lundi 25 juin 2012

Notre Dame des Landes ou comment l'éléphant blanc se prend les pieds dans le tapis - Un article de Rouge et Vert, le journal des Alternatifs



Tel le monstre du Lochness, le projet de Notre Dame des Landes (NDL) revient à la surface des grandes infrastructures telles qu'on savait les programmer sans hésitation dans les années Pompidou. Notre ancien président voulait adapter la ville à la voiture. Il s’agit là d’adapter le territoire à l’avion, considéré comme un des moteurs principaux de l’attractivité des territoires et de la croissance. Les récents développements du rouleau compresseur politico- administratif et de la résistance à ce projet, destructeur d’une terre nourricière de bocage et d’un aménagement équilibré du territoire, abordent une phase nouvelle avec l’arrivée au gouvernement du PS (allié à Europe Ecologie Les Verts).

Rappels historiques et techniques
Né dans les années 60 pour accueillir les supersoniques en partance pour les Amériques, le projet de construction d’un nouvel aéroport à Notre Dame des Landes a été mis en sommeil à la première augmentation du prix du pétrole, passé de 4 à 12 $ le baril au début des années 70, condamnant « notre » Concorde, 4 fois plus glouton que les appareils classiques.
Rebaptisé Aéroport du Grand Ouest (AGO), Notre Dame des Landes a été ressortie des cartons  en 2000 par le gouvernement de Lionel Jospin, appuyé en cela par les appareils dirigeant socialistes locaux, le patronat local et la Droite de François Fillon, sans oublier le PCF44. La complicité entre ces forces a permis de conduire administrativement toutes les étapes du processus de mise en œuvre du projet NDL/AGO, depuis le débat public de 2003 jusqu’aux études de sols et acquisitions foncières nécessaires, en passant par les enquêtes publiques dont celle qui a abouti, en 2008, à la déclaration d’utilité publique et le contrat de concession avec la multinationale  VINCI pour 55ans.

Quelques points fondamentaux méritent un détour :
Le débat public de 2003 n’a pas mis en avant de solution alternative. C’est pourtant exigé par les textes notamment les directives françaises et européennes : mais l’aménagement de l’actuel aéroport de Nantes Atlantique a été évacué d’un revers de manche.
Aujourd’hui les formes administratives sont respectées, mais le débat démocratique est aux abonnés absents.  Le principal promoteur politique du projet, l’actuel Premier Ministre, Jean-Marc Ayrault, est totalement absent lors du débat public. Il n’a jamais accepté de débat contradictoire, en dehors des échanges d’interventions policées et limitées en Conseil communautaire de Nantes Métropole. Les responsables PS au Conseil Général de Loire Atlantique et au Conseil Régional des Pays de la Loire refusent même de prendre en compte les analyses du rapport accablant établi par le bureau d’Etudes hollandais CE Delft et relatif à l’utilité publique du projet et à son financement par la puissance publique. La règle, localement bien appliquée par des socialistes vraiment très obéissants, est surtout ne rien dire.

Pourtant, dans l’analyse économique contenue dans le dossier de l’enquête publique de 2006, des anomalies grossières et des mensonges patents sont bien présents :
  • Surestimation d’un facteur 5 de la valeur de l’heure économisée pour les gains de temps de trajet d’accès des usagers dû au transfert de la plateforme actuelle vers NDL ;
  • Absence de prise en compte des coûts des liaisons ferrées dont les gains sont malgré tout affichés ;
  • Aucune intégration de dérive des coûts de construction ni d’analyse de risque pourtant nécessaire ;
  • Pas de prise en compte des surcouts liés au marché des permis d’émission CO2 ;
  • Prix du baril de pétrole prévu à 60 $ en 2025 alors qu’il oscille déjà autour de 100 $ ;
  • Influence des développements TGV négligée et surestimation de la part des compagnies Low Cost ;
Ainsi, au lieu de  l’affichage par les promoteurs du projet d’un gain pour la société de 600 M€, le rapport CE Delft conclut à une perte sèche pour la collectivité de 100 à 600 M€ en fonction des dérives liées aux coûts de construction. A l’inverse, le rapport démontre qu’un aménagement de l’actuel aéroport de Nantes entrainerait un gain pour les collectivités de plus de 100 M€.
Au total, les prévisions de trafic – très optimistes - conduisent à un plan d’affaire, base du contrat de l’Etat avec VINCI pour d’éventuels remboursements des subventions accordées, très favorable à la multinationale délégataire.

