mercredi 20 août 2014

Ouvrir d’autres possibles, enfin ! , par Geneviève Azam et Thomas Coutrot, porte-parole d'ATTAC

 
Pourquoi changer une politique qui échoue ? François Hollande ou Michel Sapin reconnaissent bien « un vrai risque déflationniste en Europe » ou « une Europe atteinte de langueur ». Mais ils ne proposent ni explication ni inflexion, et encore moins un retournement. 

L’Europe continentale, Allemagne comprise, connaît une crise spécifique, qui est accélérée et approfondie par les politiques d’austérité, menées brutalement et simultanément depuis 2011 dans tous les pays de l’Union. Pire, la France aggrave encore son cas avec son Pacte de responsabilité : de nouvelles coupes budgétaires de 50 milliards d'euros et de nouvelles baisses du coût du travail. 

Nos dirigeants peuvent-ils ignorer qu’ils creusent ainsi le trou qui les engloutira ? Peuvent-ils croire que les entreprises investiront les 20 milliards de nouveaux cadeaux annoncés, alors que la demande est en berne et le chômage en hausse ? Quel espoir nous laissent-ils de voir financés les investissements publics indispensables à la transition écologique, dont les experts du Giec (Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat) leur rappellent avec de plus en plus d’insistance l’absolue nécessité ? 


Face aux pressions de tous bords, Manuel Valls a pourtant exclu tout changement de politique. Selon Mediapart (lire l'article de Martine Orange), c’est Laurent Fabius, lors du séminaire gouvernemental du 1er août, qui a lâché le mot tabou : « les marchés ne manqueraient pas de sanctionner la France si le gouvernement relâchait ses efforts ». Traduction : toute inflexion de politique dans un sens moins restrictif serait interprétée par les investisseurs financiers comme accroissant le risque de défaut sur la dette publique. Cela les conduirait à exiger des taux d’intérêt bien plus élevés pour acheter les titres de la dette française. On sait que ce chantage est permis par les traités européens, qui interdisent à la Banque centrale européenne de financer les déficits publics au contraire de ses homologues britannique ou américaine. Mais ce n’est pas tout. La crise de 2008 a montré l’explosivité intrinsèque de la finance dérégulée ? 

Au lieu de la réglementer strictement et de réduire son poids, les dirigeants lui confient les clés du financement des petites et moyennes entreprises. Depuis quelques mois, encouragées par Bercy et les régulateurs, les banques procèdent massivement à la titrisation des crédits accordés aux PME. Elles revendent ensuite ces titres sur les marchés financiers, alimentant la bulle spéculative qui bat déjà largement les sommets atteints en 2007. 

Au plan mondial, la lutte contre le réchauffement climatique, la déforestation et l’extinction des espèces est elle aussi confiée à la finance, avec « l’économie verte », les marchés du carbone, les mécanismes dits de « compensation » (REDD pour les forêts), les « instruments de marché » pour la biodiversité... Mais qu’adviendra-t-il du tissu productif et des politiques climatiques lors du prochain krach financier mondial ?

Contrairement aux apparences, nos dirigeants ne sont pas stupides. Ils sont seulement enfermés dans une contradiction insurmontable entre les attentes de leurs électeurs (qui ont voté pour domestiquer la finance), les ravages palpables de la finance globale et les intérêts de l’oligarchie financière (qui tient les manettes en France et en Europe). 

Il est à craindre que pour eux la fin de l’histoire soit déjà connue: comme leurs amis sociaux-démocrates espagnols, grecs ou portugais, ils préfèreront le hara-kiri électoral à un conflit avec la finance. La droite extrême et l’extrême-droite pourront alors prospérer sur la désespérance. 

A moins que les citoyens ne fassent irruption dans ce jeu pipé. Inégalités, chômage, évènements climatiques extrêmes, pollutions : les raisons de se mobiliser pour construire des alternatives locales et globales ne manquent pas. 

Les expériences et les exemples se multiplient au plan local, comme le montrent le foisonnement des initiatives solidaires ou les « Alternatibas » (villages des alternatives) qui se mettent en place dans de nombreuses villes. Les mouvements sociaux ne manquent pas non plus de propositions de politiques alternatives sur la dette, l’emploi, les biens communs, la transition... 

Comme les précédentes, la conférence climatique de 2015 (COP 21) à Paris-Le Bourget risque de décevoir quant aux décisions prises. Mais elle pourrait servir malgré elle à faire converger et à populariser ces alternatives et ces propositions. Une vaste mobilisation de la société civile pour peser sur la COP est en préparation à travers une coalition, inédite par sa variété, d’associations et de syndicats. 

Organisée par les Attac d’Europe, l’Université européenne des mouvements sociaux qui s’achève ce samedi à Paris est une moment important pour un renouveau des luttes et des résistances et une étape vers la COP 21. Il est encore temps d’interrompre le scénario des catastrophes annoncées. 

- Cette tribune a été publiée initialement sur le site du journal Médiapart.

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