lundi 1 mai 2017

Voter Macron contre Le Pen le 7 mai, Dire non au désastre, par Edwy Plenel (Mediapart.fr)

Contre Le Pen, nous voterons Macron le 7 mai. Ce ne sera pas pour approuver son programme mais pour défendre la démocratie comme espace de libre contestation, y compris face aux politiques du candidat d’En Marche!. Tandis qu’avec l’extrême droite identitaire et autoritaire, la remise en cause de ce droit fondamental est assurée.

Voter contre Le Pen en votant Macron, ce n’est pas voter pour le programme de ce dernier. C’est oter pour défendre la démocratie comme espace conflictuel, traversé d’intérêts divergents et de causes concurrentes, où peuvent s’exprimer librement ses contradictions, son pluralisme, sa diversité, ses revendications et ses espoirs, y compris face aux politiques d’une présidence Macron.


Rien de tel avec l’extrême droite, dont nous avons suffisamment documenté sur Mediapart (lire ici) le programme électoral, l’héritage idéologique et les pratiques politiques pour savoir que ses postures démagogiques et racoleuses recouvrent une volonté explicite de remise en cause de nos valeurs républicaines communes – aussi imparfaite soit leur réalisation – de liberté, d’égalité et de fraternité. Sans hésiter, dans la mesure où nous avons le choix, nous préférons être dans l’opposition à une présidence Macron que sous un pouvoir nationaliste, autoritaire et identitaire.


Marine Le Pen, nous l’avons récemment rappelé (lire là), n’est pas du camp des ouvriers et des employés, des exploités et des opprimés, des plus faibles et des plus fragiles. Elle est même leur adversaire le plus déterminé tant elle entend dissoudre les conflits sociaux – les luttes de classe en somme – dans un peuple indistinct, rassemblé autour de la nation et soumis à son chef. Elle l’est d’autant plus que l’engagement xénophobe et raciste de sa formation – la « priorité nationale » – fait de la diversité du monde du travail, tissé d’immigrations et de cultures plurielles, son ennemi prioritaire.

Nous ne confondons pas la violence économique et l’injustice sociale sous une démocratie, fût-elle imparfaite, et sous un pouvoir autoritaire. Dans un cas, on peut encore lutter, organiser des mobilisations, construire un rapport de force, voire faire reculer le pouvoir. Dans l’autre, c’est ce droit de contester et de résister qui sera remis en cause, avec tous les moyens de coercition de l’État et de sa police. C’est n’avoir aucune mémoire ou oublier l’histoire que de penser qu’il pourrait y avoir une commune mesure entre ces deux situations. Qui demandait l’interdiction des manifestations contre la loi sur le travail du gouvernement Valls ? Marine Le Pen ! Qui envisage de mettre sous surveillance la liberté de la presse ? Le Front national ! Qui veut s’en prendre au droit de grève, c’est-à-dire le droit pour ceux qui n’ont pour seule richesse que leur travail de construire un rapport de force face au patronat et aux actionnaires, bref au capital ? Les mêmes !

Par exemple, lors de sa brève apparition sur le site de Whirlpool à Amiens, il n’a pas été suffisamment dit (sauf ici) que le piquet de grève qu’elle a rencontré aurait bien des difficultés à exister sous son règne éventuel : l’un des textes programmatiques du Front national prévoit ainsi « une grande réforme des syndicats » afin qu’ils soient « plus à même d’entrer dans des logiques de concertation constructives et moins tentés de recourir à un rapport de force (grève, manifestation) pour pallier leur manque de légitimité ». Le ramage social dont se pare la candidate d’extrême droite, en s’engouffrant dans l’espace libéré par les divisions, les silences et les calculs de la gauche radicale, n’est évidemment qu’une imposture, semblable à celle grâce à laquelle les nationaux-socialistes, dans les années 1930, profitèrent des déchirures des gauches socialistes et communistes pour rallier la classe ouvrière allemande à leur cause, avant de détruire systématiquement son mouvement social, ses organisations et ses syndicats.

Tel est l’enjeu du 7 mai, face auquel nous n’avons pas d’autre choix que de voter Emmanuel Macron. Et ce d’autant moins que l’accident électoral est plus que jamais possible, cette arrivée au pouvoir d’une force foncièrement anti-démocratique par le résultat d’un vote démocratique. Il suffit d’un fort report de l’électorat de droite vers Le Pen et d’une forte mobilisation de celui d’extrême droite, associés à une démobilisation des électeurs de gauche, provoquée par la colère, la division ou la lassitude, augmentant ainsi l’abstention en défaveur d’Emmanuel Macron, pour que la candidate du Front national l’emporte.

