jeudi 21 août 2014

Loi sur l’énergie : un cadeau de 40 milliards d’euros au lobby de l’auto électrique, par Hervé Kempf


Le gouvernement a adopté le 30 juillet le projet de loi sur la « transition énergétique ». Un texte obsédé par l’idée de la croissance, et qui donne les clés de la politique énergétique française à EDF, GDF et Areva. Avec une cerise sur le gâteau : 40 milliards d’euros de cadeau public aux industriels de la voiture électrique. 

Le jour anniversaire de la mort de Jean Jaurès intervient dans une situation où ses descendants abatardis, les « socialistes », sont au pouvoir. Au pouvoir pour quoi faire ? Pour se plier au grand patronat qui, dans tous les domaines de l’activité publique, impose ses orientations et ses choix. 


Le projet de loi sur l’énergie - ah, pardon, lire, dans la logorrhée absurde qui préside aujourd’hui au discours public, « projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte » - ne déroge pas à cette règle : présenté mercredi 30 juillet en conseil des ministres par Mme Ségolène Royal, ministre de l’Ecologie, il entérine sous l’emphase dont la ministre est coutumière la soumission des choix publics aux intérêts des grands opérateurs énergétiques, comme on va le voir. 

Ce texte modifie à la marge la première version qui avait été présentée en juin. Y a notamment été rajouté l’objectif de réduire de 80 % d’ici 2050 les émissions de gaz à effet de serre. A disparu la stupéfiante décision accélérant l’installation Cigeo de déchets nucléaires, décision que Reporterre avait immédiatement dénoncée. Ce qui concerne la « voiture propre » est élargi à divers types de véhicules, et pas seulement à l’électrique. 

Après que le terme de « transition » ait disparu du titre de la loi - il serait « anxiogène », selon Mme Royal ! -, il a réapparu, assorti d’une « croissance verte », qui en est la clé idéologique. Car n’étant jamais définie - même si la ministre se vante dans le dossier de presse que le Conseil d’Etat ait « validé l’entrée du terme ’croissance verte’ dans le droit positif » -, la croissance verte reste… la croissance du PIB, l’essentiel étant que celui-ci augmente. 

L’adoration du fétiche s’accompagne d’une autre croyance inflexible, rappelée par Stéphane Le Foll à la sortie du conseil des ministres : « Le chômage est lié à la croissance faible ». Ainsi, dans l’exposé des motifs de la loi, c’est la croissance qui est le but fixé, au service de quoi tout doit être organisé. 

Il y a une inversion frappante des priorités : le but réel de l’action devrait être de transformer notre système énergétique pour éviter l’aggravation du changement climatique, et le fétiche« croissance » pourrait en être un moyen. Mais non : la croissance est première, et décide de tout. Il convient de lire le texte proposé par le gouvernement, pour saisir la puissance hallucinatoire du dogme, répété comme une profession de foi : "[Le projet de loi] vise à engager le pays tout entier dans la voie d’une croissance verte créatrice de richesses, d’emplois durables et de progrès. Une croissance qui lutte contre le réchauffement climatique, combat le chômage et réduit la facture énergétique de la France, qui s’élève à près de 70 milliards d’euros au détriment de notre balance commerciale et de nos finances publiques. Une croissance non prédatrice qui protège la biosphère et nous permet de vivre en harmonie avec ses écosystèmes dont nous sommes partie intégrante. Une croissance qui valorise de nouvelles technologies et permet de conquérir de nouveaux marchés dans le domaine des énergies renouvelables et des transports propres. Une croissance porteuse de compétitivité pour nos entreprises et favorable à l’essor d’une économie collaborative. Une croissance qui protège la santé des Français en améliorant la qualité de l’air et leur rende du pouvoir d’achat en économisant l’énergie dans le logement et les transports. Une croissance qui améliore la vie quotidienne de chacun, ici et maintenant.

Derrière le dogme se joue une partie subtile qui consiste à ne rien changer de réel dans la structure énergétique et de pouvoir de la France. Comme l’a répété Ségolène Royal en conférence de presse à la sortie du conseil des ministres,« le nucléaire est le socle de la politique énergétique de notre pays ». 

Tout le jeu consiste dès lors à maintenir la part absolue du nucléaire : certes, l’énergie nucléaire doit passer de 75 % à 50 % de la production électrique globale, mais si la production électrique augmente, il y aura toujours autant de nucléaire. Il sera « plafonné », annonce-t-on. 

