"Nous ne sommes pas du côté de la loi, mais de celui de la révolte !" Asli Erdogan
jeudi 4 septembre 2014
Ensemble ! : L’aiguillon du rassemblement - article paru dans Politis
Au sortir de sa première université d’été, le jeune mouvement, troisième composante du Front de gauche, se doit de forcer le pas alors que l’avenir de ce dernier est en question.
Dès le débat inaugural de la première université d’été de sa jeune histoire, le mouvement Ensemble !, troisième pôle du Front de gauche, s’est placé devant le miroir. Plus de 200 militants avaient pris leurs quartiers, du 25 au 28 août, dans les locaux de la faculté de lettres du campus de l’université de Pau.
« Pas mal, pour des dates aussi mal ficelées », juge Jean-François Pellissier, l’un des porte-parole (issu des Alternatifs), qui se justifie : « Nous avons voulu rester disponibles jusqu’au dernier moment pour la tenue d’éventuelles journées de travail communes du Front de gauche. Mais aucune réponse n’est venue de nos partenaires, ni du Parti communiste [PCF] ni du Parti de gauche [PG]. »
Après moins d’une année d’existence, le mouvement cherche à mieux définir son positionnement. Fondé en novembre 2013 par le regroupement de plusieurs petites composantes anticapitalistes du Front de gauche [1] désireuses de compter face au PCF et au PG (voir p.11), « il valorise les expériences alternatives locales mais bute dès qu’il faut envisager la transformation globale de la société. C’est notre principale faiblesse, souligne Ingrid Hayes en introduction. Bien sûr, notre projet est écologiste, démocratique, émancipateur, mais plus précisément ? »
Alternative, « mot passe-partout bien pratique de la gauche », attaque Francis Sitel, porte-parole (issu de Gauche unitaire), qui se charge de lester ce terme de toutes ses ambiguïtés : « Était-ce seulement se débarrasser de Sarkozy ? Changer le gouvernement Hollande, de république ? S’agit-il de rompre avec le capitalisme mais aussi avec l’État ? Voulons-nous la réforme, la révolution, prendre le pouvoir ? » Une avalanche de questions décisives qui laissera l’assemblée un peu pantoise.
Au fil des échanges, les militants penchent pour une vision plus pragmatique que théorique dans la voie d’un changement de société. Invités à présenter leur expérience, des animateurs des luttes menées par les salariés de Fralib (thés, infusions) à Gémenos (Bouches-du-Rhône) et de Pilpa (crèmes glacées) à Carcassonne suscitent l’engouement. Dans les deux cas, des salariés qui résistent pendant des mois au laminoir de la logique financière des grands groupes propriétaires de leur entreprise, pour les faire plier et imposer leur projet : sauver le plus possible d’emplois, reprendre l’activité sous forme de sociétés coopératives, miser sur la qualité et les fournisseurs locaux, mais aussi susciter un début d’essaimage, comme à Carcassonne, où le site, retourné dans le giron de la municipalité, projette de devenir une pépinière d’entreprises empreinte de l’état d’esprit de la Fabrique du Sud, nouvelle dénomination de Pilpa.
« Attention à ne pas perdre la vision politique », met en garde la syndicaliste Sophie Zafari. « Mais l’action concrète n’est-elle pas un début d’emprise sur la politique ? C’est cela qui intéresse les gens », commente Jean-François Pellissier, en contrepoint à la voie du « parti-guide » – référence à la stratégie du Parti de gauche, que rejette Ensemble !. « L’emporter dans les urnes n’est pas suffisant, il faut mettre la société en mouvement », professe Clémentine Autain, porte-parole (issue de la Fase).
« Après neuf mois de cohabitation, le bilan est très positif : alors que les courants historiques étaient initialement très divisés, il existe aujourd’hui un accord politique de fond, et la mayonnaise a pris aux plans local et national, constate Pierre Khalfa, membre du conseil scientifique d’Attac. Nous constatons une cohérence culturelle et une convergence dans la conception qu’ont les gens de la politique : un refus des structures verticales, de l’autoritarisme et des pratiques de domination, la proximité avec les mouvements sociaux, la recherche de pratiques émancipatrices… »
Une matinée entière est consacrée à la forme que pourrait prendre l’organisation, débat que les militants, chevronnés pour la plupart, prennent très au sérieux. Pour l’occasion, les intervenants choisissent de décliner leur ancienne appartenance. Échaudés par le « caporalisme politique », d’anciens communistes penchent nettement pour une forme « réseau » non hiérarchisée. D’autres, altermondialistes familiers de ce dernier type de structure, se montrent réticents à son endroit, soulignant l’illusion de démocratie qu’elle entretient.