Dire que ce risque existe, ce n’est aucunement faire un chantage au vote utile. C’est, plus essentiellement, s’engager sur la voie d’une reconstruction lucide et d’un rassemblement significatif des forces de l’émancipation, à rebours des renoncements, des égarements et des confusions qui, depuis si longtemps, n’ont cessé de faire la courte échelle au Front national. Car nous ne devons plus nous payer de mots et nous griser de colères : nous faisons face à un désastre politique dont les responsables sont nombreux, dans une sorte de course à l’abîme où les pompiers pyromanes, de droite et de gauche, jouent depuis longtemps le premier rôle, rejoints dans la dernière ligne droite par des apprentis sorciers, tous, peu ou prou, enivrés par leurs aventures personnelles au point d’oublier qu’elles sont toujours de courte vue, ne construisant rien de durable à l’aune d’une culture démocratique partagée. 

C’est peu dire que nous étions prévenus. En janvier 2015, faisant le bilan de la première moitié du quinquennat de François Hollande dans l’un de nos ouvrages collectifs, Mediapart écrivait ceci, dès les premières lignes : « La France est à la merci d’un accident historique : l’élection à la présidence de la République, en 2017, de la dirigeante d’extrême droite Marine Le Pen. Il ne s’agit là ni de pronostic, ni de prévision, encore moins de pari. Simplement d’une analyse froide de l’ampleur sans précédent de la crise de représentation politique, de la dévitalisation de notre démocratie, de l’épuisement des projets tant au sein de la droite républicaine que des gauches de gouvernement ou radicale. Oui, ce dérèglement politique majeur rend possible l’accident électoral. »

Les pompiers pyromanes et les apprentis sorciers

Nous y sommes – hélas, tant nos avertissements n’ont guère été entendus. Mais nous n’aurions jamais imaginé à quel point cette campagne présidentielle, où rien ne s’est passé comme le prévoyaient éditorialistes, experts et sondeurs, allait confirmer cette lucidité prémonitoire. Une droite en capilotade après s’être soumise à un candidat disqualifié moralement qui, pour le coup, n’a cessé d’extrémiser son électorat, au point qu’Alain Juppé sonne lui aussi l’alarme du « non » face au désastre. Une gauche évanescente et éclatée, incapable de la moindre initiative unitaire tandis que son parti hier dominant, le PS, semble avoir disparu. À l’inverse, une extrême droite conquérante et rassemblée, imposant son rythme au point de faire avec systématisme et efficacité l’agenda de l’entre-deux-tours. Mais, en face d’elle, une gauche radicale tétanisée, jusqu’à son intervention sur TF1 dimanche soir 30 avril, par la soudaine absence de pédagogie antifasciste de son porte-parole de fait, dont le mouvement, La France insoumise, est depuis plongé dans le désarroi, la confusion et le doute. Enfin, un candidat, « et de droite et de gauche » comme il aime à se décrire, qui ne saisit pas la gravité du moment, se croyant vainqueur à la manière d’un joueur de casino qui aurait raflé toute la mise sur un coup de dés.

« Comme on fait son lit, on se couche », dit un proverbe, façon de souligner qu’inévitablement, on subit les conséquences de ses propres actes. Les premiers responsables de ce désastre sont les pompiers pyromanes qui, depuis tant d’années, ont épousé l’agenda et l’imaginaire idéologiques du Front national, en prétendant le réduire alors qu’ils n’ont fait que le renforcer. Ils sont de droite comme de gauche. En 2002, Jacques Chirac n’a rien fait du plébiscite qu’il a obtenu, sinon réintroduire Nicolas Sarkozy dans le jeu politique national. En 2005, ce dernier tout comme François Hollande ont allègrement piétiné le non majoritaire au Traité constitutionnel européen, donnant ainsi la main à sa version rétrograde, de repli et d’exclusion, plutôt qu’à son exigence démocratique et sociale. 