Le projet de plateforme soumise au débat public de 2003 n’a pas grand-chose à voir avec le projet de VINCI :
  • La capacité prévue pour NDL à son ouverture est la même que celle de l’aéroport international actuel de Nantes-Atlantique, soit 4 à 4,5 Millions de passagers ;
  • Les deux pistes sont prévues sans taxiway, une originalité pour un grand aéroport ;
  • La plus importante des deux pistes prévue est de même longueur que celle de Nantes, soit 2900 m ;
  • La charge maximale admissible des pistes n’autorise pas des avions au-delà de 250 T ;
Ces dernières caractéristiques excluent donc l’accueil de gros appareils comme les Boeing 747 ou les Airbus A 380 à pleine charge.

Le troisième gros scandale tient au financement :
  • D’un coût estimé entre 500 et 600 M€, la participation de la collectivité était, au moment de la Déclaration d’Utilité Publique, de 16 % ; elle est désormais montée à 44 %, soit 241 M€ sur un total de 551,5 M€ ;
  • Ces avances dites « remboursables » se basent du « plan d’affaire » très optimiste ; la probabilité pour que l’activité de Notre Dame des Landes aille bien au-delà de ces prévisions est donc  très faible. Ces aides ne seront donc jamais remboursées : ce sont de simples subventions ;
  • La participation de VINCI dans le financement, de 310,5 M€, se décompose en 3 tiers : un premier est emprunté sur le marché, un deuxième est abondé par les bénéfices d’exploitation de l’aéroport actuel de Nantes-Atlantique et le troisième est emprunté … aux actionnaires, mais avec un intérêt fixé dans le contrat à  … 12 % ; c’est sans doute ce qu’ils appellent du Développement Durable !
Un fonctionnement anti-démocratique de A à Z

 Que faire face à de telles aberrations ? La résistance organisée depuis une dizaine d’année ne semble pas émouvoir les pouvoirs, qu’ils soient de droite avec François Fillon ou de gauche avec Jean-Marc Ayrault (qui a eu, il faut le reconnaitre, une attitude constante depuis 10 ans au service du projet).
La récente grève de la faim qui appuyait l’exigence d’arrêt des expropriations avant l’aboutissement des recours juridiques et la forte mobilisation impulsée par la Confédération Paysanne ont fortement marqué l’opinion publique nantaise et, à la veille des échéances électorales, contraint  les présidents de gauche des trois collectivités locales (Ayrault, Grosvallet pour le département et Auxiette pour la Région) a calmé le jeu des expulsions programmées. Mais cet accord qui a permis un déroulement apaisé de la campagne des législatives pour les candidats socialistes pro-aéroport très gênés par la présence systématique et très pédagogique des paysans et opposants réunis au sein de la Coordination des associations et partis politiques, reste très fragile. (A noter que la totalité des forces de la gauche de transformation sociale, à l’exception de la fédération 44 du PCF mais avec le PCF 85, participent à la coordination).

Les élections passées, les gants de la répression se font plus fermes : la violence policière pour appuyer le déroulement des enquêtes publiques relatives à la loi sur l’eau est bien là ;  dernière en date, la journée du 21 juin à Notre Dame des Landes pour son ouverture.

Le dossier d’enquête publique fait 2000 pages et propose des compensations globales affectées de coefficients réducteurs pour ce véritable château d’eau de la région. La loi exige une surface de compensation écologique fonctionnelle double de celle des zones affectées mais VINCI essaie de réduire la toile pour éviter une impossibilité quasi certaine vu l’ampleur de la tâche. Encore, l’ouverture précipitée de l’enquête publique permet-elle d’éviter les dispositions récentes des textes qui obligent non seulement à compenser au double mais encore à préciser la situation géographique pour chaque compensation.