« Cependant, nous avons besoin de nous organiser si nous entendons peser dans les débats politiques », avertit Guillaume Liégard, l’un des animateurs de la revue Regards. Une coopérative politique ? Qui permette d’intégrer des individus – des jeunes ! –, mais aussi des collectifs ? Des adhésions à bas prix, une coordination « dotée d’un poste salarié », ose une intervenante. « Avec un observatoire des engagements », bien sûr, réplique un autre. Un militant manceau s’élève : « Halte aux faux débats ! Si nous voulons changer la société, la structure doit viser l’efficacité politique. Nous sommes suffisamment expérimentés pour y injecter ce qu’il faudra de démocratie. »
Préoccupé par la crise du Front de gauche, qui menace de scier la branche sur laquelle il s’appuie, et saisi par l’accélération de la dérive libérale du gouvernement, le mouvement Ensemble ! a pris conscience à Pau que de nouvelles tâches lui incombent désormais face à son public potentiel. « Nous portons une responsabilité particulière, notamment pour sortir le Front de gauche de son face-à-face PCF-PG et démontrer que le rassemblement est possible, souligne Marie-Pierre Toubhans, porte-parole (issue de Gauche unitaire). Ici, personne n’envisage d’agir en dehors de ce cadre. » Et s’il est important de respecter le rythme de cheminement du mouvement et des organisations qui le composent, convient Clémentine Autain, « il faut en tout cas rapidement devenir plus audibles, afin d’apporter notre contribution spécifique au débat ».
« Nous sommes dans un appel d’air qui nous impose de prendre des initiatives, reconnaît Jean-François Pellissier. Par exemple, un appel aux mouvements sociaux, syndicats, associations, etc., pour définir des actions et des luttes. Nous ne devons plus nous cantonner à être une force de proposition au sein du Front de gauche, mais entreprendre de nous adresser en tant qu’Ensemble ! à la société. »
[1] Les Alternatifs, Convergences et alternative, la Fédération pour une alternative sociale et écologique (Fase ou la Fédération), la Gauche anticapitaliste, des militants en rupture de Gauche unitaire et des membres non encartés précédemment.
Un mouvement féministe
« Merci de votre patience, vous allez bientôt pouvoir commenter la formation du nouveau gouvernement », blague Marie-Pierre Toubhans. Ce mardi 26 août, l’amphi est pourtant plein et attentif pour débattre de l’offensive réactionnaire qui affecte les femmes. Ensemble ! se veut un mouvement féministe. Les tribunes sont équilibrées entre intervenantes et intervenants, on veille à l’équité des prises de parole dans la salle.
« De plus en plus ouvertement, le féminisme est présenté par certains comme destructeur de la société », introduit Cécile Silhouette. Mouvement « Manif pour tous », rejet de la procréation médicale assistée pour les femmes homosexuelles, abandon de l’expérience scolaire « ABCD de l’égalité »… L’influence nouvelle des conservateurs libère des paroles réactionnaires, souligne Marjolaine Christien-Charrière, d’Osez le féminisme. Militante historique du mouvement féministe, Maya Surduts met en cause l’hégémonie croissante de la pensée économique depuis le début des années 2000. D’anciens désaccords s’exposent sur la pénalisation de la prostitution.
Une militante suggère qu’Ensemble ! aborde les questions féministes non pas sous l’angle des différences de genre, mais des inégalités sociales. Les chantiers ne manquent pas. Ensemble ! n’a pas achevé sa gestation. Le mouvement prévoit début 2015 une assemblée constituante, qui devrait le doter d’instances ad hoc et permettre la dissolution de ses composantes fondatrices, a priori acquise.
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