En 2007, Nicolas Sarkozy s’est empressé de légitimer les obsessions identitaires du Front national, instituant un ministère de l’identité nationale et de l’immigration, dont le premier titulaire fut un transfuge socialiste. En 2012, François Hollande, élu grâce à la dynamique de rejet d’une présidence de brutalisation et de stigmatisation, non seulement n’en a rien fait mais a choisi de prendre le même chemin de régression et d’aveuglement avec la promotion de Manuel Valls, incarnation d’une fuite en avant –une perdition à vrai dire – autoritaire, identitaire et inégalitaire. Tous ces professionnels d’une politique hors sol et entre soi, enfermée dans une bulle étatique et économique, n’ont rien voulu voir des attentes profondes du pays, faites de refondation démocratique et d’urgence sociale.

À l’arrogance de ces pompiers pyromanes s’ajoute l’inconscience des apprentis sorciers, plus habités par eux-mêmes que par la gravité du moment. Le premier d’entre eux est Emmanuel Macron qui, en charge du défi républicain, s’est montré léger et superficiel au lendemain du premier tour. Il serait bien temps qu’il pense contre lui-même comme l’y invitait une question pertinente de Mediapart qui soulignait par avance le défi d’un second tour face à Le Pen (lire ici le billet de Mathieu Magnaudeix). Ni le 23 avril, ni le 7 mai, il n’est et ne sera propriétaire des voix qui se sont portées sur son nom par raison autant que par conviction. S’il ne comprend pas que ce scrutin le dépasse, brouillant ses plans et ébranlant ses certitudes, il court à la catastrophe, aujourd’hui comme demain. Revendiquer un vote d’adhésion, courir derrière une « majorité présidentielle », envisager de gouverner par ordonnances, se contenter d’une énième loi de moralisation, c’est ne pas entendre la demande démocratique qui sourd du pays. Et s’il est un enjeu du vote du 7 mai en sa faveur, c’est de lui faire comprendre, ensuite, qu’il n’est que le dépositaire d’une volonté générale.

Mais il est un autre apprenti sorcier, Jean-Luc Mélenchon, qui, comme d’autres auraient fait du plomb avec de l’or, a transformé un indéniable succès collectif – La France insoumise en tête de la gauche, loin devant le PS – en défaite personnelle. Rassemblant nombre d’idées et d’expériences dont Mediapart est, depuis 2008, le carrefour, sa formidable campagne et le programme qui en fut l’ossature se heurtent désormais aux limites, aux travers et aux ambiguïtés de sa pratique politique. Le sectarisme, l’exclusive, l’intolérance n’ont jamais servi les idéaux de l’émancipation, de l’égalité et de la fraternité. Il n’y a pas, à gauche, de détenteurs de la vraie croix, légitimes à excommunier tout contradicteur ou tout dissident. La réussite de Mélenchon ne sera qu’une illusion sans lendemain si elle ne prend pas en compte le rapport de force global, profondément défavorable à une gauche aujourd’hui plus divisée et plus minoritaire que jamais. Et si elle ne consent pas à participer à sa reconstruction dans le dialogue avec toutes ses autres composantes.

C’est ce que, dans des temps lointains – les années 1930 –, Léon Trotsky fut seul à expliquer, avec pédagogie, réalisme et patience, quand le sectarisme stalinien et les divisions des gauches pavèrent la voie des extrêmes droites européennes. L’invoquer, comme l’a fait sur Mediapart Michel Broué (voir ici et lire ) – « Contre le fascisme, Trotsky était prêt à s’allier avec le diable et sa grand-mère » –, n’est pas une posture d’initiés mais simplement le rappel des douloureux enseignements de l’histoire. « Si nous accusons à juste titre la social-démocratie d’avoir préparé le chemin du fascisme, écrivait ainsi ce prophète désarmé en août 1931, notre tâche ne doit nullement consister à raccourcir ce chemin au fascisme. » Le texte s’intitule « Contre le national-communisme », rappel opportun que, face aux tenants de la haine de l’autre et de l’étranger, la complaisance pour le repli national n’est pas une digue mais, tout au contraire, leur tremplin.

En 1933, André Malraux rencontra Léon Trotsky, provisoirement réfugié à Saint-Palais, près de Royan. « La mer, raconte Malraux, frappait toujours les rochers dans la nuit qui commençait. » Et c’est alors que l’ancien chef de l’armée rouge, assassiné sept ans plus tard sur ordre de Staline, lui confia ceci qui résume notre devoir, aussi bien civique que journalistique : « Voyez-vous, l’important est : voir clair. » Voir clair, en effet, c’est-à-dire, Trotsky toujours, « délivrer l’homme de tout ce qui l’empêche de voir ».

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