mardi 30 mai 2017

Vous avez dit moralisation? , par Noël Mamère

Ce qui arrive à Richard Ferrand, devenu ministre, est une petite affaire Fillon qui tombe mal, au moment où François Bayrou annonce sa loi de moralisation de la vie publique, la première du quinquennat. Mais n’est pas Jupiter qui veut et quand on prétend nettoyer les écuries d’Augias, il faut être au clair soi-même.

Emmanuel Macron, le candidat qui a opportunément prospéré sur l’impensé politique de la droite et de la gauche, qui a profité du refus de l’extrême droite, doit aussi sa victoire au Canard Enchainé, révélateur du « penelopegate », véritable arme de destruction massive du candidat de la droite auquel tout promettait une victoire assurée… Et voilà que, quelques semaines plus tard, il se retrouve dans la position de l’arroseur arrosé. 


Ce qui arrive à Richard Ferrand, devenu ministre, est une petite affaire Fillon qui tombe mal, au moment où François Bayrou annonce sa loi de moralisation de la vie publique, la première du quinquennat. Mais n’est pas Jupiter qui veut et quand on prétend nettoyer les écuries d’Augias, il faut être au clair soi-même. 

Je ne jette la pierre à personne car on trouvera toujours des cadavres dans les recoins intimes de ceux qui nous gouvernent. Nul en ce monde n’est parfait et la transparence vécue comme une dictature de l’intime est insupportable. 

Si je me fais l’écho des turpitudes du ministre de la Cohésion des Territoires c’est, d’abord, parce que le mouvement En Marche ! a fait de la morale publique et du renouvellement ses thèmes prioritaires de campagne, qui ont permis à Emmanuel Macron de procéder à un hold-up réussi sur l’élection présidentielle. 

Ensuite, parce que cette loi de moralisation ne s’attaque qu’à la partie visible de l’iceberg de la corruption. En effet, le problème n’est ni Pénélope, ni les enfants de Bruno Le Roux, ni même la phobie administrative de Thomas Thévenoud. 

Ces mises au pilori réjouissent sans doute le bon peuple mais elles n’assèchent en rien le marigot. Au contraire. La loi de moralisation risque d’être l’ultime leurre destiné à masquer les vraies questions que soulève la demande de transparence quant à la confusion des genres entre le monde la haute fonction publique, de la politique et du privé, à la demande d’expertise citoyenne, au pouvoir des lobbies dans un monde où la politique est toujours plus subordonnée à l’économie et où l’économie est devenue en partie dépendante de la spéculation financière… 

Interdire la réserve parlementaire ? Pourquoi pas. Interdire aux membres de la famille de travailler comme collaborateurs parlementaires, oui bien sûr… mais si c’est pour laisser la place aux petits et petites amis, quel progrès ? 

Dans les conciliabules autour de cette future loi, je ne vois rien qui s’attaque de front à l’influence des grandes entreprises sur l’Assemblée et le Sénat, rien qui permette aux citoyens et aux lanceurs d’alertes de mieux prévenir les abus et de contrôler le travail du législateur et de l’exécutif, rien qui s’attaque à la connivence coupable entre les lobbyistes et le pouvoir politique réel. Au contraire. 

Le projet du nouveau Président et des siens justifie l’expertise scientifique moderne, qui passe par dessus la tête du personnel politique. Parce qu’elle est confiée à des agences ad hoc ou à des experts payés par de grandes entreprises, elle s’autonomise de plus en plus des règles du service public, mais aussi de l’action citoyenne considérée par avance comme n’ayant pas la science de l’expert. 

François Hollande s’était appuyé sur sa promotion « Voltaire » de l'ENA, dont il avait truffé son entourage et les ministères clefs sur lesquels il s’appuyait. Avec Emmanuel Macron, on passe à la vitesse supérieure : les ministres vont devenir les collaborateurs du groupe de hauts fonctionnaires qui répand la parole et les décisions du « président jupitérien ». 

Alors que la Vème République était à l’agonie, voilà qu’elle est portée aux nues par le jeune Bonaparte « en marche » vers les pleins pouvoirs. J’ai cru longtemps que l’on était en 1969, avec l’explosion du PS et la recomposition politique. En fait, c’est d’un nouveau 1958 qu’’il s’agit. 

Emmanuel Macron se pense au-dessus des partis et, pour ce faire, il s’appuie sur le texte de la Constitution réécrit par Michel Debré, ce Premier ministre gaulliste qui avait fondé l’ENA. 

Mais il faut se méfier des apparences, en fait de retour à la République gaullienne, dirigée par un groupe consanguin de jeunes hauts fonctionnaires, il s’agit plutôt de donner tous les pouvoirs à une haute fonction publique, intégrée totalement au processus de mondialisation, dont le but est d’accélérer son incorporation à la globalisation. 

Ces hussards noirs du libéralisme combattent à la marge la corruption pour mieux profiter de ses effets. Au-delà des déviances de certains parlementaires, ils souhaitent moraliser la vie politique sans rien toucher aux mécanismes de corruption douce, comme le phénomène de pantouflage lorsqu’un fonctionnaire décide de rejoindre le privé. 

Ces phénomènes se sont accrus avec la privatisation de nombreuses fonctions qui étaient auparavant publiques. C’est ce qui explique en partie que le lobby financier soit parvenu à détricoter la loi de séparation bancaire, au début du quinquennat de François Hollande.  

Les conseillers du ministère des Finances - pour beaucoup repartis pantoufler dans des banques une fois la loi votée -  étaient ceux qui ont détourné l’esprit de la loi en écrivant ses articles. C’est pourtant le lobbying des banques qui, aux Etats-Unis et ailleurs, a précipité la crise financière mondiale de 2008. 

Face à cette consanguinité du pouvoir économique et administratif, il s’agit de remettre en cause la possibilité pour les fonctionnaires devenus cadres ou dirigeants d’entreprise, de réintégrer la fonction publique. Tout haut fonctionnaire souhaitant travailler dans le privé devrait démissionner de la fonction publique et rembourser le prix de sa formation s’il n’a pas servi au moins dix ans.  

Les règles contre les conflits d’intérêts, pour éviter des situations à la Barroso, devraient être durcies, notamment en allongeant les périodes d’interdiction d’exercer une fonction privée après avoir exercé une activité publique dans le même secteur. Dans des pays libéraux comme le Canada de telles dispositions existent, elles interdisent les « portes tournantes» entre privé et public pour une période de 7 ans. 

La deuxième condition d’une « moralisation » de la politique devrait permettre de créer les conditions d’une expertise citoyenne honnête, c’est-à-dire indépendante, contradictoire, transparente, multidisciplinaire. Elle devrait être réalisée par un laboratoire public et indépendant et financée par l’industriel proposant l’innovation. Seule une expertise exemplaire permettrait d’évaluer la pertinence des alertes. 

Les scandales sanitaires et environnementaux du Médiator, de l’amiante, du diesel, des perturbateurs endocriniens, de la pollution de l’air … ont montré que ces affaires ont souvent été couvertes par le pouvoir politique au nom d’une prétendue expertise scientifique pourtant financée par les entreprises coupables de ces crimes sans que les victimes aient leur mot à dire. 

La moralisation devrait passer d’abord par la vérité, la justice et les réparations pour celles et ceux qui souffrent dans leur chair de la corruption des élites. 

Noël Mamère

https://blogs.mediapart.fr/noel-mamere/blog/290517/vous-avez-dit-moralisation

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