"Nous ne sommes pas du côté de la loi, mais de celui de la révolte !" Asli Erdogan
vendredi 24 juin 2016
Après le référendum britannique, par François Coustal (Ensemble !)
51,9% des électeurs et des électrices britanniques se sont donc prononcés pour la sortie de l’Union européenne. Sans surprise, en France comme en Europe, la classe politique et médiatique se lamente et présente le choix du Brexit comme un triomphe des « populistes et des nationalistes », de l’extrême droite. Qu’en est-il vraiment ?
Ce qui est absolument indéniable est que, à l’occasion de ce référendum, la campagne pour la sortie de l’UE s’est déroulée totalement sous influence de l’extrême droite (notamment l’UKIP, le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni) et de la droite extrême eurosceptique (celle du Parti conservateur). La rhétorique dominante a été celle du retour à la souveraineté du Royaume-Uni, voire à la réaffirmation de l’identité britannique.
De même, on ne peut que constater que la question de l’immigration a été au cœur de la confrontation. Pas seulement sous forme de la fermeture ou de l’hostilité vis-à-vis des migrants et des réfugies. Mais aussi vis-à-vis de l’immigration « communautaire », des « travailleurs déplacés » considérés comme responsables de la pression à la baisse sur les salaires.
Pour autant, on ne peut analyser le résultat du référendum simplement à l’aune d’une déferlante populiste et xénophobe sur l’opinion publique : il s’agit d’abord et avant tout d’un désaveu populaire de l’Union européenne, d’une condamnation de cette machine bureaucratique construite pour détruire les acquis sociaux. Le fait que les questions sociales et démocratiques n’aient pas été au cœur du débat référendaire ne signifie pas qu’elles n’ont pas pesé lourdement dans les urnes, bien au contraire ! Après tout, même dans la bouche des partisans de droite du Brexit, celui-ci était présenté non seulement comme un défi à Bruxelles, mais aussi « aux banques et aux multinationales ».
Il est sans doute trop tôt pour se risquer à une analyse des suffrages en termes de catégories sociales et de classe : il faudra attendre que politologues et sociologues travaillent et fournissent des études de ce type. Il serait aussi intéressant de savoir comment se sont répartis les votes en fonction des classes d’âge et si, comme l’affirment assez péremptoirement beaucoup de commentateurs, les jeunes auraient voté pour rester dans l’Union européenne alors que les gens plus âgés auraient voté pour la sortie. Pour autant, ce n’est pas s’aventurer beaucoup que de dire que le vote pour le Brexit a été prioritairement un vote des classes populaires victimes de la crise, des politiques d’austérité impulsées par l’UE (et intensifiées par le gouvernement Cameron). Et, inversement, tout montre que le maintien dans l’UE a eu la faveur des élites.
Au-delà du sujet lui-même – l’Union européenne – les résultats du référendum révèlent une société britannique profondément divisée. Selon les tranches d’âge et selon les catégories sociales, comme on l’a évoqué. Mais il y a plus spectaculaire encore : la décision globale au niveau du Royaume-Uni recouvre en fait des réalités contrastées selon les nations qui le constituent.
En Angleterre et au Pays de Galles, la majorité des électeurs s’est prononcée pour le Brexit. Mais, en Irlande du Nord et surtout en Ecosse, des majorités encore plus nettes ont voté en faveur du maintien dans l’Union. Premier Ministre d’Ecosse et dirigeante du Parti national écossais (SNP), Nicola Sturgeon l’a clairement indiqué : l’avenir de l’Ecosse est dans l’Union Européenne et le résultat du référendum sur l’UE pose la question d’un nouveau référendum sur l’indépendance de l’Ecosse par rapport au Royaume-Uni.
La gauche s’est également divisée lors de ce référendum. Ainsi, la gauche progressiste – la gauche du Parti travailliste (dont Jeremy Corbyn), les Verts, le SNP en Ecosse de même que Plaid Cymru, l’organisation indépendantiste galloise – a milité pour le "Remain". De même que la gauche radicale la plus "ouverte" : Left Unity (organisation fondée par Ken Loach, membre du Parti de la Gauche européenne), le Parti socialiste écossais (SSP) ou encore Socialist Resistance (Quatrième Internationale). Cette orientation s’est matérialisée dans la campagne « Une autre Europe est possible ».
Force est de constater que cette campagne n’était pas sans ambiguïté : elle regroupait des courants porteurs d’une critique radicale de l’Union européenne, de ses institutions et de ses politiques, mais convaincus que dans les circonstances présentes, une sortie de l’Union européenne se ferait au profit de l’extrême droite. Mais elle regroupait aussi des courants qui pensent que l’Union européenne est réformable et, plus précisément, qu’elle est réformable de l’intérieur. Ce qui est un acte de foi que plusieurs décennies d’existence de l’UE n’ont pas permis de valider… Surtout, cette campagne pour un maintien « de gauche » n’a en rien entamé l’hégémonie (sur la campagne globale « Remain ») des néolibéraux, du patronat, du cœur de la classe dominante britannique et de l'oligarchie européenne.
De manière symétrique, le « Lexit » - la campagne de gauche pour la sortie de l’UE – qui regroupait un secteur (majoritaire) de la gauche révolutionnaire n’a nullement entamé l’hégémonie de la droite et de l’extrême droite sur la campagne pour le Brexit. Au-delà de la critique de la construction capitaliste de l’Europe incarnée par l’UE, l’un des arguments mis en avant consistait à affirmer qu’une victoire du Brexit provoquerait une crise de la classe dirigeante britannique et du gouvernement conservateur. Ce qu’illustre effectivement l’annonce de la démission de David Cameron. Certes… mais reste à savoir sur quoi débouchera cette crise ! Si, comme cela est parfois évoqué, cela se traduit par l’arrivée au premier plan de Boris Johnson (droite conservatrice) ou Nigel Farrage (extrême droite), la conséquence en serait surtout une aggravation autoritaire de la politique d’austérité.
Plus globalement, cet évènement interpelle en profondeur la gauche radicale sur la manière dont elle a appréhendé l’Europe, la construction européenne, l’Union européenne. Et dont elle doit le faire à l’avenir.
Car c’est, à l’évidence, une question d’avenir : en effet, le vote britannique – outre qu’il ouvre la voie à l’indépendance de l’Ecosse – constitue précisément le précédent que l’oligarchie craignait par-dessus tout. Même si les conditions du référendum britannique, la tonalité de la campagne et les motivations des électeurs peuvent prêter à débat, même si les conséquences du Brexit (au Royaume-Uni comme en Europe) sont encore largement indéterminée, un fait s’impose : oui, il est possible de sortir de l’Union européenne…
Et cela, quoique l’on en pense, modifie radicalement les conditions du débat. En général et au sein de la gauche de transformation sociale.
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