« Alors que l’Europe se barricade, pensant que les murs qu’elle dresse la protégeront d’un fantasmatique danger migratoire, voici dix raisons d’ouvrir les frontières.
Entre 2000 et 2014, 40 000 migrants sont morts aux frontières, dont 22
000 en tentant de rejoindre l’Europe, qui est aujourd’hui devenue la
destination la plus dangereuse du monde pour les migrants.
Depuis le
début de l’année 2015, plus de 2 500 sont morts noyés en Méditerranée,
alors qu’ils fuyaient violences et oppression en Syrie, en Erythrée ou
dans d’autres endroits du monde. Le décompte macabre continue chaque
jour, tandis que la répartition de ceux qui ont survécu au voyage fait
l’objet de marchandages politiques souvent sordides, jalonnés de
déclarations incendiaires. Face à cette faillite de l’Europe, nous
affirmons qu’il serait plus rationnel, plus juste, plus sûr, d’ouvrir
les frontières.
Contrairement à une idée trop répandue dans les médias et les discours
politiques, cette proposition n’a rien d’un fantasme naïf et irréaliste.
Au contraire : elle permettrait de sortir enfin d’un engrenage de
violences qui a déjà fait des milliers de morts, et de dessiner un
horizon pour un véritable projet politique européen en matière d’asile
et d’immigration.
Voici dix raisons pour lesquelles il faut ouvrir les frontières.
1 – Fermer les frontières ne sert à rien
Notre premier argument est de bon sens. Le fait migratoire est un
fait social, une réalité du monde contemporain, auquel il est absurde de
vouloir résister. Vouloir empêcher les migrations est aussi vain que de
vouloir empêcher la nuit de succéder au jour. Les gens ne choisissent
pas de migrer ou de rester parce qu’une frontière est ouverte ou fermée.
Les gens ne choisissent pas de migrer ou de rester parce qu’une
frontière est ouverte ou fermée L’idée que la fermeture des frontières
puisse limiter les flux migratoires est irréaliste et criminelle, et
méconnaît complètement la réalité des migrations. Elle ne fait que
rendre les déplacements plus précaires, plus coûteux et plus dangereux,
transformant la Méditerranée en charnier. Ouvrir les frontières, c’est
avant tout permettre aux gens de migrer dans des conditions sûres et
dignes, c’est arrêter le massacre, mettre un terme à la tragédie qui se
joue actuellement aux frontières de l’Europe.
2 – Coup d’arrêt au business des passeurs
C’est la fermeture des frontières qui permet le business des
passeurs. Au contraire, ouvrir les frontières, légaliser les mobilités
de tous, c’est tuer dans l’œuf le business de ceux qui ont fait
profession du trafic de cargaisons humaines, en profitant d’une économie
de la prohibition. C’est la manière la plus efficace de lutter contre
les passeurs.
3 – Le fantasme de l’invasion
L’invasion annoncée est un fantasme. Faire croire que l’ouverture
ou la fermeture des frontières permet la maîtrise des flux migratoires
est un mensonge électoraliste Aucune enquête n’a prouvé la véracité des
“appels d’air” ou des “invasions” tant annoncées et fantasmées. Faire
croire que l’ouverture ou la fermeture des frontières permet la maîtrise
des flux migratoires est un mensonge électoraliste. La construction du
mur entre le Mexique et les Etats-Unis n’a nullement ralenti les flux
migratoires entre les deux pays, pas plus que l’ouverture de la
frontière entre l’Inde et le Népal n’a provoqué d’afflux massifs de
migrants.
4 – Faciliter la mobilité
L’ouverture des frontières permettrait à de nombreux migrants de
rentrer au pays et de revoir leur famille. Cela faciliterait la
circulation des personnes, c’est-à-dire aussi les mouvements d’allers et
retours, d’entrées et de sorties. Beaucoup de migrants sont aujourd’hui
coincés dans leur pays de destination, dont ils n’osent pas sortir par
peur de ne plus pouvoir y revenir ensuite.
