"Nous ne sommes pas du côté de la loi, mais de celui de la révolte !" Asli Erdogan
samedi 27 septembre 2014
"Les tenants de l’actuelle intervention militaire contre Daech sont les principaux responsables de sa montée en puissance" intervention de François Asensi, député porte-parole du Front de gauche lors du débat parlementaire sur l'intervention en Irak
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord exprimer la solidarité des députés du Front de gauche envers les otages français Hervé Gourdel et Serge Lazarevic – qui vivent des heures terribles aux mains de fanatiques sans foi ni loi – ainsi qu’envers leur famille. Daech, cette créature monstrueuse qui sévit aujourd’hui de la Syrie à l’Irak, n’est pas un phénomène spontané. Daech a une histoire dont les racines sont ancrées dans la situation de chaos provoquée par l’intervention américaine de 2003. Depuis la guerre en Afghanistan, les foyers du terrorisme se sont multipliés. Daech est le fruit de la politique occidentale néocolonialiste dans cette région. Ruse de l’histoire, les tenants de l’actuelle intervention militaire contre Daech sont les principaux responsables de sa montée en puissance.
Déjà une décennie s’est écoulée depuis l’opération « Liberté pour l’Irak », nom cynique de l’invasion anglo-américaine justifiée par le mensonge d’État sur les supposées armes de destruction massive. Et pourtant, le peuple irakien n’a cessé de payer le prix de cette folle idée de refaçonner le Moyen-Orient en imposant la pax americana par la force.
Le bilan de cette croisade moderne est dramatique. Plus de 250 000 civils irakiens ont péri, qui s’ajoutent au million d’enfants morts à cause de l’embargo, sans parler des millions de réfugiés et, notamment, du départ de plus de plus des trois cinquièmes des chrétiens irakiens présents sur cette terre depuis deux millénaires. La division de facto de l’Irak n’est pas uniquement liée à l’avancée des djihadistes.
Les États-Unis ont soutenu l’émergence d’un système politique et institutionnel calqué sur ces fractures, avec l’exacerbation de la fitna entre sunnites et chiites, la montée des tensions entre Arabes et Kurdes.
Le choix américain d’installer au pouvoir un Premier ministre irakien, M. El Maliki, partisan de la marginalisation des sunnites, fut une décision désastreuse. En 1991, le secrétaire d’État américain promettait de ramener l’Irak à l’âge de pierre. Dix ans d’embargo, une deuxième guerre suivie de l’occupation américaine, ont fini de démanteler l’État irakien. L’hypothèse de la balkanisation de l’Irak n’a cessé de se renforcer, à croire qu’il s’agissait de l’un des objectifs de l’intervention américaine pour mieux contrôler les immenses ressources pétrolières de ce pays.
Cette guerre justifiée par la «guerre globale contre le terrorisme» a finalement fait naître un nouveau foyer de terrorisme international. Al Qaeda, « création américaine », selon les propres mots d’Hillary Clinton, est aujourd’hui supplantée par les forces armées de Daech. Ces assassins qui n’ont rien à voir avec l’islam, qu’ils instrumentalisent, disposent d’une puissance de feu et de moyens financiers supérieurs. Jamais Al Qaeda, même en Afghanistan sous le règne des talibans, à la fin des années 1990, n’avait contrôlé pareil territoire.
Face aux avancées des forces djihadistes, le silence et l’inaction ne peuvent être de mise. La responsabilité de la communauté internationale est de protéger les civils et de conforter les États. Oui, il faut venir en aide au peuple irakien sous le joug du fanatisme ! Oui, il faut apporter une aide militaire à ceux qui résistent aux djihadistes ainsi qu’un soutien politique, humanitaire, économique, mais pas n’importe comment et certainement pas sous un commandement américain et sous tutelle de l’OTAN.
La lutte indispensable contre la barbarie des djihadistes aurait dû réunir l’ensemble de la communauté internationale, sous l’égide de l’ONU. Si le mandat de l’ONU n’était pas impératif, l’Irak usant de son droit à la légitime défense, il eût été préférable. J’en veux pour preuve l’adoption, au mois d’août dernier, par l’ensemble des membres du Conseil de sécurité, de la résolution 2170 contre le pouvoir djihadiste. En s’attaquant au nerf de la guerre, à savoir le financement des mouvements djihadistes, cette résolution a marqué une avancée importante. Au lieu de cela, la France se retrouve en première ligne, isolée aux côtés des États-Unis alors que la Grande-Bretagne tergiverse et que nombre de pays membres de la coalition internationale traînent des pieds, quand ils ne jouent pas un double jeu.
