vendredi 5 septembre 2014

"Notre responsabilité, c’est de redonner envie et goût à la politique", par Clémentine Autain


Cette rentrée est assez stupéfiante. Je ne vais pas vous refaire le film, qui ressemble plutôt à une mauvais théâtre de boulevard, mais l’essentiel est là : François Hollande et Manuel Valls ont choisi de trancher, d’aller « plus fort, plus vite », de renforcer une politique libérale qui tourne le dos aux valeurs de la gauche. Et pendant ce temps-là, le chômage a augmenté de 0,8% en juillet et la bourse a clôturé en hausse le jour du remaniement. 

Que le Premier Ministre choisisse l’université d’été du Medef pour sa première sortie après son coup de force est signifiant. Et qu’il s’y fasse ovationné, notamment en critiquant une partie de sa propre organisation politique, les « frondeurs » du PS, l’est tout autant. 


Aussi sidérante soit-elle, cette séquence politique vient de loin. François Hollande a préparé depuis longtemps la mue démocrate du PS. Même les mots employés aujourd’hui au sommet de l’Etat ne sont plus ceux de la gauche. La « compétitivité » est leur horizon, la soumission aux marchés financiers leur quotidien. 

Que le candidat Hollande ait revendiqué la normalité dans sa campagne électorale avait mis la puce à l’oreille. Le gouvernement et la majorité du PS se moulent désormais dans les normes dominantes. 

Passée inaperçue cet été, une phrase du ministre Michel Sapin au détour d’une interview au Monde vantant les mérites de l’austérité et les cadeaux aux grandes entreprises résume l’état d’esprit : la nomination d’Emmanuel Macron constitue la plus magistrale des provocations. L’homme, un technocrate s’il en est, ne fut pas guichetier à la banque Rotschild mais un « Mozart de la finance », comme l’indique son surnom. A peine nommé, Emmanuel Macron déclare : « une autre politique est un mirage », plagiat s’il en est du « There is no alternative » de Margaret Thatcher. Il se dit prêt à ce que les entreprises dérogent aux 35h et annonce tout simplement que la gauche historique est morte ! 

On peut avoir un débat sur ce qu’est la gauche historique, sur la part de ce que nous devons en garder et de ce que nous devons inventer, mais une chose est sûre, c’est que la gauche de demain ne se fera pas avec le Medef. 

Manuel Valls prévenait il y a peu : « la gauche peut mourir ». Il en sait quelque chose, c’est lui qui tient le fusil. 

Dans le même temps, s’impose progressivement l’idée qu’il faut inventer une alternative de gauche aux crises que nous traversons. Autrement dit, cette politique de droite menée au nom de la gauche ne s’impose pas sans réactions politiques. 

Cécile Duflot valide dans son livre qui fait événement les critiques portées par le Front de Gauche depuis le début. Des deux premières années Hollande, elle dénonce la capitulation devant Merckel, l’austérité, la « TVA sociale », le déficit démocratique, la stigmatisation des Roms… Arnaud Montebourg et Benoît Hamon ont mis en cause le cap économique. Aurélie Filipetti a jeté l’éponge parce que, dit-elle, elle ne veut plus s’excuser d’être de gauche. Même François Lamy, proche de Martine Aubry, n’a pas voulu rejoindre le gouvernement de Valls. 

Surtout, le décrochage des Français est magistral. La côte de popularité de François Hollande atteint péniblement 17% et Manuel Valls a perdu 20 points en trois ans. C’est la déroute. 

Face à ce désastre, les forces et les individus qui savent que la gauche ne gouverne pas et qu’une alternative s’impose sont légion. Leur éclatement est mortifère. Notre tâche est donc de contribuer à l’émergence d’une nouvelle force politique de transformation sociale et écologique. 

Une tribune parue dans Libération titrait : « L’avenir de la gauche se joue maintenant et avant tout au PS ». Nous pensons aussi que cela se joue maintenant mais avant tout en dehors du PS. De notre capacité à apparaître comme une alternative à la politique gouvernementale, et donc au PS dans sa majorité actuelle, dépend notre lisibilité et notre attractivité, et donc notre utilité dans la durée. C’est à distance du PS qu’une force nouvelle peut émerger – ce qui ne signifie évidemment pas à distance des socialistes en rupture. 

Qu’on le veuille ou non, nous sommes aujourd’hui largement associés à « la gauche », et « la gauche » gouverne. Dans ce moment de grandes interrogations chez les uns et les autres, il n’est pas question d’établir un cordon sanitaire avec l’ensemble du PS ou avec EE-LV qui peine à clarifier son positionnement. Et ce d’autant que l’autonomie vis-à-vis du PS ne fait pas tout, sinon l’extrême gauche serait à 20% depuis belle lurette. 

Mais notre responsabilité est de contribuer à l’affirmation d’un espace politique distinct, perçu comme différent de la majorité gouvernementale et parlementaire actuelles. Sinon, nous sombrerons avec ceux qui coulent aujourd’hui la gauche. 

Cette force nouvelle à vocation majoritaire ne naîtra pas de la diplomatie entre courants politiques constitués mais d’un mouvement dans la société. Notre responsabilité, c’est de contribuer à envoyer un signal, de bâtir des initiatives et des cadres à même de favoriser cette effervescence et cette construction politique nouvelle. 

Notre responsabilité, c’est de redonner envie et goût à la politique. Nous ferons avec les acteurs et actrices du mouvement social, avec celles et ceux du monde intellectuelle et culturel critique, ou nous ne ferons pas. Nous ferons dans le respect de la diversité des cultures et des traditions qui composent cette gauche de rupture, tout en dégageant une cohérence commune, ou nous ne ferons pas. 

Il y a urgence à entamer ce travail. Nous pourrions, avec toutes celles et ceux qui, à gauche, sont opposés à la politique gouvernementale, initier des assises de la transformation sociale et écologique. Les discussions doivent s’engager partout et sous des formes variées. 

A nous de proposer la constitution d’un cadre de débat et d’action. Nous verrons sans doute l’épaisseur de nos convergences mais aussi les enjeux de fond qui, parfois, divisent. Je pense par exemple à l’approche néokeynésienne portée par une partie de la gauche du PS qui ne nous paraît pas à la hauteur du changement de modèle de développement nécessaire aujourd’hui. 

Le Front de Gauche a une responsabilité particulière dans ce moment de crise et de recomposition politique. C’est la seule force qui a commencé à incarner une orientation alternative. Avec 11% à la présidentielle, ce qui est remarquable, et même 6% aux européennes, le Front de Gauche a commencé à cristalliser un espace politique, ce qui lui donne une responsabilité particulière. 

Le Front de Gauche est en panne mais il constitue un point d’appui. Il lui faut donc affronter trois défis : la stratégie, le profil politique, le fonctionnement. 

Le rendez-vous du 6 septembre est de ce point de vue attendu. Nous souhaitons que le Front de Gauche soit capable d’être en dynamique à nouveau pour peser sur la recomposition en cours, pour œuvrer uni à un rassemblement plus large, pour susciter une mobilisation populaire inédite. 

Nous pensons que la relance du cadre qui a donné naissance à la manifestation du 12 avril est une nécessité urgente. Il y a urgence mais il n’y aura pas de raccourci. 

Ce que nous avons à reconstruire, c’est un imaginaire et une espérance. Il nous faut assumer cette tension entre l’urgence et le temps plus long de la refondation. Nous savons toutes et tous que l’extrême droite est en embuscade. Nous sommes au pied du mur. Nous devons réussir. « Ensemble » mettra toutes ses forces dans la construction d’une réponse durable aux crises que nous traversons.

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