qui a dominé la France depuis plus deux siècles : conservatrice, autoritaire et, souvent, antipopulaire, comme celle qui réprima dans le sang la Commune en 1871 ou mena les guerres coloniales.
C’est le sens du message de Valls aux électeurs dimanche soir qui a affirmé qu’il n’avait qu’« une seule ligne de conduite : la République. Pour rassembler ». Il a fait appel à une « république qui protège, garantit la sécurité de tous, qui se montre intraitable face à la menace terroriste, au djihadisme, à l’islamisme radical ; qui affirme la laïcité comme socle commun. » Il a conclu en saluant le « patriotisme qui renaît » et a redit sa « fierté de la France ».
Il n’y avait dans ce discours aucune trace de réformisme social ou encore de mots de réconfort à l’endroit des populations qui souffrent du chômage ou du racisme.
Le néo-républicanisme qui inspire Valls s’inscrit dans le revival républicain identitaire apparu au moment des célébrations du bicentenaire de la révolution. Il est identitaire car il insiste sur le conformisme culturel ; il est rétif à toute dérogation à la norme culturelle dominante, à la manière d’être ou de paraître “française” (d’où l’hystérie anti-hidjab des néo-républicains). Toute déviation par rapport à la norme commune est vécue comme une atteinte à l’intégrité de la communauté nationale.
En ce sens, le néo-républicanisme est un communautarisme national, en rupture avec la tradition libérale au cœur de la révolution française. Convergence autoritaire Le néo-républicanisme vallsien peut s’appuyer sur de nombreux alliés objectifs à gauche et à droite (Jean-Pierre Chevènement, Nicolas Dupont-Aignan, Alain Finkielkraut, Éric Zemmour, les magazines Marianne, Causeur, Le Point, L’Express, etc.). Tous convergent vers un discours d’ordre et d’autorité, et se refusent à penser et accepter le pluralisme culturel.
La confusion atteint son comble quand Marine Le Pen, supposée représenter l’ennemie d’extrême droite, adopte le même registre néo-républicain. Lors d’un discours récent à Ajaccio, elle a déclaré : « Pour mériter la nationalité française, il faut parler français, manger français, vivre français. » Dans quelle mesure le communautarisme franco-centré du lepénisme est-il différent du vallsisme anti-Rom ?
Rappelons cette déclaration de 2013 : « Les Roms ont vocation à revenir en Roumanie ou en Bulgarie. (…) Ces populations ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres, qui sont évidemment en confrontation avec les populations locales. (…) Je constate aujourd’hui que les populations d’origine rom ne viennent plus en France parce qu’elles savent parfaitement qu’il y a une politique particulièrement ferme, républicaine. »
C’est bien le même ethnocentrisme culturel qui transparaît dans les deux discours. Une reconfiguration du champ politique autour du clivage néo-républicanisme vs. extrême droite signerait l’arrêt de mort de la gauche et de ses idéaux d’égalité et de pluralisme culturel.
La gauche critique doit continuer de résister à l’air du temps austéritaire, en énonçant un programme concret de protection et de bien-être social ; une sorte de social-démocratie radicale pour temps de crise à gauche. Elle doit aussi combattre le mantra de la "demande d’autorité", idée promue par les néo-républicains et le FN. Les Français ne souhaitent pas vivre dans une caserne militaire, mais être libres de mener leur vie comme bon leur semble.
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