Dans la négociation qui s’est déroulé depuis un mois, le plafond est même passé de 62 gigawatts en juin à 63,2 gigawatts en juillet. Admirez la précision du 63,2, qui signifie qu’EDF a imposé un calibrage précis du parc nucléaire qu’il entend maintenir dans les prochaines décennies. 

Mme Royal a donné l’explication, pour ceux qui ne comprendraient pas : « La part du nucléaire dans la production d’électricité va passer de 75 % à 50 % grâce à la montée en puissance des énergies renouvelables ». 

Ainsi, amis écologistes, qui admirez les éoliennes de cent mètres de haut qui poussent dans les paysages que vous aimez, qui vous extasiez à la vue des centrales solaires qui gagnent les terrains abandonnés, comprenez bien que tout ceci ne fera pas reculer d’un pouce l’énergie nucléaire. Vous aurez et le nucléaire, et le massacre des paysages. C’est ça, la croissance verte. 

Au fait, Mme Royal poursuit : « Energies renouvelables sur lesquelles nos grands opérateurs énergétiques français, EDF, GDF, Areva, etc., investissent. Et il est donc très important aussi que ces grands opérateurs énergéticiens qui sont parmi les plus performants à l’échelle planétaire investissent dans les énergies renouvelables, puissent conquérir des brevets, des innovations, et soient à l’offensive dans la transition énergétique mondiale » 

Vous rêvez de relocalisation, de solutions adaptées, de techniques douces, de coopératives de citoyens ? Passez votre chemin. La transition, ce n’est pas vous, c’est EDF, GDF et Areva. Et comment va-t-on faire pour maintenir la consommation électrique à un niveau élevé et croissant ? Bon, on compte sur toutes les applications électroniques, ordinateurs, téléphones, écrans, etc., pour faire grimper les kilowatts. 

Car si un effort réel est fait pour réduire la consommation de fossiles, ce qui est une bonne chose, en agissant sur les logements, ce qui est bien, on se réduit pour l’essentiel à cela. La sobriété n’est pas à l’ordre du jour : ça n’est pas très bon pour la croissance, n’est-ce pas ? 

Le miracle des bornes de recharge d’autos électriques 

Alors, en avant pour la voiture électrique, qui est la voie d’avenir pour sauver les deux mamelles historiques de l’industrie française, la voiture et le nucléaire. Le transport représente, à côté du logement, le grand poste de consommation d’énergie. On pourrait avoir une politique de transports urbains, de limitation de l’étalement urbain, de développement du vélo. Non. Le seul point réellement abordé dans ce domaine est celui du soutien à la voiture électrique. Et vas-y pour diverses subventions, bonus, défiscalisations, qui pousseront les bons citoyens français à acheter l’auto magique, et en avant pour installer sept millions de bornes de recharge desdites autos. 

Sept millions ? Reporterre s’est demandé combien coûtait une borne électrique de recharge. Difficile d’obtenir des chiffres précis. Quand on en installe à titre expérimental à Arques, dans le Nord, cela coûte 14 000 euros. Une autre source indique une fourchette allant de 5 000 euros à 20 000 euros. 

Soyons optimistes, et prenons le chiffre de 6 000 euros la borne. Voyons, 6 000 multiplié par sept millions, cela fait…. non, on ne copie pas sur son voisin… hmmmm…. 42 milliards d’euros ! Oh, qu’il est joli, ce chiffre. Quarante deux milliards d’euros. 

Mais interrogeons la ministre. Combien vont coûter ces sept millions de bornes ? Reporterre a posé la question à Mme Royal. Réponse : « Nous devons faire le pari collectif qu’en lançant un marché qui va monter en puissance, le prix des bornes électriques, par définition, va baisser. (…) Les industriels vont faire un effort et vont baisser le prix ». - Quel chiffre ?, interroge le reporter. - On verra. Et c’est financé par le programme des investissements d’avenir" Donc, on ne sait pas combien ça va coûter, mais une estimation de 40 milliards d’euros est une bonne base de départ, et cela va être payé par les fonds publics. 

Voilà une loi qui fera au moins quelques heureux : les fabricants de bornes électriques. Récapitulons : on maintient le nucléaire à son niveau actuel, on encourage les gros joueurs dans l’énergie renouvelable - qui sont les grands opérateurs nucléaires -, on subventionne les dispositifs consommateurs d’électricité. Tout va bien. 

 Hervé Kempf pour Reporterre.

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