Tous ces aspects ont conduit les paysans et l’association de 1000 élus, le CéDPA, à demander un report de l’enquête. Pas de réponse de l’Etat. Le ventre mou, qui n’a pas changé après les élections, confirme qu’on ne discute pas. Il est aussi demandé une prolongation de l’enquête, prévue avec une clôture le 23 juillet, pour que les Conseils municipaux puissent se tenir pour avis dans les 15 jours qui suivent, c’est la loi. Chacun aura compris que tenir des Conseils fin juillet ou début Août est quasi-impossible faute de quorum. Mais ce n’est pas grave puisqu’absence d’avis d’un conseil vaut approbation. Les textes sont « bien faits »…  mais la démocratie est bien malmenée !

Quels enjeux ?
Le barque du projet est de plus en plus chargée et suscite des doutes de façon étendue avec :
  • Les premiers mensonges des promoteurs du projet : saturation de l’aéroport actuel démenti largement par de simples comparaisons à des plateformes comme Genève ou Gatwick, danger du survol de Nantes totalement invalidé par les pilotes et la Délégation Générale à l’Aviation Civile (DGAC) elle-même ;
  • Un dossier économique (Annexe F) d’enquête publique de 2006 truffé d’approximations, d’erreurs manifestes et d’omissions qui ne semblent pas innocentes ;
  • Un contrat de l’Etat avec VINCI faisant la part belle aux revenus retournés aux actionnaires au détriment de la collectivité ;
  • Des votes proposés aux assemblées délibérantes fin 2010 masquant le côté très risqué des avances financières dites « remboursables » ;
  • Des enquêtes publiques concernant la loi sur l’eau semblant s’accommoder d’approximations sous couvert d’innovations ;
  • Des processus de déroulement très contestés et une absence totale de prise en considération des avis différents ; si la légitimité des actes administratifs est formellement reconnue, une autre légitimité, celle des 1000 élus du CéDPA doit l’être également, comme l’a affirmé Jean-Luc Mélenchon.
Avec une situation de crise économique et la recherche de réduction des dépenses publiques à l’ordre du jour, peut on encore consacrer plus de 250 Millions d’argent public à un projet sans utilité publique, destructeur d’espace agricole avec 39 exploitations impactées, déstabilisant l’équilibre du territoire entre le nord et le sud de la Loire, et qui ne génère aucun emploi nouveau hormis pour sa construction ?

Le gouvernement Ayrault pourra-t-il justifier durablement un tel équipement pharaonique, trois fois plus important qu’un aéroport comme Gatwick pour des trafics trois fois moindres, et qui mobilise de l’argent public équivalent à la construction d’une vingtaine de collèges ou une quarantaine de crèches ou bien encore quatre années du budget total de la Culture ou de l’Education de la ville de Nantes ou trois fois le total de ses dépenses d’équipement annuel ?

Politiquement, ses seuls soutiens sont institutionnels et, pour un projet présenté comme de Haute Qualité Environnementale,  il se trouve qu’aucune association écolo ne le défend. Bien au contraire, les 40 associations ou organisations parties prenantes de la Coordination, les élus du CéDPA se battent pied à pied contre ce projet tout en restant dans des actions non violentes. Alors que la plupart des candidats à la présidentielle s’est déclarée opposée à cette infrastructure, contre vent et marée, ses promoteurs avancent, droit dans leurs bottes.

Les arguments d’autorité pourront-ils tenir longtemps contre ceux de la rationalité et face aux mobilisations citoyennes ? L’obstination des porteurs du projet commence par générer un doute croissant sur leurs motivations réelles : attractivité du territoire et concurrence avec les régions voisines confinant à des invocations quasiment religieuses, récupérations foncières de l’enceinte de l’aéroport actuel pourtant lié à l’avenir des usines Airbus voisines.

Le 2ème Forum des grands projets inutiles et imposés, qui se tiendra à Notre Dame des Landes du 7 au 11 juillet prochain, constituera une nouvelle et importante étape de la mobilisation. Sa réussite est un enjeu majeur qui doit tous nous mobiliser.

Une porte de sortie est toujours possible, notamment avec un déroulement honnête des enquêtes publiques et un nouveau débat public rendu nécessaire par les modifications profondes des données de bases. Mais le nouveau pouvoir de gauche le voudra-t-il ? 

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