5 – Effacer les zones d’ombres
Cela ferait disparaître les zones d’ombres de l’illégalité dans
lesquelles les migrants se retrouvent de force, et non par choix. Soyons
légalistes : le fait d’autoriser et d’accompagner les libres
circulations permettrait de mieux les “voir” et les connaître. Ouvrir
les frontières, ce n’est pas supprimer les frontières Ouvrir les
frontières, ce n’est pas supprimer les frontières : c’est simplement
permettre la libre circulation, pour mieux accompagner les migrations et
s’assurer qu’elles se déroulent dans les meilleures conditions
possibles.
6 – Un droit fondamental
La liberté de circulation est un droit fondamental. C’est à la fois
une question de liberté fondamentale et une question d’égalité.
Aujourd’hui, le destin des uns et des autres reste avant tout déterminé
par l’endroit où ils/elles sont né-e-s. C’est la fermeture des
frontières qui crée cette inégalité insupportable, ce privilège du lieu
de naissance. L’ouverture des frontières reconnaît la légitimité de
toute migration, et le droit à la mobilité de chacun. Le droit de
quitter son pays est inscrit dans la Déclaration universelle des droits
de l’homme, mais la fermeture des frontières empêche de le mettre en
œuvre.
7 – Progrès social
C’est la condition d’un progrès social. La migration « illégale »,
par nature, ne peut plus exister avec des frontières ouvertes La
légalisation des migrants permet d’augmenter et de rendre visible la
contribution aux prestations sociales des travailleurs immigrés et de
leurs employeurs, tout en améliorant leurs conditions de rémunération.
La migration « illégale », par nature, ne peut plus exister avec des
frontières ouvertes : les situations de précarité administrative
disparaissent et les conditions de travail s’améliorent et
s’harmonisent.
8 – Potentiel économique
Cela permettrait aux migrants de déployer leur plein potentiel
économique dans les pays de destination et d’origine. Toutes les études
montrent que la contribution économique à leur pays de destination est
d’autant plus positive que leur situation y est sûre et légale. Rendre
toutes les migrations légales ferait de facto disparaître l’immigration
clandestine, et permettrait aux migrants de déployer leur plein
potentiel économique dans le pays d’accueil. Leur contribution
économique est aussi dirigée vers leur pays d’origine : l’apport
financier des migrants par leurs transferts d’argent au pays est au
moins trois fois plus important que l’aide au développement officielle
des pays industrialisés, trop souvent instrumentalisée dans le but
fallacieux et vain de réduire les flux migratoires.
9 – Cesser la guerre aux migrants
Pour remettre l’hospitalité au centre de la politique. Partout en
Europe, on voit des voisins solidaires et mobilisés, un tissu associatif
dense capable d’organiser l’accueil des étrangers et d’aider leur
insertion. Ce sont les formes d’une hospitalité sans condition qui
existent déjà et qu’un gouvernement aurait la possibilité de mobiliser
et d’aider, à l’opposé de la guerre aux migrants qui forme aujourd’hui
le régime officiel de pensée et d’action.
10 – L’humanisme comme valeur politique
Parce que l’ouverture des frontières permet de réaffirmer l’unité
de l’Homme. Contre toutes les formes de déshumanisation que nous ne
cessons d’observer dans le monde, contre le retour de l’idée
d’indésirabilité d’une partie des humains qui avait déjà marqué les
années 1930 à propos des Juifs ou des exilés espagnols, nous avons le
choix de redire l’unité de l’Homme et de traduire cette idée en
politique. Contre le retour des effets désastreux de l’obscurantisme, il
s’agit simplement de relancer l’humanisme comme valeur politique ». Fin
de citation.
Cet article a été initialement publié sur le blog de Jean Gadrey sur www.alternatives-economiques. fr
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