En 2003, la France a refusé à juste titre de mettre ses pas dans ceux des faucons américains. L’Histoire nous a donné raison. Quel sens y a-t-il aujourd’hui à s’engager dans une coalition menée par les responsables de ce chaos ? Non, la France n’a pas à faire le service après vente des États-Unis ! Elle doit retrouver sa voix et, comme dans les pages fortes de son histoire, soutenir la liberté des peuples. Or, une dérive atlantiste ne cesse de s’affirmer dans la conduite de notre diplomatie.
Le président Hollande poursuit la politique internationale du président Sarkozy. La prééminence accordée par la France à l’OTAN affaiblit chaque jour un peu plus l’ONU et le multilatéralisme. Sans vision propre pour la paix au Moyen-Orient, la diplomatie française prend le contre-pied de la doctrine gaulliste, garante de notre indépendance nationale, et qui faisait consensus dans le pays. Je ne donnerai que deux exemples.
Cet été, le Gouvernement français a abandonné le peuple palestinien sous les bombes alors que, pour la stabilité et la paix dans la région, nous devrions sans plus tarder reconnaître enfin l’État palestinien.
Depuis deux ans, le peuple kurde résiste courageusement aux assauts djihadistes et appelle à l’aide. Sous la pression de la Turquie, qui réprime les revendications nationales de ce peuple, notre diplomatie lui a tourné le dos pendant des mois avant de revenir à la raison. Il est temps également de s’interroger sur le jeu ambigu de certains de nos supposés alliés. Nous pensons, en particulier, aux monarchies saoudienne et qatarie qui sont impliquées dans le financement direct ou indirect des différents groupes djihadistes, ceux-là même qui ont assassiné les deux journalistes américains et le journaliste britannique.
Monsieur le Premier ministre, comment comprendre que la France conserve des liens privilégiés avec ces personnages princiers qui attisent le chaos au Moyen-Orient et entretiennent des relations féodales avec leurs peuples ? La vente de quelques Rafales et de quelques palaces parisiens suffit-elle à réduire au silence notre diplomatie ? Et que dire du double jeu de la Turquie, pourtant membre de l’OTAN, qui a abrité sur son territoire les bases arrière des djihadistes et par laquelle transitent aujourd’hui les filières internationales de combattants ?
Outre le cadre insatisfaisant de l’actuelle intervention, beaucoup de questions restent sans réponse. Quels sont les objectifs réels de l’intervention ? Est-elle la réponse la plus efficace et combien de temps durera-t-elle ? Que se passera-t-il « le jour d’après » – nous savons ce qu’il en fut pour la Libye ? Comment assécher les sources de financement des groupes djihadistes et impliquer l’ensemble de la communauté internationale ? Comment enrayer la partition de l’Irak et mettre fin aux conflits identitaires, véritable terreau du terrorisme ? Après cette énième intervention en Irak, ne risquons-nous pas de renforcer le prétendu État islamique en lui donnant la reconnaissance qu’il attend ?
Ne nourrissons-nous pas le cercle vicieux de la haine et de la frustration qui animent les combattants de Daech, ces assassins qui n’ont rien à voir avec l’islam, qu’ils instrumentalisent ? De la désastreuse intervention en Libye au bourbier afghan, en passant par le fiasco irakien, les interventions occidentales ont fait l’étalage de leur inefficacité, en délitant plus encore des États fragiles et en armant nos ennemis de demain.
Monsieur le Premier ministre, vous comprendrez, dans ces conditions, les réserves qui conduisent les députés Front de gauche à la plus grande prudence. Nous avons soutenu l’intervention au Mali, car le combat contre le terrorisme ne supporte pas l’inaction ; mais nous sommes aujourd’hui troublés par les conditions de cette intervention, et nous exprimons de fortes réserves sur la stratégie pour le moins vague de la coalition.
Comment pourrions-nous approuver l’engagement militaire de la France dans une coalition sous bannière américaine à laquelle manquent des acteurs régionaux et onusiens essentiels ? La réponse au défi lancé par Daech ne saurait se résumer à la seule solution militaire. Notre responsabilité est de travailler à des solutions politiques et diplomatiques durables pour isoler la bête immonde. Les députés du Front de gauche souhaitent des initiatives audacieuses de la diplomatie française pour poursuivre la mobilisation contre le terrorisme amorcée dans le cadre onusien par la résolution 2170.
Cela passe également par la reconstruction de l’État irakien, que la France doit appuyer. C’est l’avenir de l’Irak comme État-nation qui est en jeu, dans le respect de ses composantes chiite, sunnite, kurde, chrétienne et yazidie. Cela passe, enfin, évidemment, par la lutte sans faiblesse contre ceux qui, groupes ou États, financent les djihadistes et font le terreau de leurs violences. Voilà quels sont, pour les députés du Front de gauche, les meilleurs moyens d’aider le peuple irakien sur le long terme, bien au-delà du seul volet militaire.
Intervention faite le mardi 23 septembre au nom des député-es du Front de gauche
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